fil-educavox-color1

"Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer.” Antoine de Saint-Exupéry

Cet article est l’aboutissement d’une expérience pédagogique menée dans ma classe de CE2 en Gironde pendant l’année scolaire 2015-1016, sous le tutorat d’Amélia Legavre et de François Taddei, membre et directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires de Paris. L’idée était d’associer les élèves à la création d’un environnement d’apprentissage favorable dans leur classe et de développer ainsi leur intérêt pour “l’apprendre”.

Au départ de ce projet, un dispositif, Les Savanturiers- L’école de la recherche, une envie, explorer le lien entre apprentissage et plaisir, une proposition de partenariat de François Taddei après un congrès de jeunes chercheurs.

Depuis, une classe de CE2 en réelle ébullition et des élèves dont la pertinence des questions et des interventions en viennent à m’impressionner.

Une attitude et une confiance qui se sont progressivement construites au fil de l’année à travers un projet très ramifié qui aura utilisé des démarches pédagogiques souvent qualifiées d’ « innovantes » : l’apprentissage par le questionnement, par la recherche, par projets, par la pensée design ou « design thinking » (1), par le numérique. Tout ceci mis en place dans le but de découvrir et donner du sens à une notion interdisciplinaire : l’apprendre.

Réfléchir aux manières d’apprendre en faisant le choix d’impliquer les élèves allait forcément remettre en cause ma propre manière d’envisager les choses au sein de ma classe, ma « posture » d’enseignante et donc ma propre pédagogie. Plus qu’une histoire de techniques, c’est une bien belle aventure humaine que je vis et dont j’apporte aujourd’hui le témoignage. Il serait trop long d’expliquer tout ce que nous avons fait en une année mais j’exposerais ici quatre axes de ce projet en mettant en relation quelques outils qui me semblent significatifs.

Ma première hypothèse est que l’on apprend mieux lorsque l’on se sent bien : à la fois quand on se sent « à l’aise » dans l’espace de la classe et lorsqu’on s’épanouit dans ses relations avec les autres, élèves et enseignant.

La première étape a donc été d’utiliser une démarche de « design thinking » pour que les enfants définissent les coins de la classe à réaménager : les bureaux ont changé de place plusieurs fois, les enfants ont souhaité ajouter un tapis, des coussins, des jeux et ils ont même proposé d’installer un distributeur de bonbons que nous utilisons pour célébrer les grandes réussites collectives du groupe.

Dans cette idée, les enfants possèdent également un carnet de réussites sur lequel ils notent, au moment opportun pour eux, leurs réussites qu’elles soient scolaires, citoyennes ou humaines et qu’elles prennent place à l’école comme à la maison. Relu depuis le début, c’est un outil pour apprendre à prendre confiance en soi et dans sa capacité de réussir. Les enfants l’adorent.

Enfin, nous avons mis en place de nombreux moments de discussion : des débats coopératifs qui régulent les tensions en  permettant aux enfants de proposer des solutions, des débats philosophiques autour de l’apprendre (« Qu’est-ce qu’apprendre ? », « Pourquoi apprendre ? », « Comment mieux apprendre ? »…) qui leur ont appris à prendre la parole de manière organisée pour exprimer un point de vue, à réagir aux mots d’un autre, à construire une argumentation.

Cet exercice s’est progressivement mis en place, encourageant les timides à prendre la parole, incitant les plus actifs à attendre leur tour pour s’exprimer… Il a créé un véritable espace d’échanges au sein du groupe et permis aux élèves d’entrer dans la notion complexe de « l’apprendre » en confrontant leurs premières idées.

Ma deuxième hypothèse est que le questionnement constitue un moteur fondamental pour l’apprentissage.

3IMAG0037Le questionnement, inné chez l’enfant, est parfois éludé par les adultes par manque de temps. Par conséquent, nos élèves sont souvent passifs et attendent une transmission du savoir sans aller le chercher.

Cette année, j’ai fait le choix inverse : encourager ce questionnement, lui permettre de s’exprimer à tout moment en classe et sans aucune restriction de thème grâce à l’utilisation d’une boîte à questions.

Collecter des questions est une première étape mais l’essentiel se passe ensuite : régulièrement, des questions sont tirées au sort, débattues de manière collective en émettant les premières hypothèses de réponse.

