1. "Cyril di Palma, pourriez-vous présenter l’Association Génération Numérique ?
Quelle est son historique, quelles sont ses missions, ses résultats quantitatifs en matière de sensibilisation et de formation au numérique ?"
Cyril di Palma : Génération Numérique, association loi 1901, agréée par le ministère de l’Education nationale apporte son expertise de l’environnement numérique afin de développer la citoyenneté à l’ère numérique.
Ses actions quotidiennes reposent sur une équipe de 26 intervenants salariés répartis sur tout le territoire métropolitain ; ses actions menées auprès du grand public et des professionnels portent sur l’usage des réseaux sociaux (e-réputation, harcèlement, droit à l’image…), l’accès à l’information sur Internet (lutte contre la désinformation, les haines et les discriminations), les jeux vidéo et aussi sur le rapport des internautes à leur image (confiance et estime de soi, rapport à son corps, injonction de groupe…) quand 90 % des plus de 14 ans ont au moins un compte sur les réseaux sociaux.
Les milliers d’établissements scolaires qui font appel à Génération Numérique apprécient l’intervention d’experts devant leurs élèves, les outils et méthodes pédagogiques utilisés. Ils estiment que les interventions de l’association contribuent à un changement de comportement de la part des élèves. 92 % d’entre eux recommandent l’association !
Depuis 2004, les équipes d’intervenants ont rencontré plus de 4 millions de personnes. Lors de l’année scolaire 2021/2022, ce seront environ 2400 journées d’information, 200 réunions pour les parents, 100 réunions pour les professeurs et 150 formations pour des professionnels de l’éducation qui seront réalisées.
2. Vous publiez des rapports sur les usages du numérique chez les 11-18 ans :
Que pensez-vous de l’âge de la majorité numérique en France (15 ans) ?
De l’addiction précoce des jeunes vis-à-vis des écrans et que préconisez-vous pour un dialogue parents-enfants pour mieux appréhender les opportunités et les risques du numérique ?
La dernière enquête menée de septembre 2021 à janvier 2022 auprès de 17 013 jeunes de 11 à 18 ans (questionnaire en ligne envoyé avant nos interventions en classe) montrent :
- près de 6 jeunes de 11 ou 12 ans sur 10 sont déjà inscrits sur au moins un réseau social (% stable)
- près de 2 jeunes de 11 à 18 ans sur 10 ont déjà rencontré un problème sur Internet sachant que 4 9% de ces problèmes sont rencontrés avec un inconnu. 34 % des 11-14 ans et 52 % des 15-18 ans ont déjà accepté d’échanger avec un inconnu. Parmi les principaux problèmes rencontrés par les 11-18 ans, les disputes en ligne (58 %) ou les insultes (48 %) sont très loin devant les comptes piratés (11 %) ou les arnaques (7 %).
- concernant leur sécurité en ligne, 62 % des 11-18 ans ne changent jamais leurs mots de passe ; c’est le même mot de passe pour tous les sites pour 43 % d’entre eux ; 21 % des 11-18 ans les a déjà donnés à quelqu’un !
- concernant les relations familiales : 71 % des 11-18 ans ont toujours un appareil numérique dans leur chambre ; 31 % se réveillent ou restent éveillés pour être sur leur écran ; 29 % des parents laissent à leurs enfants la gestion du temps et des moments de connexion.
Ces éléments factuels permettent de répondre à la question de la majorité numérique, 15 ans en France, et du rapport aux écrans.
Même si l’inscription aux réseaux sociaux ou aux forums de jeux vidéo est interdite aux moins de 13 ans, force est de reconnaître qu’ils sont très nombreux à mentir sur leur âge (46 % des 11-18 ans) pour accéder aux services proposés.
D’une part, il faut préciser que lorsqu’ils mentent sur leur âge, ils ne cherchent pas à avoir l’âge autorisé (13 ans) mais peuvent parfois changer de dizaine. Ainsi, en déclarant avoir 20 ans au lieu de 10, ils ne bénéficient pas de la protection de certaines plateformes comme Instagram ou TikTok qui laissent les comptes des moins de 16 ans en privé, par défaut.
La protection voulue par le RGPD n’est pas efficace car elle est trop largement et facilement contournée.
Que faire ? Comme le contrôle de l’âge par les plateformes ouvre le débat de la protection des données personnelles, il semble plus réaliste et plus pertinent que les parents puissent avoir un oeil sur les usages de leurs enfants.
