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Les rencontres e-educ ”, organisées par les 14 communes de Gironde en partenariat avec la direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN33), ce sont plus de 12 heures de contenus pour faire le point sur le numérique en éducation dans nos écoles : Déploiement du nouveau dispositif numérique  “Découvrir ISI”, présentation des usages en classe à travers les “Cas d’écoles”, et aussi, la situation et les tendances en France, avec un regard rétrospectif dans les “Cahiers d’Histoire” et enfin, questions suscitées par les usages et la place nouvelle du numérique dans l’école lors des “Quotidiennes”. A l'heure du "distanciel " quid des ENT déployés en France depuis 2006 !

Cahiers d’Histoire “ Les ENT ”

L'histoire des ENT, une véritable saga racontée par Jennifer ELBAZ, vice-Présidente de l'An@é.

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S'en suivra un échange avec Joël BOISSIERE, Directeur de projets stratégiques, pôle stratégie et transformation, département de la transformation numérique et de la stratégie digitale, Simon FAU, Président, EFFIOS, Michel PEREZ, Président de l’An@é, inspecteur général honoraire, Ministère de l’Education Nationale, Philippe PROBST, Chef de projet ENT et projets territoriaux de services numériques pour l’éducation

 

Accès à la vidéo

https://www.rencontres-e-educ.fr/cahiers-dhistoire-replays/#lesent

 

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Nous avons posé quelques questions à Michel Pérez, président de l'An@é qui, lors de son activité à l’Inspection générale de l’Education nationale, a été amené à participer à plusieurs rapports sur ce sujet.

Quelle est la place occupée par l’ENT dans l'écosystème scolaire ?

Les Espaces numériques de travail ont occupé une grande part de l’effort public en termes d’activité et d’investissement depuis leur lancement par l’arrêté du 30/11/2006 (il y a 15 ans).

Je ne connais pas les montants pour ces dernières années, mais ils sont sans doute considérables, rapportés à ceux des derniers plans ENIR (7400 communes sur 16.000) et au Plan exceptionnel de relance continuité pédagogique de 2021 - Appel à projet pour un socle numérique dans les écoles élémentaires. Doté de 105 millions d’euros. Soutenir la transformation numérique : Équipement, ressources, accompagnement. 

  1. Que sont les ENT ?

« Un espace numérique de travail (ENT) désigne un ensemble intégré de services numériques choisis et mis à disposition de tous les acteurs de la communauté éducative d'une ou plusieurs écoles ou d'un ou plusieurs établissements scolaires dans un cadre de confiance défini par un schéma directeur des ENT et par ses annexes. Il constitue un point d'entrée unifié permettant à l'utilisateur d'accéder à ses services et contenus numériques. Il offre un lieu d'échange et de collaboration entre ses usagers, et avec d'autres communautés en relation avec l'école ou l'établissement. »

Durant mon activité à l’Inspection générale de l’Education nationale, j’ai été amené à participer à plusieurs rapports et à en piloter également plusieurs, tels que les deux rapports sur le plan DUNE en 2010 et 2011 (Luc Chatel), ceux sur les généralisations des usages en collège dans les départements de Corrèze et des Landes, le grand rapport sur la « Filière industrielle du numérique éducatif » demandé par 4 ministres (Education, Recherche, Economie, Innovation et économie numérique), remis en 2013 (Vincent Peillon) et qui a été la base de nombreuses dispositions de la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’Ecole de la République en 2013, en 2015 le rapport de l’IGEN sur l'utilisation pédagogique des dotations en numérique (équipements et ressources) dans les écoles.

Or, au coeur des différentes investigations que nous avons menées sur le terrain, l’ENT n’est jamais apparu comme étant un élément central et déterminant de la rénovation pédagogique liée au numérique éducatif. Les équipements des salles de classe, des établissements, l’équipement individuel des élèves et surtout l’accès aux ressources pédagogiques (granulaires ou intégrées) ont été les pierres angulaires sur lesquelles s’est fondée l’action gouvernementale en lien avec les collectivités territoriales.