Puis, un travail de recherche documentaire se met en place : sur des livres, sur internet et si aucune réponse n’est trouvée, nous essayons de faire appel à des personnes qualifiées dans le domaine concerné. Ce fut le cas d’Alexandre Lacroix, philosophe, pour répondre à la question « Pourquoi ferme-t-on les yeux quand on fait un bisou sur la bouche ? ». Ces premières recherches ne furent pas faciles. Quand on n’est pas encore un lecteur expert, rechercher, trier et sélectionner l’information dans un livre, utiliser un moteur de recherche sécurisé, avoir un regard critique sur la pertinence des réponses trouvées est un exercice difficile mais important.

Afin d’apporter une motivation à ces recherches, nous avons décidé d’en faire un magazine numérique et de les partager avec tous. L’apport interdisciplinaire de son contenu, le travail de groupes et l’utilisation du numérique liés à la recherche des réponses et à la rédaction du magazine nous ont permis de gagner un concours d’innovation pédagogique (2).

Ma troisième hypothèse est que la diversité pédagogique et didactique représente une véritable source de motivation.

Comme disent les enfants « Nous, ce qu’on adore, ce sont les projets collaboratifs, surtout s’ils utilisent le numérique ».

Ils se sont ainsi plongés dans de nombreux projets au cours de l’année : disciplinaires comme la Twictée (3) ou interdisciplinaires comme « animehistoire », un projet québécois de littérature collaborative augmentée dans lequel nous devions à la fois inventer la suite d’un récit et illustrer une autre partie en réalisant un film en réalité augmentée.

Les principales difficultés ont ici concerné notre accès au numérique et nos compétences en la matière : seulement deux PC en classe, une classe mobile défaillante, pas de tablettes et une totale découverte des logiciels de montage.

Malgré tout, les enfants restent très demandeurs de l’utilisation du numérique. Au-delà, le projet qui aura le plus marqué les enfants en termes d’engagement restera le dispositif Bâtisseurs de possibles dont la démarche est également issue du design thinking.

Les enfants partent ainsi d’une préoccupation collective (pollution, incivilités, violence...), imaginent des solutions, en choisissent une, testent sa validité puis la mettent en œuvre. Ils sont donc acteurs de la conception à la réalisation du projet.

Le rôle de l’enseignant est ici de leur permettre d’entraîner leur créativité et leur sens des responsabilités tout en s’effaçant le plus possible. Il aura fallu quatre essais pour que ma classe parvienne à concrétiser un défi : les premières idées qui concernaient une aide aux migrants puis une course aux déchets dans la ville n’ont pas pu aboutir (absence de migrants accueillis dans notre ville, plan vigipirate et restriction des sorties scolaires). Il aura fallu du courage et de la ténacité pour finalement organiser un défi afin de lutter contre la pollution entre le domicile des élèves et l’école en invitant toutes les classes à participer. Côté bilan, 73 enfants auront participé à trois jours d’action ce qui représente environ 200 trajets qui auront permis, à leur niveau, de contribuer à protéger la planète.

Enfin, ma quatrième hypothèse est que l’apprentissage par la recherche permet, en s’appuyant sur la pratique de la démarche scientifique, de construire une qualité de raisonnement et une méthodologie d’action utile à l’apprentissage.

Cette partie expérimentale s’est faite dans le cadre des Savanturiers du cerveau avec comme problématique posée par les enfants « Est-ce qu’on apprend mieux dans le plaisir et moins bien dans le déplaisir ? ».

Mes élèves ont donc imaginé, conçu, réalisé puis analysé trois séries d’expériences.

5 IMAG0778

Le but était d’opposer les notions de plaisir et de déplaisir dans leurs situations d’apprentissage scolaire afin de déterminer si le plaisir rendait vraiment plus efficaces (4). L’idée n’était pas tant de produire un savoir scientifique valide étant donné la taille des échantillons et les biais que les enfants ont eux-mêmes repéré (agitation, différence de certains supports, tirage au sort inéquitable) que de permettre aux enfants de s’initier à la démarche scientifique en portant un regard critique sur leurs conditions d’apprentissage.

