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Crédit photo : JRBrousse, An@é 
Publié le 6 décembre 2012 par François-Bernard Huyghe(1) sur son site : http://huyghe.fr dans la rubrique : Transmission et communication : la médiologie
Technophiles et technophobes s’opposent sur relations entre monde réel et monde virtuel au XXI° siècle comme se déchiraient dans la Byzance du VIII° siècle, iconoclastes et iconodules qui disputaient du rapport entre le monde divin et de ses représentations imagées.
 

Les technophiles pensent la technologie déterminante en dernière instance : sur elle, devront se modeler mentalités et institutions. C’est une force nécessairement libératrice : les anciennes limitations que nous imposaient nos capacités physiques, mentales ou sociales seront dépassées.
Pour ses partisans, la technique prolonger les capacités de nos sens et de nos esprits, affranchir de la nécessité. Sur l’air du “demain on pourra...” : demain on pourra communiquer plus vite, accéder instantanément à l’objet de son désir, explorer toutes les archives, échapper à toutes les censures, réunir tous les cerveaux, se dispenser de toutes les pesanteurs de la matière. Ce projet trouve sa forme dans une société de l’information technicienne et libertaire à la fois. Face à eux, les catastrophistes pensent en termes de perte : perte d’humanité au profit de la raison instrumentale, perte de distance critique au bénéfice de la fascination, perte d’identité dans un monde de virtualité, perte de la réalité remplacée par le spectacle, perte de la liberté soumise aux logiques techniques, perte de l’écrit vaincu par l’écran,...

Le technophile certain d’être dans le sens de l’histoire, ignore généralement les objections, qu’il attribue à l’ignorance, ou à une mentalité archaïque. Débordant de bonne volonté pédagogique, il ne manque pas de faire remarquer à son contradicteur qu’il a tout loisir de s’exprimer voire de créer des communautés virtuelles de technophobes cyber-ronchons. Il argue que dans qu’il y a place pour celui qui veut s’ouvrir sur l’Universel et pour celui qui veut se renfermer dans les frontières de son clan, que le cybermonde accueillera tout y compris son discours critique Il croit fermement que tout cohabitera avec tout et que le mouvement d’expansion se poursuivra. Le refus des nouvelles technologies comme une affaire de goût ou de culture, une tendance relativement négligeable et condamnée à long terme, raidissement ou crise d’adaptation. L’utopiste, habité d’un esprit volontiers messianique, tente de faire partager l’enthousiasme que lui inspire toute nouvelle croissance du réseau ou toute annonce d’une innovation technologique. Il ne voit donc guère de péril dans l’opposition tant il se sent en position porté par le sens de l’histoire.

Le catastrophiste, lui, raisonne en termes de lutte et s’imagine en résistant au Système. Il dénonce une idéologie adverse dont il combat l’inauthenticité. Car, s’il craint la perte de notre autonomie ou de nos capacités, le catastrophiste en attribue une large part de responsabilité au discours adverse. Il l’analyse souvent comme un langage de pouvoir, destiné à dissimuler des rapports de force et d’intérêt particuliers sous forme d’un projet universel.


Technophobie

Ce mot récent désigne une peur de la technologie (ici prise non au sens de « l’étude des techniques » mais de l’ensemble de ces techniques, en particulier les NTIC). Technophobie est souvent utilisé trivialement pour moquer ceux qui sont incapables de se servir de leur ordinateur, ou développent des craintes irrationnelles à propos d’Internet. En fait il y a plusieurs degrés dans cette « aversion ».. L’une se signale par:l’incapacité ou le choix de ne pas utiliser les NTIC dans sa vie. À ce stade, il s’agit d’un trait de caractère ou de comportement reflétant la subjectivité d’un individu qui surfe ou pas sur Internet, préfère ou pas écrire à la main…

Une seconde forme de technophobie porte un jugement général sur l’utilité des NTIC, surtout Internet en particulier ; Certains, par exemple, insistent sur les dangers de la Toile – risque d’escroquerie, prolifération de la pornographie ou des discours extrémistes, possibilité de pannes en chaîne, d’espionnage de la vie privée… Ou encore seraient technophobes – à tort ou à raison – ceux qui se montrent sceptiques sur toutes les merveilles qu’espèrent les « technophiles », confiants en l’avènement de la société de l’information : gains de productivité, nouvelle économie, disponibilité du savoir, émergence d’une cyberdémocratie dans le « village global », nouvelles possibilités d’expression et de culture. Cette technophobie-là relève d’une certaine évaluation des bienfaits ou de méfaits de développements futurs de la technique et de leurs conséquences sociales, politiques… La différence entre « pour » et « contre » porte sur la vraisemblance d’événements auxquels tous deux portent globalement le même jugement.

Resterait alors à définir une technophobie « de principe » : celle qui rejette la notion même d’une progression des techniques. Répondraient à cette définition l’attitude de certains écologistes qui condamnent comme manifestation d’une avidité inutile toute action de l’homme pour accroître ses pouvoirs.

D’autres dénoncent dans les nouvelles technologies non pas un accroissement de nos capacités mais un asservissement ou une aliénation. Ils s’en prennent au caractère inauthentique du monde des réseaux : fausse égalité, fausse démocratie, faux savoir, faux rapport avec les autres, bref fausses promesses et vraie aliénation. Manifestant par là la nostalgie de ce qu’ils croient perdre : l’expérience commune de la durée et de ses rythmes, celle du territoire qui permettait à chacun de se situer entre proche et lointain, celle de la mémoire partagée, celle de l’identité à l’heure des avatars cybernétiques, des communautés virtuelles et des choix de vie changeants…

À certains égards, la querelle des technophiles et des technophobes rappelle des querelles plus anciennes : pour ou contre l’image dans les religions monothéistes, pour ou contre le théâtre au XVIII°siècle (la querelle du spectacle), pour ou contre les mass media au XX°…
 
 
 
(1)François - Bernard Huygue est Docteur d’État en Sciences Politiques, habilité à diriger des recherches en Sciences de l’Information et Communication. Il Intervient comme formateur et consultant (HUYGHE INFOSTRATÉGIE) et est chercheur à l’IRIS
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