Exception faite par le apport IGEN 2009 « Modalités et espaces nouveaux pour l’enseignement des langues vivantes » qui mentionne l’efficacité de l’association Baladodiffusion (écoute individuelle de documents sonores) et ENT sur lequel on accède aux contenus à écouter ou à voir. 

  1. Quelle place physique occupent-ils ?

Par niveaux d’enseignement

Le premier degré (enseignement élémentaire) est le maillon faible : Quinze ans après le lancement des ENT, le premier degré n’a toujours pas décollé. 

Seulement le tiers (28 %) des départements ont généralisé l’usage d’un ENT pour la totalité des écoles. 

Mais au total, 42 % des départements sont en voie de généralisation d’équipement des écoles en ENT.

58% des départements restent à l’état de projet 

  1. Le coût des ENT a été l’obstacle majeur à l’accès des écoles des communes les plus petites 

On note la faiblesse du recours aux ENT et de fortes inégalités entre les communes. Une récente 'étude nous apprend que seules 14% des communes financent un ENT alors que : 6,79% des communes de moins de 2.000 habitants ont recours à un ENT, 36,36% des communes de plus de 50.000 habitants ont recours à un ENT

https://www.banquedesterritoires.fr/numerique-educatif-lecole-elementaire-pas-de-cadrage-national-des-inegalites-territoriales

Mais pour le Numérique éducatif : la dépense moyenne annuelle par élève a été multipliées par 4 en 5 ans 

8,24 € en 2012 à 30,03 € en 2017 = + 264 % en 5 ans ; + 53 % par an. 

Un financement très inégal pour le numérique éducatif selon la taille des communes : Ce sont les communes les plus grandes qui mettent le plus de moyens dans le numérique éducatif. 

Le financement des petites communes est trois fois moins élevé que celui des plus grandes. 

Un rapport de 2019 traduit "de véritables inégalités territoriales", lesquelles sont encore accentuées du fait qu'une commune sur dix seulement inscrive sa politique dans un cadre intercommunal.

  1. Faiblesse du recours aux ENT et inégalités entre communes

Parallèlement, des solutions de mutualisation ont été mises en place 

L' ALPI (Agence landaise pour l’informatique- depuis 2009, équipe la quasi totalité des écoles des Landes Landécoles de Beneylu School. Il s’agit alors, comme souvent, d’un outil partagé écoles et collectivités territoriales sur le site Médialandes.org.

Alienor est un ENT développé dans l’Académie de Bordeaux pour les écoles. 

Anper 95, ENT du département propose un accès à l’intégralité du cycle 3 qui inclut le premier degré et le collège (CM1, CM2, 6ème), excellente initiative.

Le coût élevé de ces dispositifs semble être le frein majeur à leur développement 

Exemple Beneylu School : 53€ pour 1 classe par an. Environ 2,50€ par élève.

- De ce fait, « La transition numérique à l'école élémentaire n'est pas pour demain, d'après une étude de l'université de Poitiers. En plus des carences de l'Etat en termes de stratégie, les inégalités de financement handicapent les plus petites communes. » Rapport cité par la Banque des Territoires 2019.

https://www.banquedesterritoires.fr/numerique-educatif-lecole-elementaire-pas-de-cadrage-national-des-inegalites-territoriales

  1. Dans les collèges : 

La généralisation d’accès à un ENT par départements n’est pas réalisée en totalité : elle ne concerne que 80 % des collèges (8 % généralisation partielle)

Le fait le plus marquant est la diversité des solutions proposées selon les départements et parfois même en contradiction avec les solutions régionales concues pour les lycées, mais en théorie accessibles aux collèges. 

