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Pierre est photographe, Gilles dessine, leurs arts se complètent. En 1976, ils se rencontrent à l’ouverture d’une boutique Kenzo, et depuis ils créent ensemble et réinventent la photographie. Annie Madet-Vache, directrice du Musée des Franciscaines, les a invités à visiter le Centre Culturel des Franciscaines de Deauville. Le coup de cœur est immédiat. 

Pendant deux ans, Pierre et Gilles, Annie Madet-Vache préparent une exposition inédite. Le parcours réunit des œuvres et cinq créations dont une installation, autour de la thématique de l’univers marin. Annie Madet-Vache, co-commissaire, reste émue par l’investissement, la générosité et l’humilité du célèbre duo d’artistes.

Fatma Alilate : Pouvez-vous revenir sur la genèse de l’exposition Pierre et Gilles. Mondes marins ?

Annie Madet-Vache : Je voulais raconter quelque chose de leur travail. Je suis de la génération d’Etienne Daho, de son premier album avec cette marinière, le perroquet sur l’épaule – Pierre et Gilles ont réalisé la couverture du disque. Je leur ai proposé une traversée de leur carrière par l’univers marin. Ils étaient enthousiastes à l’idée de cette vision transversale de leur travail sur une thématique qui leur est chère. Ils sont venus visiter les Franciscaines, il y a deux ans. Ils se sont projetés dans l’espace d’exposition.

FA : L’histoire du lieu leur a plu, le musée, ses fonctionnalités ?

A MV : Effectivement le côté transversal d’abord, la manière de traiter les domaines artistiques, de ne pas sectoriser d’un côté une médiathèque, de l’autre le musée. Le « mélange des arts » si vous me permettez l’expression leur a plu et le projet sur le monde marin a débuté. 

FA : Pouvez-vous présenter cette première œuvre La Bière Paillette (Florian Balicco - 2014) ? 

A MV : C’est un clin d’œil parce que la bière paillette est produite au Havre et Gilles est natif de cette ville. Son adolescence a été largement irriguée par la bière paillette, et nous avons trouvé amusant d’accueillir le public avec cette œuvre. C’est une réinterprétation, nous sommes dans une reconstruction onirique. 

FA : Dans leurs mondes marins, différents personnages sont des personnalités célèbres, mais pas seulement.

A MV : L’amitié c’est primordial pour Pierre et Gilles. Il y a Paloma Picasso, Jean-Paul Gaultier un peu plus loin, on découvrira Sylvie Vartan, leur grande idole. Ce sont des personnalités qu’ils admirent ou avec lesquelles ils ont eu une rencontre. Des mannequins répondent aussi à leur construction esthétique et à leurs projets. 

FA : Cette Installation (2025) a été réalisée pour l’exposition ?

A MV : On a eu la chance de les accompagner à leur domicile et on a reconstitué avec eux des objets, des éléments. Leur intérieur est aussi coloré, pop, et rempli que la vitrine que vous avez sous les yeux. En fait, Pierre et Gilles vivent dans un tableau de Pierre et Gilles. Et le parcours commence par des œuvres de jeunesse dont leur premier autoportrait de 1977 - l’année après leur rencontre. 

FA : Dans quel sens l’exposition est inédite ?

A MV : Par le rassemblement des œuvres de séries complétement différentes. On a choisi une approche thématique en réunissant des sujets qui se retrouvent dans leurs productions : les matelots, le port, les Divinités marines... Les fonds marins sont au premier niveau, l’épidémie du SIDA est évoquée par le thème du naufrage. 

FA : On reconnaît immédiatement leur univers, une certaine douceur et le culte du beau.  

1 Pierre et Gilles Philomène Mica Argañaraz 2021 Pierre et Gilles2A MV : Oui absolument. Vous remarquerez aussi la richesse des références. Philomène (Mica Argañaraz – 2021) a été offerte par les Amis des Franciscaines. Sainte Philomène, je ne suis pas sûre que tout le monde connaisse son histoire.

Leur travail s’appuie sur une recherche picturale. Kylie Minogue dans La Vierge aux serpents (2008) – ce pourrait une version contemporaine d’une Madone de Murillo. Des sujets plus graves sont aussi traités comme le dérèglement climatique, l’inquiétude face aux menaces par le plastique des fonds marins.

FA : Pour cette exposition, Pierre et Gilles s’étaient engagés à réaliser deux créations. Et au final, ce sont cinq créations. Ils ont fait preuve de générosité.

A MV : Oh oui, énormément de générosité et d’envie dans ce travail collaboratif. Quinze minutes avant l’ouverture de l’exposition, nous étions encore aux réglages lumières. Avec gentillesse et respect, ils proposaient : « Et si on essayait cet angle ? » Et ils étaient dans le vrai.

Pierre et Gilles, Philomène (Mica Argañaraz), 2021 © Pierre et Gilles

FA : Vous disiez avant l’interview que vous aviez découvert des facettes inattendues de leurs personnalités artistiques.

A MV : Absolument, une méticulosité, la rigueur de leur travail. Le perfectionnisme, je crois que c’est le maître-mot. Tous les décors dans lesquels évoluent leurs personnages sont des réalisations en trois dimensions. On est comme dans un décor de théâtre en multiplans avec le personnage qui est au centre. Par la photographie, l’arrière-plan et des détails sont floutés. Pierre fait la prise de vue, et Gilles intervient pour une reprise par ses pinceaux d’éléments comme le pompon d’un matelot. Les larmes sont retravaillées à la peinture, le travail est extrêmement précis.

La scénographie de chaque toile est issue de compositions réalisées dans leur studio photographique, à leur domicile. On se croirait au BHV, avec un mur presque aussi long que l’espace d’exposition dans lequel nous sommes, et des boîtes en enfilade : « fleurs jaunes », à côté de « fleurs roses », « guirlandes dorées », « guirlandes de couleur »… Tout ce matériel est constamment réalimenté et à disposition pour leurs décors. La construction d’une photo, c’est tout un univers. 

FA : Pour se rendre au premier niveau de l’espace d’exposition, il y a tous ces mini-portraits en mode photomaton ? 

A MV : Ils sont fous de photomatons et surtout Pierre depuis son enfance. Il a associé Gilles à cette passion depuis leur rencontre. Et Pierre en a des tiroirs entiers. Géraldine Faure, graphiste designer, a retravaillé sur cette base et a conçu ce papier-peint. Il nous restait un rouleau, et Pierre l’a demandé pour le mettre à l’entrée de leur chambre. Ils auront un petit bout des Franciscaines !

Propos recueillis par Fatma Alilate

Exposition Pierre et Gilles, Mondes marins

Les Franciscaines, Deauville

Commissaires : Pierre et Gilles, Annie Madet-Vache – Historienne de l’art et Directrice du Musée des Franciscaines

Jusqu’au 4 janvier 2026

Exposition labellisée La Mer en Commun : « Depuis plus de 40 ans, Pierre et Gilles ont fait de la mer une source d’inspiration et un objet de réflexion. Si le premier regard laisse à penser un univers maritime idyllique et fascinant, leurs œuvres dénoncent et alertent sur les pollutions plastiques et la disparition inexorable des beautés des fonds marins. »

Dernière modification le lundi, 29 septembre 2025