Apprendre de la crise
Que dire à propos de ces quatre mois qui ont bouleversé le quotidien de chacun d’entre nous, aussi bien dans sa vie professionnelle que dans sa vie personnelle ?
Au sein d’un grand média comme Sud Ouest, comment analyser et traduire ce qu’ont exprimé les lecteurs et de quelle manière ces derniers ont-ils perçu l’information durant toute cette période ? En somme, que nous apprennent ces longues semaines de confinement? Quel a été la place des médias, leur influence sur les comportements et sur la perception de la crise sanitaire ? Est-ce que la confiance entre les « porteurs « d’information et les receveurs s’est accrue ou, au contraire s’est –elle détériorée et, au-delà des seuls médias, celle des experts, scientifiques, chercheurs, universitaires, enseignants ?
Beaucoup de questions mais seulement quelques réponses.
Les constations évoquées ci-dessous ne sauraient bien sûr être le reflet de l’opinion générale. Elles sont basées sur les contacts et les échanges entre un journal et ses lecteurs et ne constituent donc pas un échantillon représentatif de la population française et sans doute pas non plus de la Région car nous ne connaissons ni la profession ni l’âge de ces personnes. Pour autant, les écrits dont aucun n’est anonyme ne sont pas négligeables.
Une certitude cependant. La crise sanitaire a manifestement engendré une appétence d’information incomparable. Car le virus n’était pas une « quelconque maladie lointaine » mais au contraire un danger mortel au seuil de nos portes. Tout le monde s’est senti concerné.
Ce besoin de savoir a eu des effets immédiats.
Sud Ouest mais aussi les autres grands médias ont vu leur audience numérique (dont l’accès à la partie payante via la prise d’abonnements) croître très fortement. 70 millions de visites par mois pendant les mois de mars et d’avril contre 24 habituellement pour le site numérique du journal. De leur côté les ventes de l’édition papier ont certes diminué mais plus en raison d’une distribution erratique de La Poste et de la fermeture de certains distributeurs de journaux que d’un renoncement à l’acte d’achat.
Cette soif de connaissance a poussé également les Français à regarder la télévision : 4h30 par jour en moyenne au mois de mars (étude Médiamétrie), soit 44 minutes de plus qu’en mars 2019. Un record d’audience historique pour la télévision. Besoin de savoir donc mais aussi besoin de communiquer et d’interroger. Les courriels et les courriers adressés au médiateur ont été trois à quatre fois plus nombreux que d’habitude.
Mais, comme souvent lorsqu’il y a un événement imprévu et dont l’impact n’épargne personne, le ton des écrits se modifie avec le temps. On peut distinguer plusieurs périodes. Au moins trois : celle du début du confinement, celle du deuxième mois de ce même confinement et enfin celle du déconfinement.
Dans la première – début mars à début avril- beaucoup d’écrits sur le thème de la solidarité (soignants caissières et caissiers, éboueurs mais aussi journalistes) et sur celui de l’angoisse.
Les personnes témoignaient sur ce qu’était devenue leur vie quotidienne et évoquaient la nécessité de changer de paradigme, suggéraient « le monde d’après ».
La deuxième – début avril à début mai- a fait la part belle aux interrogations et aux polémiques.
Polémiques sur l’origine du virus, sur les masques, sur l’utilisation de la chloroquine, sur la communication gouvernementale. Bref, un condensé de ce que les gens pouvaient voir et entendre tous les jours et à longueur d’antenne sur les chaînes d’info en continu. Et les médias n’en sortent pas indemnes. Même ceux dont le travail a été sérieux et informatif. En relayant les paroles des autorités médicales ou scientifiques parfois contredites dans les jours suivants par les faits, c'est-à-dire de nouvelles découvertes sur le virus et ses capacités, ils se sont retrouvés à leur tour pris dans la tempête de la suspicion et ont été accusés de confondre communication et information. Suspicion à laquelle les réseaux sociaux ont eu un effet de loupe ravageur.
Enfin, pour les lecteurs de Sud Ouest, la troisième période, celle que nous traversons est celle du « douloureux » retour à la réalité économique.
L’angoisse est toujours présente mais elle a pris possession d’un deuxième de terrain, celui de l’économie. A La peur d’une deuxième vague, d’un virus qui s’installerait durablement dans notre paysage, s’ajoute celle du chômage, de l’endettement, d’un avenir sombre etc…
Transformation des médias
Cela étant, la pandémie a eu un effet accélérateur et incité les médias à s’interroger d’une part sur le traitement de l’information et d’autre part, sur leur organisation.
Seul relais d’information puisque privée de réunions la vie publique était à l’arrêt, la presse, en continuant de diffuser et de paraître, a maintenu un lien social. Si elle a bien sûr publié quotidiennement les chiffres de la pandémie, repris les déclarations et les recommandations des autorités sanitaires, elle a développé les informations pratiques (la publication d’attestations de sortie notamment, commerces et établissement publics ouverts etc…). Afin de mieux expliquer la complexité de la situation, elle a multiplié les sources d’information (professeurs de médecines, épidémiologistes, virologues, chercheurs etc…), développé les rendez-vous avec ses lecteurs en créant des rubriques comme « Les questions que vous vous posez » et bien sûr les articles démêlant le vrai du faux.
Mais elle a aussi et surtout considérablement accéléré sa mutation, l’obligeant à se remettre en cause pour survivre. Sans information locale, sans publicité locale (45% des ressources environ) souffrant d’un réseau de distribution affaibli, les journaux régionaux ont du adapter leur outil de production et renforcé la primauté du numérique sur le papier, là où « l’information de s’arrête jamais ». Dans beaucoup de journaux et ce fut le cas à Sud Ouest, les Directions ont eu recours au chômage partiel. Les rédactions ont du s’adapter, faire des choix, simplifier les maquettes et faire sauter les barrières des rubriques ou des spécialités. Ainsi, à Sud Ouest, les journalistes, reporters et secrétaires d’édition, ont principalement travaillé pour le site numérique.
En ces temps de disette d’information locale, les Rédactions ont dû imaginer un nouveau déroulé, de nouvelles pages, des nouveaux rendez-vous quotidiens afin d’éviter un journal dont le contenu aurait été totalement phagocyté par l’épidémie.
Enfin, et ce n’est pas un aspect négligeable, l’épidémie a montré que le télé travail avait toute sa place dans l’organisation de travail des journaux. Pour les entreprises en recherche d’économies, cette organisation qui permet de diminuer l’espace professionnel (moins de bureaux) pourrait être une option intéressante.
Fracture numérique, attention danger !
Pour autant, cette organisation n’a pu être réalisable que grâce à la mise en place d’outils technologiques et « d’équipes supports » capables de répondre en temps réel aux divers problèmes (réseaux, connexions défaillantes, visioconférences, partage de données etc…) posés par cette nouvelle façon de travailler.
Ces méthodes sont-elles applicables partout ? Si l’on peut travailler depuis chez soi où dans un autre lieu que celui de son bureau professionnel, les mois passés révèlent aussi que l’efficacité de ces visioconférences est inversement proportionnelle au nombre de participants. Et que dire de l’attention de ces mêmes participants ?
Fabien Pont
Journaliste, médiateur journal Sud-Ouest
Dernière modification le jeudi, 03 mars 2022