Ainsi, par exemple les Hautes Alpes (05) proposent 3 solutions distinctes : Envole, PSE et Atrium (logiciel propriétaire Région PACA-Corrélyce). 

Mon ENT Occitanie développé par la Région est accessible aux collèges, mais change de nom selon les départements eCollège31 ou ENT Languedoc-Roussilon (66), toujours avec la même solution Kosmos.

Dans l’académie de Bordeaux, les départements se sont connectés à Osé (anciennement Argos ENT académique, logiciel libre).

  1. Dans les lycées

100 % des lycées, y compris DOM, ont accès à un ENT, ce qui montre bien que la capacité d’investissement est le moteur de la construction de ces espaces. 

  1. En termes de solutions industrielles 

En ordre dispersé : une très grande diversité de solutions industrielles. Question : sont-elles interopérables? 

- 11 solutions différentes dans le premier degré

- 17 solutions dans le second degré, souvent développées par les mêmes industriels.

Mais certaines solutions sont réalisées avec des logiciels libres.

On peine à comprendre la nécessité d’une telle hétérogénéité qu’il faut sans doute la rapporter à celle des options politiques et locales des collectivités concernées, soumises parfois à un démarchage intensif des fabricants, en dehors de tout cadrage national, hormis celui du SDET.

Le Gestionnaire d’Accès aux Ressources offre une garantie de sécurité pour les élèves par rapport aux fournisseurs de ressources : 

- 28 ENT sont déployés dans le GAR.

Existence aussi du CARMO : Cadre de référence d’accès aux ressources pédagogiques via un équipement mobile. Puisque les équipements mobiles, y compris personnels sont désormais utilisables.

  1. L’ENT dans la classe... quels sont selon vous les acquis et les questions ouvertes ?

Dans la classe :

- En termes pédagogiques : les ENT ne correspondent pas à une attente des enseignants. Ils n’ont pas été faits pour eux.

Ils ont surtout connu leur succès autour des applications de vie scolaire, à l’instar de ProNote, (puis aujourd’hui EduMouv) plébiscitée par les chefs d’établissements qui ont parfois exigé l’intégration de cette application à l’ENT. Pour répondre aux besoins des enseignants, une plateforme Moodle aurait fait l’affaire.

- La pédagogie n’est pas une affaire de structures.

C’est la relation directe enseignant-élève-groupe classe dans la salle de classe qui est au coeur de la pédagogie au travers d’activités de classe, de groupe ou individuelles. 

Les enseignants ont surtout besoin de ressources validées et actualisées et d’un accès individuel pour les élèves (tablettes notamment). 

- Les besoins des enseignants s’expriment toujours en termes d’équipements et d’usages à partir de ressources granulaires et modulaires qui leur permettent de proposer des activités pédagogiques sur tel ou tel point d’apprentissage: exerciciels, ressources documentaires, outils de conceptualisation etc.

- Le manuel scolaire, fût-il numérique n’a jamais été plébiscité par les enseignants (cf « Le manuel scolaire à l’heure du numérique », rapport de l’IGEN aquel j’ai participé en 2010). Et son coût est généralement prohibitif.

  1. L’ENT offre des avantages :

- Avantage d’une gestion individualisée des activités et d’un suivi personnalisé par l’analyse des performances individuelles et des besoins d’approfondissement, via l’analyse des données d’éducation.

- Favorise travail collectif et co-construction des savoirs en groupes

- Avantage de permettre un continuum pédagogique, voire éducatif par une gestion en continuité des apprentissages école/maison sur des ressources bien identifiées et protégées. Avantage majeur, on l’a vu durant la période de confinement Covid-19.

- Accès à des banques de ressources conséquentes, notamment en termes documentaires, littéraires ou de services (applications dédiées à certains apprentissages).

- Accès sécurisé et contrôlé, via le GAR aux ressources éditoriales.

  1. Les acquis en termes organisationnels : 

 

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- Imbrication des différents niveaux de scolarité et de collectivités (Académie/communes) : tant mieux. Cela permet de pallier les carences locales.

