Fatma Alilate : Cette année, l'Université de Montpellier (UM) fête ses dix ans d'unification
Quels sont les bénéfices et enjeux d'un tel changement de gouvernance ?
Philippe Augé : La création de l’Université de Montpellier en 2015 a contribué à l’émergence d’un établissement capable de fédérer un ensemble de partenaires autour d’un projet structurant pour le territoire.
La réussite de la fusion de l’Université Montpellier 1 et l’Université Montpellier 2 dont on parlait depuis plus de dix ans a constitué le socle pour l’élaboration du programme d’excellence I-SITE qui a permis de faire émerger à Montpellier, une Université thématique de recherche intensive de rang mondial, renommée pour son impact sur les enjeux de société. La réussite de la fusion et le passage à un établissement d’envergure - près de 55 000 étudiants, plus de 5 000 personnels - ont permis de consolider la place de l’Université de Montpellier au cœur de l’écosystème de l’enseignement supérieur et de la recherche avec une stratégie claire autour des sciences du vivant et de l’environnement qui a fait ses preuves, comme en témoigne le nombre important de projets PIA (Programme Investissements d’Avenir / France 2030) dont l’établissement est lauréat.
Elle a, par ailleurs, contribué au positionnement de l’UM en tant que cheffe de file sur le site, renforçant davantage la crédibilité de l’Université de Montpellier auprès de l’ensemble des partenaires et des collectivités territoriales.
La marque de l’établissement et l’impact particulier de l’Université de Montpellier autour de trois grands défis planétaires « nourrir-soigner-protéger » sont aujourd’hui reconnus aux niveaux régional, national et international. De même, la transformation de l’Université de Montpellier a permis de progresser dans les classements internationaux. Ces résultats sont une fierté pour notre établissement même si nous ne courrons pas après les classements.
Certes, lorsqu’ils sont bons, cela fait plaisir et montre que nous sommes reconnus mais il ne faut pas oublier que nous avons, en France, des missions de service public qu’il faut avant tout assumer dans un système fondé sur le libre accès à l’enseignement supérieur et sur la gratuité. Bref, on ne pilote pas une université pour faire la Une des classements mais il n’en demeure pas moins que les classements sont un élément d’identification, un marqueur de visibilité, de notoriété, de qualité et d’attractivité pour des doctorants ou des collègues chercheurs.
FA : Vous avez indiqué vos fortes préoccupations en raison des coupes budgétaires prévues pour cette nouvelle année.
Quelles sont les conséquences de ce contexte budgétaire ?
PA : Depuis de nombreuses années, il est demandé aux Universités d’assumer de nouvelles missions comme l’engagement en matière de transition écologique, le développement de l’appui à l’insertion professionnelle, l’implantation dans les territoires et les villes d’équilibre, la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, une meilleure prise en charge de l’inclusion, actions en faveur de la santé étudiante…
Ces missions ont un coût qui n’a jamais été compensé intégralement par l’État. Plus récemment, de nombreuses mesures en matière de ressources humaines et de rémunération ont été décidées par l’État et n’ont pas donné lieu à compensation intégrale. Cela représente un delta non compensé d’environ 10 millions d’euros par an.
Sans remettre en cause l’intérêt de ces mesures pour notre communauté, il convient, pour autant, de rappeler que l’État doit assumer ses choix et ne peut laisser à la charge de ses opérateurs le financement des mesures qu’il annonce. Un principe de bon sens est que le décideur, l’État, soit le payeur ! Jusqu’à présent, le niveau important de ressources propres que l’Université de Montpellier a dégagé, associé à une gestion rigoureuse, a permis d’amortir l’impact de ces dépenses supplémentaires imposées par l’État mais aujourd’hui cela ne suffit plus.
Un contexte budgétaire contraint et imposé par l’État qui persisterait, imposerait aux Universités, après avoir puisé dans leurs réserves, de freiner leurs initiatives notamment en matière de rénovation bâtimentaire, d’appui à l’innovation et la recherche, d’investissements pédagogiques et d’offre de formations alors même que les Universités françaises ont acquis ces dernières années une visibilité incontestable sur la scène internationale et délivrent des diplômes fortement professionnalisants. Si l’État continue d’imposer aux Universités de prélever dans leurs fonds de roulement, les opérations d’envergure au service de nos étudiantes, étudiants et de nos personnels ne pourront plus être engagées au détriment des usagers, de l’attractivité et des impacts économiques sur les territoires !
FA : Vous êtes inquiet de ce que vous qualifiez de risque de « panne de l'ascenseur social ».
