Rien n’est jamais perdu. Mehdi était inscrit, par défaut, en BEP d’électronique quand il a décroché du système scolaire en 2010. Il est entré à la rentrée en 2013 en première année à Sciences po Paris. La structure qui a permis ce "miracle" ? Le microlycée de Vitry (94). Cet établissement alternatif lui a permis de "raccrocher" et de renouer avec le succès et l’institution scolaire.
"Les microlycées scolarisent un public d’élèves ’décrocheurs’, avec l’ambition de leur permettre, malgré une rupture scolaire prolongée, de réussir le baccalauréat et la poursuite d’études supérieures, explique Éric de Saint-Denis, spécialiste du sujet au ministère de l’Éducation nationale. Ce n’est pas une structure miracle mais le microlycée permet de créer les conditions de remise en route scolaire, notamment la reprise de confiance en soi qui est l’élément moteur de la reprise de scolarité."
Reprendre l’école est désormais un droit
"Tout jeune sortant du système éducatif sans diplôme bénéficie d’une durée complémentaire de formation qualifiante" : la loi de refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 établit un droit au retour en formation initiale sous statut scolaire. Pour exercer ce droit encore faut-il avoir le déclic et trouver la structure adéquate...
INFOGRAPHIE : OÙ VONT LES RACCROCHEURS ?
Que sont devenus ces quelques 34.000 "décrocheurs" du système scolaire qui ont décidé d’y revenir en 2013 ? Le ministère de l’Education a publié le bilan de l’activité de ses réseaux Foquale (Formation qualification Emploi) chargé de repérer et d’orienter les jeunes "décrocheurs" du système scolaire.
Depuis la rentrée 2013, la France ne compte pas moins de 25 dispositifs de retour au lycée :Sénart (77), Vitry (94), La Courneuve (93), Menton (06), Aix-Marseille (13), Caen (14), Grenoble (38), Nantes (44), Poitiers (86) ou Paris offrent des structures de raccrochage. "L’objectif à terme est d’offrir au moins une structure par académie", confie Daniel Assouline, conseiller technique chargé de l’orientation et de l’enseignement professionnel auprès du ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon.
Les conditions d’entrée ? Peu contraignantes
Pour intégrer ces établissements, les conditions sont peu contraignantes : avoir entre 16 et 25 ans, détenir un minimum de bagage scolaire comme être allé en seconde générale ou en filière bac pro sont les conditions requises pour intégrer un microlycée. Et, bien sûr, avoir décroché du système depuis plusieurs mois. Mais les critères ne sont pas figés et dépendent du parcours personnel de chacun. Lors des entretiens d’entrée, les raisons de la rupture avec l’institution scolaire ne sont pas jugées mais analysées avec bienveillance. "Les années passées hors de l’école ne sont pas des années perdues, estime Florence Lhomme, professeure de français et coordinatrice au microlycée de Vitry. Il y a toujours quelque chose à prendre dans le parcours de chacun."
La démarche doit cependant être personnelle : l’élève doit joindre par lui-même les membres de l’équipe pédagogique en vue d’un entretien. "Au début, j’ai surtout fait la démarche pour faire plaisir à ma mère, se souvient Émilie Martinez, 18 ans, élève en terminale L au microlycée de Vitry, qui a décroché près d’un an du système scolaire, en 2010. Je traînais toute la journée à la maison ou avec mes potes. Je me suis dit : va au microlycée, sinon ta mère va péter un câble ! Lors des entretiens, l’équipe pédagogique a testé ma motivation et vérifié que le microlycée était bien la dernière chance qu’il me restait. Mais même s’ils ne nous prennent pas, ils nous orientent vers d’autres structures. On n’est pas laissés dans la nature."
Des horaires et une pédagogie aménagés
Une fois la candidature retenue, la scolarité reprend avec des horaires et une pédagogie aménagés. Comme son nom l’indique, étudier en microlycée, c’est étudier en petit nombre. "Nous sommes 90 au microlycée de Vitry, explique Émilie. Ce qui est beau ici, c’est que tout le monde se parle. Contrairement au lycée classique, il n’y a pas de distance entre les élèves de seconde, première et terminale."
