Vous insistez beaucoup sur l’engagement universitaire dans le développement durable…
« C’est un point fort de mon programme.
« La France m’apparait en la matière très en pointe et vous le constatez dans les Hautes Ecoles : ainsi à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris avec une personnalité comme Jean-Marie Jancovici. Ils sont en plein dans la transition environnementale et le font avec d’autres moyens différents des nôtres. Leur vision est extrêmement lucide et pas idéologique.
« En Belgique, l’université se doit d’être à l’écoute des défis de la société puisque nous sommes une université publique. Pour moi, un élément essentiel est que l’on puisse écouter les problèmes des citoyens, les défis de la société et en contrepartie que nous puissions donner notre vision et les résultats de nos recherches pour permettre des choix et des décisions un peu plus rationnelles.
« C’est cela en fait, pour moi, la mission de l’université publique mais aussi de manière générale. C’est une courroie. On écoute, on entend, on réfléchit au problème de la société et on apporte le fruit de nos recherches pour guider, influer les choix des citoyens, des politiques, si possible de manière rationnelle.
« Et parmi les défis de la société, la transition environnementale et sociale est là depuis des années mais on ne l’entend pas …et le lapsus du président Emmanuel Macron en est le meilleur exemple ce qui a provoqué beaucoup de réactions.
« On est obligé maintenant dans les universités de se poser la question suivante : comment renforcer toutes nos recherches par rapport aux défis que nous posent le réchauffement climatique et la transition énergétique.
« Comment mieux permettre à nos jeunes d’être armés en compétences pour trouver, inventer, créer une autre société désirable. Cela s’est fondamental.
« Plusieurs facultés avaient déjà inscrit, dans leurs programmes de formations et de recherches, ces thématiques-là. Je pense que on peut les renforcer et implanter de manière plus systématique le cours que j’avais initié pour l’ensemble des étudiants en premier Bac. En 2019, j’avais proposé de construire un premier cours sur la transition environnementale à donner à tous les étudiants. Il s’est avéré que c’était compliqué car certaines facultés le faisaient déjà, d’autres pas. On a proposé alors un cours à option et l’idée a prévalu de se donner deux ans pour le rendre obligatoire à tous les étudiants.
« Il s’agit d’un cours qui se donnera en interdisciplinaire ; peut-être pas en premier Bac, car celui-ci est déjà difficile à vivre pour les étudiants, mais en deuxième ou troisième Bac et on complètera cette formation générique interdisciplinaire par un certificat. On a déjà beaucoup de certificats sur la transition environnementale mais une proposition de certificat beaucoup plus interdisciplinaire et que l’on construit depuis un an. Elle sera portée par l’institution en interdisciplinaire et pas uniquement par une faculté.
« La différence s’avère fondamentale. Je pense que les défis de la transition sont interdisciplinaires ce n’est pas que de l’énergie et des ingénieurs mais des ingénieurs avec des psychologues pour changer les comportements dans une économie qui doit intégrer l’énergie dans l’économie alors qu’elle est ignorée intégralement comme par exemple : les ressources. C’est cette interdisciplinarité que je souhaite promouvoir.
Vous insistez beaucoup sur l’enseignement numérique…
« En fait dans ma thèse, j’avais déjà mis en place en collaboration avec le professeur Lamy, le premier simulateur en anesthésie de formation des anesthésistes réanimateurs interuniversitaires. Et on l’avait installé à l’Hôpital Militaire puisqu’il était accessible aux Flamands et aux Wallons. Pour moi, l’assimilation a toujours été un outil de formation et de recherche d’ailleurs.
« Il est clair que quand on est passé en covid à distance, cela a boosté la réflexion sur le numérique dans l’enseignement à tous les niveaux. Je pense que ce qui est vraiment important, et on l’a mis en place grâce aux assises de l’enseignement juste après le Covid, c’est comment le numérique peut aider l’enseignement dans sa qualité.