Pouvez-vous rappeler le rôle de l'Université auprès de la jeunesse et l'importance de son développement territorial et international ?
PA : Les Universités publiques françaises sont profondément attachées aux valeurs du service public et ont notamment pour objectif de former des citoyennes et citoyens éclairés.
Elles constituent un formidable instrument permettant au plus grand nombre d’accéder à des formations de qualité, d'acquérir de nouvelles compétences et de s’insérer professionnellement. Elles sont le gage d’une égalité des chances pour toutes et tous. Si nous n’avons plus les moyens de former nos jeunes alors il y a un risque que la promotion sociale, « l’ascenseur social » ne fonctionne plus. Par ailleurs, nos Universités permettent également de répondre, via la recherche et l’innovation, aux grands défis scientifiques nationaux et internationaux. Elles constituent, enfin, des enjeux majeurs pour les territoires en créant des connexions de qualité entre le monde de l’enseignement supérieur, de la recherche et le monde socio-économique.
FA : Quelles sont les ressources que peuvent développer les universités pour pallier les difficultés budgétaires ?
PA : À l’Université de Montpellier, nous déployons depuis des années une politique ambitieuse de développement des ressources propres à travers notamment l’apprentissage, la formation continue ou encore les contrats de recherche.
Associées à une gestion rigoureuse, celles-ci ont permis de limiter l’impact des dépenses supplémentaires imposées par l’État. Il n’en demeure pas moins qu’il est primordial que l’État ne faillisse pas à ses engagements afin que notre modèle des Universités publiques francaises puisse être pérenne et continue à contribuer à répondre aux différentes problématiques auxquelles l’humanité est confrontée.
FA : Dans une concurrence très forte et même commerciale de l'enseignement privé, comment rassurer les étudiants et les parents sur la qualité de l'enseignement de l'Université publique ?
PA : L’attractivité de l’enseignement privé dont une bonne partie a des finalités lucratives repose aujourd’hui sur des modalités de sélection spécifiques, des coûts d’inscription élevés et des brochures de communication luxueuses.
Il est important de rappeler que les faibles frais d’inscription dans les Universités publiques sont fixés par l’Etat. Nos diplômes sont de vrais diplômes, reconnus nationalement et accrédités aux termes d’une évaluation rigoureuse par l’État, contrairement à ce que proposent de nombreuses officines. Les Universités publiques pâtissent sans doute d'une forme de désinformation sur ce qu’elles proposent.
Les méthodes pédagogiques ont beaucoup changé, les équipements proposés sont à la pointe, les expériences internationales sont favorisées, les étudiantes et étudiants sont très bien accompagnés avec la mise en place de dispositifs de réussite, et les taux d'insertion professionnelle sont excellents.
Autre atout majeur des Universités publiques : l'expertise au plus haut niveau de nos équipes d'enseignants-chercheurs et d'enseignants, qui non seulement transmettent les connaissances mais aussi les créent. Les formations proposées au sein de nos établissements reposent sur un fort adossement à la recherche permettant notamment l’acquisition de compétences transversales au plus près de la production des connaissances.
FA : Quels défis pour l'Université de demain ?
PA : Le paysage universitaire a été profondément recomposé depuis quinze ans par un train permanent de réformes. Les enjeux et défis sont nombreux.
D’une part, il nous faut travailler avec le monde académique sur une meilleure préparation et orientation vers les études supérieures et améliorer les conditions d’études car une partie de la population étudiante rencontre d’importantes problématiques financières.
Dépasser le stade d’une autonomie des Universités en trompe-l’œil, que ce soit dans les domaines de la gestion des ressources humaines, du patrimoine, de l’organisation interne, ou encore de la bonne administration de la recherche.
Faire face de manière lucide à la problématique de différenciation entre les établissements.
Maintenir l’attractivité de nos campus universitaires.
Et enfin répondre au défi financier, tant sur les financements publics que sur les ressources propres de l’Université.
Mais l’Université doit également se positionner au cœur des enjeux de la Nation. Elle doit, dans ce cadre, s’armer pour répondre aux défis mondiaux, contribuer à la réindustrialisation du pays et permettre à la France de conserver son positionnement sur la scène internationale, notamment en matière de recherche et d’innovation. Les chantiers actuels autour de la transition écologique, de l’intelligence artificielle ou encore de santé publique en sont des exemples probants.
Propos recueillis par Fatma Alilate
Présidence : Philippe Augé
Dernière modification le vendredi, 07 mars 2025