L’ambiance est plus conviviale avec les profs également : "Le lien hiérarchique existe toujours, estime Émilie. Mais le rapport est plus humain. On peut tutoyer les profs. En lycée classique, c’est : ’Je fais mon cours et je me casse.’ Ici les profs sont ouverts à la discussion." D’ailleurs, il n’existe pas de salle des profs aux microlycées de Sénart, Vitry ou Paris, mais une salle commune aux profs et aux élèves où chacun a son casier. À Vitry, moyennant une participation de 20 € par an, les élèves peuvent même y prendre le petit déjeuner avec leur prof de maths ou de français ! Une carotte pour inciter à venir à l’heure en cours.
Réapprendre le rythme scolaire et construire son projet
Car beaucoup de "raccrocheurs" restent fâchés avec les horaires. "On a pris l’habitude d’enchaîner grasse mat’ sur grasse mat’, confesse Yanice, élève en seconde au lycée intégral de Paris. Dans un premier temps on réapprend le rythme scolaire : se lever le matin, arriver à l’heure en cours, écouter un prof une heure d’affilée sur une chaise..." Ensuite seulement le lycéen construit son projet. "Revenir à l’école tous les jours demande un effort important, qui lui-même suppose un décentrement par rapport aux habitudes de comportement scolaire acquises. Ça ne se fait pas en un jour", plaide Ingrid Duplaquet coordinatrice du microlycée de Paris.
L’absentéisme des "raccrocheurs" reste parfois élevé mais au total les résultats au bac sont tout à fait corrects : 80 % de réussite au bac général en 2013 pour les 220 élèves des trois microlycées de Vitry (90 élèves), la Courneuve (40 élèves) et Sénart (90 élèves). Pas mal pour des jeunes en marge du système scolaire quelques années plus tôt !
Un lycée différent mais un objectif identique : le bac
C’est que si les structures pour "raccrocheurs" diffèrent du lycée classique, l’objectif reste le même : passer et réussir le bac. "Nous sommes avant tout des profs, et notre vocation est de préparer les jeunes à l’examen du baccalauréat", rappelle Florence Lhomme. Les effectifs plus réduits permettent au corps enseignant de travailler au plus près des difficultés des élèves. "Une classe de lycée traditionnel compte 30 à 35 élèves, nos classes moins de 20", précise l’enseignante. Des ateliers, où la participation est obligatoire, sont également prévus :yoga, chant, théâtre sont autant de pratiques culturelles qui permettent d’acquérir des compétences transverses. La pédagogie propre à ce type d’établissement encourage aussi la pluridisciplinarité : quand le prof de sciences et celui de maths font cours commun sur l’histoire des sciences, cela nourrit la réflexion en philo !
Regagner la confiance en soi
Les élèves en microlycée ont également un professeur dit "référent" qui encadre au maximum huit élèves. Une fois par semaine, un point est fait sur ce qui est acquis ou pas. "Ces heures de référence nous aident à ouvrir les yeux sur notre scolarité, témoigne Émilie. On y aborde les points scolaires mais aussi la vie privée qui est souvent à l’origine de notre décrochage."
Car au-delà du bac, l’autre objectif de ces établissements est que le jeune puisse gagner en autonomie et poursuivre sa route avec moins de difficultés qu’avant. "Nous devons leur réapprendre à avoir confiance en eux, remarque Anna Iribarne, professeure de maths au microlycée de Vitry. Beaucoup de jeunes se sont construit une représentation mentale d’eux-mêmes assez négative. Ils éprouvent beaucoup de souffrance par rapport à l’école."
Surtout, ils ont appris à masquer leurs difficultés. "Le plus dur, pour eux, c’est d’accepter de se faire aider", poursuit-elle. Un principe fort sous-tend l’action de ces enseignants des microlycées et autres structures alternatives : l’éducabilité de tous. Autrement dit, tout le monde peut réussir. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas réussi dans le système scolaire traditionnel hier que vous ne réussirez pas aujourd’hui. "Les profs croient en nous !" résume Émilie Martinez. Des enseignants qui croient en leurs élèves avant que les élèves n’y croient eux-mêmes ? C’est la clé du succès de ces lycées d’un autre type.