Stéphanie, tu as écrit un manuel d’autodéfense pour dompter les trolls, peux-tu nous dire pourquoi et ce que sont exactement les trolls ?
L’écriture ce livre vient du désir de partager mon expérience acquise depuis quelques années dans ma confrontation régulière aux trolls. Je suis désolée de constater que beaucoup de gens formidables fuient les réseaux sociaux ou s’y expriment de moins en moins parce qu’ils ne veulent pas être agressés pour un oui ou pour un non.
Quant à la définition du troll, elle est complexe et non consensuelle, tout un chapitre du livre est d’ailleurs consacré à cette question. On peut néanmoins dire qu’un troll est un internaute qui dans une conversation intervient pour semer la pagaille sans volonté de débattre ou de convaincre. Il est volontiers caricatural, agressif et violent dans son expression pour faire sortir ses interlocuteurs de leurs gonds ou les réduire au silence en les sidérant.
Attention, un troll n’est pas seulement quelqu’un avec lequel nous sommes en désaccord, mais le prétendre peut-être tentant car cela discrédite la personne qui nous contredit.
L’ouvrage propose une liste de 22 critères permettant de considérer que l’on a affaire à un troll si notre interlocuteur en cumule la moitié ou plus. On peut aussi trouver ce test sur le blog compagnon du manuel.
À qui s’adresse exactement ce livre ?
Ce livre s’adresse à toute personne qui est active sur les réseaux sociaux et donc susceptible d’être confronté à des trolls. En effet dès que l’on partage du vécu, des valeurs ou que l’on milite pour une cause on peut se retrouver à tout moment face à des interlocuteurs agressifs. Les enseignants sont bien sûr concernés mais aussi les autres professions et les militants et militantes politiques, associatifs, féministes… En fait ce livre s’adresse aux 94% d’internautes qui ne sont pas des trolls[1], même s’ils sont imparfaits, peuvent se montrer maladroits, ils sont globalement respectueux et dans l’échange. Il n’est pas pour autant interdit aux trolls, surtout que nous pouvons tous à un moment ou à un autre nous comporter en troll et qu’il s’agit d’un rôle, d’un costume et non d’une identité stable et définitive.
À quoi sert concrètement ce manuel d’autodéfense ?
Au-delà du titre un peu provocateur, il donne plutôt des outils pour se dompter soi-même face aux trolls.
On ne peut changer les trolls ni les faire taire ou disparaitre, par contre on peut agir sur nous-mêmes pour ne pas être déstabilisés, ne pas devenir agressifs à notre tour et surtout ne pas souffrir. On peut même envisager d’utiliser les trolls à des fins d’amélioration de soi (sang-froid, répartie, rigueur…) et au service des messages que nous voulons faire passer. On oublie souvent quand on est confronté à des trolls qu’il y a de nombreux lecteurs silencieux qui n’interviennent pas dans l’échange mais le lisent et se font un avis en fonction de notre attitude face aux provocations des trolls.
Très concrètement le manuel propose des outils pour répondre aux trolls, pour les ignorer et pour déterminer comment choisir entre ces deux possibilités. Il détaille comment gérer les raids numériques (quand on est submergé de messages agressifs), comment venir en aide aux victimes et les soutenir efficacement. Il propose également des outils empruntés au développement personnel pour vivre de façon sereine, voire positive et constructive, notre exposition aux messages trollesques.
Le livre comporte aussi des éléments permettant de prendre du recul pour bien nous recentrer sur ce pourquoi nous nous exprimons en ligne sans laisser les trolls nous en détourner.
Enfin dans la dernière partie le propos est élargi aux façons d’agir contre les discours de haine en général, car nous pouvons chacun, à notre mesure, contribuer positivement à l’ambiance qui règne dans ces espaces numériques communs.
As-tu quelque chose à ajouter ?
Oui, je souhaite vraiment que l’on lève le tabou qui consiste à ne pas parler des trolls, par crainte de les fâcher et donc de les provoquer. Nous sommes beaucoup plus nombreux qu’eux, il n’y a aucune raison de leur laisser le champ libre en désertant les espaces numériques où ils sévissent. Parler d’eux, de ce qu’ils se permettent de faire et surtout se serrer les coudes est pour moi essentiel.
Si ce livre ne servait qu’à permettre que ce sujet soit abordé de façon claire et ne soit plus tabou, ce serait déjà un résultat très important pour moi.
[1] L’étude « Trolls just want to have fun » estime que les trolls représenteraient moins de 6% des internautes, voir cet article en français
Dernière modification le samedi, 09 février 2019