A ce jour, ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas conclure de manière formelle sur l’influence de la musique, de l’odeur et de la récompense mais en observant les résultats globaux, ils perçoivent qu’une récompense positive peut motiver à être plus efficaces et les résultats individuels de quelques élèves ont montré qu’ils perdaient complètement leurs moyens dans le bruit. La conséquence, bien que pouvant difficilement être qualifiée de « scientifique » aura néanmoins eu des influences en termes d’ambiance de travail, avec, pour exemple, une élève s’exclamant « Moins fort, vous savez bien que je ne peux pas travailler dans le bruit ! » et une classe qui, après avoir éclaté de rire s’est immédiatement tue.

Pour conclure, aujourd’hui, je pense que ce projet d’exploration de l’apprendre entraîne de nombreux effets.

Mes élèves arborent de grands sourires, s’organisent en groupe avec efficacité, osent explorer, se tromper, s’entraînent à recommencer. Ceux-ci définissent qu’apprendre, pour eux, c’est se sentir bien, travailler en groupes, faire des projets, prendre du plaisir, découvrir, chercher, avoir le droit à l’erreur, recommencer et que cela les rend « libres ».

Leurs parents se sont majoritairement abonnés au compte classe (5), le suivent, le commentent régulièrement. Ils s’impliquent également dans nos rencontres de suivi de projet. De leur point de vue, l’école leur ouvre ses portes, ce qu’ils apprécient.

Ce projet permet d’initier des échanges sur l’apprentissage en établissant un lien école-maison et pourrait aboutir à un partenariat co-éducatif. Dans mon école, cette première vaste exploration de l’apprendre m’aura incitée à présenter le projet à la CARDIE (6) et huit classes devraient participer à un projet Bâtisseurs de possibles l’an prochain.

6 IMAG1091

Enfin, pour moi, enseignante, ce projet aura permis de concrétiser une envie d’évolution dans mes pratiques. En permettant à mes élèves de faire des choix en classe, que ce soit au niveau du mobilier, des activités, de l’emploi du temps ou de leurs manières de faire, en constatant la portée de ces essais dans leur engagement, il me serait très difficile de faire marche arrière. Néanmoins, ces changements nécessitent, de mon point de vue, un accompagnement : le tutorat dont j’ai bénéficié, les connaissances qui m’ont été apportées représentent une garantie « confiance » qui permet de prendre des risques vis-à-vis des parents comme de ma hiérarchie.

Pour reprendre une très belle phrase de leur parrain de projet qui donne toute la mesure de ce que les enfants ont appris cette année : « J’aime chercher, j’aime apprendre, j’aime apprendre à chercher et chercher à apprendre ». Sans aucun doute que pour ce groupe avec lequel nous approfondirons l’an prochain les compétences initiées cette année, les élèves continueront à chercher, à apprendre, à apprendre à chercher et à chercher à apprendre !

Par Amélie Vacher, enseignante à l’école Saint-Exupéry à Langon (Gironde) et Amélia Legavre, membre du Centre de Recherches Interdisciplinaires.

Relecture de François Taddei, directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires.

Références :

(1) Pour une définition plus précise de la démarche du design thinking, voici deux liens : https://fr.wikipedia.org/wiki/Design_thinking et

http://blog.educpros.fr/fabrice-mauleon/2014/02/03/les-5-etapes-de-la-pensee-design/

(2) https://madmagz.com/magazine/600216 et https://madmagz.com/magazine/600213. Notre premier magazine a remporté le 1er prix du jury catégorie “primaire” en février 2016 au  Grand Prix Madmagz des projets pédagogiques innovants.

(3) La Twictée est un dispositif collaboratif d’apprentissage de l’orthographe utilisant twitter qui permet d’échanger avec d’autres classes en rédigeant un court texte puis d’élaborer des outils de correction reprenant les règles d’orthographe.

(4) Les articles relatant nos expériences se trouvent sur le blog du dispositif des Savanturiers :

https://savanturiersducerveau.wordpress.com/category/ecole-antoine-de-saint-exupery-ce2/

(5) Sur Twitter, le compte de la classe est @PetitsPrinces33.

(6) CARDIE, Cellule Académique en Recherche et Développement dans l'Innovation et l'Expérimentation au sein de l’Education Nationale.

             

Dernière modification le lundi, 08 mai 2017
Vacher Amélie

Professeure des écoles.

Pédagogie active, questionnement, apprentissage par la recherche, design thinking, projets.

L'école est un lieu où chacun peut s'épanouir.