Le contexte
Dans le milieu de l’enseignement, cette période de fin d’année 2020 est fortement marquée par l’incertitude.
Il y a tout d’abord celle liée à la pandémie et les multiples questionnements qui s’y relient : Est-ce que je risque ma santé ? Est-ce que je vais contaminer mes proches ? Est-ce qu’on va être confinés, pour combien de temps et sous quelles conditions ? Mon établissement scolaire va-t-il fermer ? Comment vais-je faire mes cours à distance si c’est le cas ? Et qui va s’occuper de Louise/Louis en 6èB qui a déjà tant de mal ? Etc
Ces interrogations, liées à l’incertitude contextuelle et sanitaire, génèrent à leur tour de l’anxiété et du stress qui rejaillissent sur le bien-être au travail et donc les qualités professionnelles.
S’ajoute à cela, une autre incertitude doublée de colère et de désarroi qu’est celle des attaques terroristes, notamment contre le monde éducatif.
En ce moment, les enseignants ne sont pas au mieux de leur forme et il y a de quoi ! Imaginez que les banquiers soient confrontés à vivre avec 30 clients chaque jour dans leur banque et qui plus est avec une menace de braquage à tout instant ?
Les risques psycho-sociaux des personnels
Ce stress permanent et diffus, qui malheureusement commence à devenir chronique, génère des émotions négatives et fortes qui sont autant de signaux d’alarmes à écouter.
Audrey Imbs, psychologue spécialisée enfants et adolescents à Paris: “une émotion négative est un signal d’alarme, il signale un besoin de fuir. Quand vous entendez l’alarme incendie au collège, vous fuyez ! Vos émotions vous disent la même chose, écoutez-les !”
Dans notre collège, nous avons souhaité faire intervenir Audrey Imbs sur quelques soirées afin d’offrir une occasion de paroles aux personnels.
Cette action est simple et peut sembler anodine, mais il nous a paru important, à ce moment précis de l’année, de prendre à bras le corps les difficultés psycho-sociales de nos personnels qui pourraient, nuire aux apprentissages des élèves.
Pour plagier François Muller, enseignant d’Histoire-géographie à Paris et surtout grand maître de l’Innovation pédagogique, je dirais que “un enseignant qui va bien, c’est un élève qui apprend bien”.
Un plan d’action possible
Le rôle premier du chef d’établissement est de garantir la sécurité des élèves et des personnels. La sécurité émotionnelle en fait partie également. Mais quels sont nos moyens d’action alors que nous sommes nous-même en proie aux doutes ? Que faire quand il est difficile de célébrer ? De se réunir ? Que nous reste-t-il pour rassurer ou du moins atténuer le stress contextuel ?
La réponse incontournable est celle de l’écoute. Ecouter sans juger, entendre ce que l’on a à nous dire et prendre le temps de cela. Plus que jamais, le moment nécessite une présence en salle des professeurs mais pas seulement revêtu de son costume sombre et austère, mais bien pour “faire tomber la veste”, prendre un café avec eux, discuter, blaguer, décompresser et montrer sa propre humanité.
Lorsque les conditions le permettent, le budget également, il est intéressant de consacrer quelques deniers de celui-ci aux actions pour la prévention des risques psycho-sociaux. Ce budget permet, comme nous l’avons fait, d’organiser quelques rencontres ou masterclass avec un psychologue spécialisé qui saura mettre les mots au bon endroit, conseiller et donc apaiser. Le fait que cette action soit collective et non individuelle, qui plus est initiée par l’établissement scolaire est un signal fort envoyé à la communauté éducative quant à l’empathie et la bienveillance de la direction.
Un des soucis majeurs que rencontrent les personnels est le manque d’interactions sociales en dehors du travail. La journée à peine terminée, il faut rentrer et les exutoires d’antan ne sont plus. La convivialité est donc à développer au sein même de l’établissement en développant les liens déjà existants. A la manière de Claire Héber-Suffrin, de nouvelles relations entre adultes consentants peuvent être développées à travers les “échanges réciproques de savoirs”[1] sur des temps hors cours, par exemple sur la pause méridienne ou bien encore en fin d’après-midi, dans la limite de l’effectif imposé par le Gouvernement à l’instant T.
Le premier confinement nous a tous jetés, de gré ou de force, dans le grand bain du numérique.
Vécu avec passion ou dans la douleur, ce changement de gestes professionnels a suscité de vifs débats et là encore une inquiétude qui demeure aujourd’hui. Il faut donc se préparer. Organiser des formations entre pairs, au sein même de l’établissement pourquoi pas, sur, éventuellement, un temps cédé pour cela, permettra à bon nombre d’enseignants d’envisager un avenir professionnel incertain de façon plus sereine et moins complexée. Lorsque l’on prépare un marathon, l’on court régulièrement pour s’entraîner, on ne se challenge pas à la dernière seconde sous peine d’y laisser une rotule ! C’est exactement la même chose avec le numérique et l’acte pédagogique. Pour être prêt, il faut s’entrainer, essayer, rater, recommencer, se relever. C’est ainsi que nous serons armés pour le pire...s’il était à venir.
Enfin
Ce ne sont que trois propositions bien sûr, évidentes me direz-vous. Mais qui les met en œuvre réellement ? Sur la durée ? En évaluant les dispositifs ?
Si nous voulons parler un jour de stress post-traumatique, il faut d’abord sortir du trauma ! Et là, maintenant, nous sommes en plein dedans ! Nous n’avons pas la possibilité d’éliminer la pandémie ou les risques de violence criminelle. Mais nous pouvons au moins commencer à vivre avec en les contournant très légèrement et en s’en servant comme levier pour grandir.
L’orchidée, lorsqu’elle est stressée, pousse de plus belle. Assoiffez-là, privez-la de lumière quelque temps puis donnez-lui selon elle a besoin, elle deviendra magnifique.
Delphine Roux, Directrice adjointe collège EIB Monceau Paris
[1] https://www.heber-suffrin.org/
Dernière modification le jeudi, 26 novembre 2020