De la même manière qu’un parent interroge son enfant sur sa sortie au parc ou au stade afin de savoir avec qui son enfant sera, où il compte aller, quand il rentrera, ce qu’il a prévu de faire… ces mêmes questions s’appliquent à leur vie numérique. Que les parents se sentent légitimes à connaître sur quelles plateformes vont leur enfant, pourquoi leur enfant a plusieurs comptes, ce que leur enfant aime ou recherche dans telle ou telle plateforme, qui il y côtoie… Que les parents soient rassurés : ce n’est pas parce qu’ils ne savent pas à quoi ressemble TikTok ou Snapchat qu’ils n’ont pas leur rôle à jouer.
Les enjeux et les risques du monde numérique sont identiques à ceux de la rue. Ainsi, les conseils que les parents peuvent donner à leur enfant dans la vie de tous les jours se déclinent également sur les réseaux. Tout est question de dialogue au sein des familles.
3. La discipline Informatique et Sciences du numérique d’abord apparue en classe de terminale s’est progressivement généralisée au lycée.
Que pensez-vous nécessaire de faire pour inculquer une éducation au numérique plus précoce, pour que les enfants aient des repères en matière d’algorithmique par exemple, etc. ?
Quels outils numériques français et européens les écoliers pourraient-ils utiliser en alternative au GAFAM ?
L’introduction de la discipline Informatique et Science du numérique au lycée arrive à un âge auquel les enfants ont déjà eu plusieurs vies numériques, ont évolué d’un réseau à un autre au gré des modes, de leur évolution propre ou de leur communautés d’amis.
L’éducation commence bien en amont du lycée pour que l’enfant, dès qu’il entre en contact avec un écran (de télé, de tablette ou de smartphone) soit informé par ses parents des « règles du jeu » :
En définissant un cadre (temps et durée), en diversifiant ses pratiques (il y a plein de choses à faire grâce et par Internet mais il y a aussi des activités hors ligne) et en mettant en perspective ses usages avec le monde actuel (logique économique, enjeux sociétaux, environnementaux ou politiques), les parents contribuent à faire grandir leur enfant, à l’autonomiser et à l’aider à comprendre les tenants et les aboutissants du monde actuel.
Concernant la question de l’exposition aux écrans, il n’existe pas d’addiction aux écrans. Il peut exister des comportements problématiques liés à un usage intensif.
Dans ces cas, l’écran est souvent moins la source du problème que le révélateur. La question est moins de limiter la présence des enfants (ou des adultes) sur les écrans que de se questionner sur l’usage qui en est fait : regarder 1 heure de publications sur un réseau social pour se divertir ne correspond pas du tout à regarder pendant 1 heure la chaine YouTube de « C pas sorcier ». Il doit exister des moments de détente ou de divertissement comme il doit exister des moments pour s’informer ou se cultiver. Tout est une question d’équilibre.
Concernant les enjeux économiques, sociétaux, environnementaux ou politiques de l’usage du numérique, nous devons prendre du recul sur la « gratuité » des nombreux services « offerts » par les GAFAM en rappelant que « quand c’est gratuit, c’est toi le produit ».
A partir de cette réflexion d’ensemble, charge à chacun de choisir les outils qui répondent à ses objectifs individuels : par exemple, Ecosia est un moteur de recherche qui reverse 80 % de ses bénéfices à des ONG mais sa technologie repose sur le moteur de recherche de Microsoft (comme Qwant). Rien n’est parfait ou simple.
Sur l’impact politique ou sociétal, les réseaux sociaux constituent à la fois un merveilleux outil de communication et un terrible outil de communication.
Là encore, les parents ont un rôle fondamental à jouer en contribuant à éduquer leurs enfants aux médias et à l’information, en leur expliquant que toutes les sources ne se valent pas, qu’il existe des procédés pour influencer (comme la publicité) ou manipuler (dérives sectaires) sur Internet et que notre seul moyen de défense est d’apprendre à vérifier, à prendre du recul sur les recherches effectuées (les algorithmes peuvent enfermer l’internaute dans une bulle qui contribuera à ne lui montrer qu’une partie des arguments) et à prendre du temps avant de liker, de poster ou de partager un contenu.
Dernière modification le jeudi, 01 septembre 2022Cyril di Palma est Délégué Général de l’Association Génération Numérique. Dès 2004, il propose au ministère de l’Education nationale un « Tour de France des collèges » pour informer les élèves, les parents et les professeurs des usages numériques, des enjeux et des risques liés à ce nouvel écosystème. Cette action menée par les intervenants de Génération Numérique permet d’éduquer près de 350 000 élèves et adultes tous les ans, partout en France.