- Les collectivités territoriales se sont emparées de leur responsabilité éducative en partenariat avec les autorités académiques en association souvent avec l’éditeur institutionnel Canopé. 

- Mise en place du Comité des Partenaires du numérique pour l’Éducation, destiné à harmoniser les décisions d’investissement et de mise en oeuvre du numérique.

La création du service public du numérique éducatif rend nécessaire une nouvelle démarche de gouvernance, concertée et partagée, entre tous les niveaux de pouvoir public, permettant d'associer pleinement les collectivités territoriales et l'Etat dans leurs décisions en matière de développement du numérique à l'École, dans le respect des compétences de chacun.

- Entrée directe des parents dans la scolarité de leurs enfants, contact facilité et visibilité plus nette sur les activités, les attentes, les progrès etc.

- Points faibles :

Lourdeur du dispositif, son coût, son investissement humain... Financement difficile.

Les questions qui restent posées : L’inégalité d’accès au numérique

Face à une telle diversité de solutions, de contenus, de situations :  l’inégalité d’accès à l’éducation pour tous les enfants est évidente. 

La diversité des territoires qui rend caduque l’idée d’égalité face à l’éducation, de tous les enfants, de tous les territoires et de tous les âges : cela est particulièrement vrai dans le premier degré.  

Taille de la commune : Il n’est pas admissible que les enfants vivant dans les communes de moins de 2000 habitants aient 6 fois moins accès à un ENT que ceux des communes de plus de 50.000 habitants (6 % à 36 %).

Moyens de la collectivité : La diversité et l’abondance des solutions proposées dépendent étroitement des moyens financiers dont disposent les collectivités territoriales : notamment pour les communes lorque des solutions départementales n’existent pas. Ici aussi de fortes disparités sont présentes.

La diversité des débits disponibles selon les régions, les départements et les communes : l’ADSL est présent, mais à quel débit ? La fibre est loin d’être partout présente... 

La faiblesse de certains réseaux rend impossible l’usage collectif en masse des solutions proposées par les ENT 

On constate pourtant qu’au niveau des communes, le déploiement ne coincide pas avec l’état des réseaux : exemple Landes, Bretagne etc. Le  projet politique est déterminant (La Haute-Garonne est toujours à l’état de projet pour le 1er degré).

L’ENT est la ROLLS du numérique pour l’éducation, mais il présente énormément d’inconvénients :

  • son coût, 

  • sa lourdeur : moyens humains et techniques aux 2 bouts de la chaîne

  • les disparités des solutions proposées > inégalités

  • la diversité des accès : réseaux, moyens des collectivités, exclusion des petites communes 

  • Le manque d’équipements individuels des jeunes et des familles

  • Les ENT génèrent de grandes inégalités entre les élèves

Les avantages constatés valent-ils que l’on consacre 300 000 euros par an aux ENT alors que l’accès aux réseaux est défaillant et que l’équipement individuel des élèves (très inégal selon les conditions économiques) ne permettent pas un travail régulier pour tous ?

N’aurait-il pas été préférable 

- de construire des VLE (Virtual Learning Environment) ou LMS (Learning Management System) à l’échelle d’une commune ou d’un établissement autour de plateformes Moodle ou Raspberry Pi pouvant communiquer via le réseau Internet ? 

- d’équiper massivement les élèves et les établissements ?

- d’investir sur la mise à niveau des réseaux numériques ? 

Par Michel Pérez - Propos recueillis par Educavox

Cahiers d’Histoire : “ Les Environnements Numériques de Travail ”

https://www.rencontres-e-educ.fr/cahiers-dhistoire-replays/#lesent

Dernière modification le samedi, 10 septembre 2022
Laurissergues Michelle

Présidente et fondatrice de l’An@é, co-fondatrice d'Educavox et responsable éditoriale.