« Il ne s’agit pas de remplacer le présentiel par le numérique et le distanciel, dirais-je ; il s’agit d’aider à un meilleur enseignement. Et donc, ce que l’on met aujourd’hui en place c’est un plan stratégique de l’enseignement numérique qui a vraiment été créé en concertation avec les enseignants, les étudiants et le personnel scientifique. Ce plan va respecter, je pense, la liberté de chacun de s’inscrire à son rythme dans ce mouvement avec l’objectif premier qui est la qualité de l’enseignement. Ce n’est pas le numérique pour le numérique.
« Généralement ce qui en sort, c’est de l’hybride : que peut-on mieux apprendre par le numérique ? Que peut-on mieux apprendre par un contact, un présentiel et comment combiner les deux ? Mais aussi comment le phaser ? Car ce n’est pas seulement le contenu, c’est aussi le phasage dans une année, deux ou trois années ou même pendant six ans de formation. C’est très important. Il y a des moments où l’étudiant a besoin d’être en présentiel, en travail de groupe, sous tutorat pour apprendre certains concepts et puis il peut retourner chez lui aller revoir certains enseignements en numérique mais il doit revenir après pour rediscuter.
« Tout autant que le contenu, il est nécessaire de se poser : Qu’est-ce que l’on peut enseigner et via quel média ? Quand est-ce qu’on l’enseigne, à quel moment et comment alterner ? C’est aussi fondamental. Mes travaux sur la simulation en anesthésie montraient très clairement qu’en première année d’anesthésie si on est confronté à un simulateur d’anesthésie d’enseignement avec des scénarios beaucoup trop complexes, cela ne servait à rien, les étudiants n’apprenaient rien.
« Par contre si on commençait par un « vidéo game » d’anesthésie avec un sénior à côté et que l’on présentait des scénarii bien choisis avec des complexités croissantes suivi d’un débriefing ; dans ce cas, ils pouvaient se servir du numérique dans leur apprentissage et en tirer vraiment le meilleur parti. C’est aussi bien la construction du scenario que le timing dans la formation qui sont fondamentaux.
Avec cette réflexion sur le numérique, que pensez-vous de l’arrivée de l’intelligence artificielle ?
« J’y travaille depuis longtemps en tant que psychologue et, ce qui m’intéresse, c’est le processus cognitif ; c’est le cœur même de l’intelligence artificielle. Comment reconstituer la prise de décision humaine à travers les technologies ? Il y a une réflexion éthique à avoir qui n’est pas toujours là paradoxalement dans les facultés de sciences appliquées. On n’a pas encore bien intégré la réflexion éthique qui doit se poser. C’est primordial pour moi.
« Et par ailleurs, il faut bien connaitre les possibilités de l’Intelligence Artificielle. On est encore loin du remplacement du cerveau humain par l’Intelligence Artificielle ; on est vraiment à des apprentissages très basiques des technologies et de l’Intelligence Artificielle. Et quand on lit quelques articles récents à travers le prisme justement de la transition environnementale et du coût énergétique, il apparait à quel point la consommation d’énergie de ces gros calculateurs est gigantesque par rapport aux apprentissages qui en découlent.
« Il y a une réflexion justement à avoir, à travers ce prisme, de cette transition environnementale et du coût énergétique de ce pan de recherche. Cela fait partie de la réflexion sur le développement durable. »
Un master en vidéo gameLe journal Le Monde a mis en évidence la création d’un master en vidéo game à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, une « première » en Belgique. Ce cursus a été élaboré en collaboration avec Liège Game Lab, la Haute Ecole de la Ville de Liège et Digital Lab de la Province de Liège. Le professeur Björn-Olav Doso est responsable de ce master. « Le jeu vidéo, précise Mme Anne-Sophie NYSSEN, devient un instrument de recherche et d’enseignement. Ce n’est pas seulement construire un jeu vidéo. « Au Japon, où nous avions été en mission, on a construit un partenariat avec les universités japonaises. Des étudiants belges et japonais ont conçu ensemble de nouveaux jeux vidéo et il y a eu un jury de sélection pour choisir le meilleur. « Ce fut une très belle expérience à la fois de mobilité numérique puisqu’ils n’étaient pas ensemble mais devaient construire quelque chose ensemble à distance. C’était vraiment très intéressant. Ils ont eu beaucoup de difficultés mais ils y sont parvenus malgré la différence des langues ».
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