George SIEMENS qui vit au Canada et enseigne à l'Université a posé avec Stephen DOWNES les bases d'un nouveau modèle d'apprentissage qui tient compte de l'impact des technologies avec la numérisation croissante des sociétés dans lesquelles nous vivons.
« Le texte fondateur, « A Learning Theory for the Digital Age » (Siemens, 2004), expose ce modèle théorique comme une alternative aux paradigmes traditionnels. Il considère que l'apprentissage est un processus de connexions au sens large, englobant les connexions neuronales, les connexions entre les hommes, les ordinateurs, mais aussi l'interconnexion entre les différents champs de savoirs. L'idée centrale est la notion de réseaux dans une vision systémique de l'apprentissage.
Pour Siemens, le savoir est davantage un flux qu'un produit (« Knowledge as a river, not reservoir ») (Siemens, 2006, p.53). La multiplication des connaissances et le développement des technologies nous donnent accès à beaucoup plus de connaissances que ce que nous sommes capables de traiter (ibid., p. 80). Selon cet auteur, derrière le chaos apparent des connaissances, il existe un ordre, un sens à découvrir. Les questions du contenu du savoir à acquérir et des méthodes d'apprentissage sont complétées par la question du lieu où rechercher la connaissance. »
Ainsi, la capacité d'établir des distinctions entre l'information importante et sans importance est vitale ; les "savoir-faire" et "savoir-quoi" doivent être complétés par des "savoir-où".
Par ailleurs, la capacité à évaluer ce qui doit être appris, l'aptitude à sélectionner les informations pertinentes à acquérir en fonction des connaissances initiales, serait une méta-compétence nécessaire pour que s'engage l'apprentissage. L'apprentissage serait ainsi le processus de création de connexions et de développement de réseaux, les connexions s'effectuant à différents niveaux : Neuronal, cognitif, conceptuel et social. »
Ce qui constitue le coeur de la théorie du connectivisme c'est bien le rôle des liens et des flux entre les individus et les ordinateurs qui les accélèrent et pas exclusivement le contenu des connaissances.
George Siemens qui propose sur son blog plusieurs pratiques connectivistes, destinées aux professeurs et enseignants, met en œuvre avec Stephen DOWNES en 2008 le premier MOOC, intitulé Connectivism and Connective Knowledge. Dispensé à 25 étudiants de l'Université du Manitoba ce cours est également ouvert en ligne et 2 300 participants supplémentaires y ont pris part gratuitement.
INTERVIEW
Nous faisons remarquer à George SIEMENS, qu'il insiste dans la conférence qu'il donne aux JEL de l'Université Lyon 3, sur le fait que la grande majorité des inscrits aux MOOCs (Massive Open Online Courses) sont des diplômés de moins de 35 ans.
"Si le pourcentage des non diplômés est faible, il représente toutefois des milliers d'inscrits de personnes. N'est ce pas là une révolution ?"
Bien sûr répond George SIEMENS, le fait que de plus en plus de personnes non diplômées utilisent les MOOCs pour se former, est en soi une révolution. Il rappelle que l'accès à la formation a toujours été l'objectif premier des éducateurs, même si on regarde au tout début des années 1890, où le souci premier des professeurs était de donner aux hommes l'opportunité d'apprendre malgré les difficultés fussent-ils géographiques, personnelles ou autres. Les MOOCs, en terme d'offres, permettent l'accès à l'éducation et donc à la formation. Un exemple bien concret : si des étudiants d'Amérique du sud, d'Inde, d'Afrique ou de contrées lointaines, ont la possibilité par l'intermédiaire des MOOCs, d'accéder à la connaissance, à des savoirs et de suivre des cours en ligne auxquels ils ne pouvaient pas prétendre il y a une dizaine d'années, c'est en soi une révolution !. Cependant, il note qu'il faut encore améliorer les supports et la manière dont le projet se développe.
Nous lui demandons alors en quoi et comment les MOOCs sont liés et peuvent aider au développement de l'Open Education.
Il espère que les MOOCs sont étroitement liés à l'Open Education même si leurs actuels fournisseurs d'accès ne le sont pas. Donc ce qui doit se passer, et c'est en ce sens que cela constitue un vrai challenge puisque actuellement les MOOCs dupliquent le système éducatif existant, c'est que de nombreuses innovations doivent voir le jour. Actuellement, quand vous vous inscrivez à un MOOC, vous devez suivre le cours dans son intégralité. Pourtant ce cours serait plus utile à l'apprenant, s'il comportait plusieurs unités de valeurs ( ou modules indépendants ) où l'on pourrait s'inscrire et que l'on pourrait suivre à n'importe quel stade du cours ; ce serait en soi une révolution pour promouvoir les ressources en lignes de l'open éducation. George SIEMENS donne l'exemple suivant : un professeur enseignant en France ou au Canada ou dans le monde pourrait choisir telle ou telle unité et l'inclure dans ses cours ; il pourrait apporter également sa contribution au MOOC en y incluant des modules. Une fois que le contenu du MOOC à suivre aura été défini et par conséquent disponible pour apprenants et professeurs, ce projet gagnerait en valeur car chacun pourrait accéder à telle ou telle partie du cours sans avoir à s'inscrire obligatoirement à un enseignement de 4 ou 8 semaines.
Mais George SIEMENS est plutôt préoccupé par le fait que les MOOCs représentent, à un certain stade, un enseignement plutôt « fermé », c'est-à-dire qu'il serait souhaitable qu' un organisme puisse labelliser les programmes et leur permettre ainsi de se développer davantage. Or ces dernières décennies, nous avons assisté au phénomène inverse : les professeurs partagent leurs cours, leurs vidéos sur Youtube ou Wikipedia pour être téléchargés, ce qui est certes, un net progrès pour ceux qui veulent y accéder ; mais si les MOOCs ne sont pas basés sur l'Open Course Ware (projet destiné à mettre gratuitement en ligne des cours de niveau universitaire), ils deviendront un espace « fermé » et cela constituera une régression face aux progrès réalisés ces dernières années.
Question : « la plupart des MOOCs sont en langue française, il y en a peu en français . Quels rôles peuvent jouer la France et le Canada dans le monde des MOOCs ?
La question de la langue utilisée par les MOOCs est, dit-il, très pertinente et capitale. Cette question était déjà à l'ordre du jour lorsque les ressources en ligne de l'open education sont apparues !
Certains évoquent même une espèce de colonialisme de l'éducation. Il prend l'exemple des programmes du M.I.T. ( Massachusetts Institut of Technologie à Boston ) Université spécialisée dans les domaines de la Science et de la Technologie, qui sont le reflet des valeurs américaines, d'une philosophie américaine, des mécanismes de pensée américaine. Aussi dans le but d'empêcher ce type de perspective hégémonique d'apprentissage, il pense qu'il serait bon que les autres pays du monde qui ont leur propre langue, leur identité, leur philosophie et une approche différente du monde, que ces pays -là devraient développer leurs propres MOOCs avec leurs fournisseurs d'accès.
George SIEMENS poursuit son propos en citant l'exemple du système universitaire français : il lui serait, à son avis, plus utile et profitable de créer et de développer sa propre plateforme de MOOCs plutôt que d'envoyer des cours faits en France vers la plateforme COURSERA même si celle-ci a un grand impact sur le public. Ce dont on a besoin c'est davantage d'innovations et d'approches nouvelles pour une meilleure compréhension.
Pour avancer dans ce sens, il serait judicieux d'apporter une attention toute particulière à un projet où les meilleures universités canadiennes et françaises pourraient par exemple, mettre en commun leurs ressources, leurs programmes en langue française.Ce d'autant plus que le français est la 3ième langue parlée au monde. De même, à une plus petite échelle, les pays dont la population n'est que de quelques millions, ont tout à gagner en développant leur enseignement à travers des MOOCs pour préserver leur langue et leur culture, plutôt que d'importer et traduire des connaissances développées dans une autre partie du monde.
George SIEMENS a semble-t-il été entendu.
Le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, vient de créer FUN (France-Université-Numérique), une plateforme de MOOC mise à disposition des établissements de l'enseignement supérieur français et de leurs partenaires académiques dans le monde entier.
Cette initiative vise « à fédérer les projets des universités et écoles françaises pour leur donner une visibilité internationale, et permettre à tous les publics d'accéder à des cours variés et de qualité où qu'ils soient dans le monde. Tous les cours présents sur FUN sont conçus par des professeurs d'universités et écoles françaises et leurs partenaires académiques internationaux. Les étudiants et les internautes peuvent suivre ces cours de manière interactive et collaborative, à leur rythme. Le catalogue de cours disponibles s'enrichira continuellement pour proposer une variété de formations répondant aux besoins de tous les publics. »
Claude TRAN
Dernière modification le mardi, 13 janvier 2015