fil-educavox-color1

Les réseaux sociaux permettent de s'affranchir de la rencontre physique, ce qui induit un mode d’échanges où l’on peut choisir ce qu’on montre et ce qu’on dit de nous-mêmes, tester des nouveaux modes d’expression et avoir accès à une grande quantité d’informations quand on n’est pas très mobile... On comprend alors aisément pourquoi les jeunes s’en sont massivement emparés pour vivre une partie de leur sociabilité et de leur apprentissage du monde, en parallèle des institutions comme l’école ou la famille.

L’école a évidemment un rôle à jouer dans la maîtrise de leur identité numérique, la protection de leurs données personnelles, la violence en ligne, le rôle des algorithmes sur l’information qu’ils et elles consomment.

Pour aider la jeunesse à se saisir des opportunités des nombreux réseaux sociaux comme à se prémunir de leurs limites, il s’agit de développer leur savoir-faire comme leur savoir être dans les mondes numériques.

Conférence organisée à Educatech avec les interventions  de Jennifer ELBAZ, Chargée De Mission Éducation Au Numérique – CNIL, Bénédicte LESAGE, Membre du Collège – ARCOM, Deborah Elalouf, VP Education ED tech

Educ@tech :

Cette table ronde s'intéresse à la question des réseaux sociaux et à la manière dont l'école, l'enseignement, l'éducation sont interpelés par un développement de ces réseaux sociaux. Un petit rappel : la loi du 7 juillet 2003 a fixé la majorité numérique à 15 ans.  Vous savez certainement ce qui signifie que les fournisseurs de services des réseaux sociaux en ligne qui exercent leurs activités en France doivent refuser l'inscription des mineurs de 15 ans sauf autorisation expresse de l'un des titulaires de l'autorité parentale.

Où sommes-nous aujourd'hui des applications concrètes de ces dispositions règlementaires ?

Bénédicte LESAGE

b3cfeac0 f9c4 4eee aba4 633ddce1434aJe prends la parole parce que par rapport aux évolutions réglementaires aujourd'hui elles ne peuvent pas être mises en place. Elles ne peuvent pas être appliquées. Pourquoi ? Ce qui est important de comprendre c'est que les réseaux sociaux dont on parle sont des acteurs extra européens qui ne peuvent et veulent pas appliquer des lois nationales dans chaque territoire parce qu’ils considèrent que ce serait beaucoup trop compliqué pour eux dans la mesure où chaque pays a sa culture, son cadre législatif.

La commission européenne a décidé de créer un outil qui s'appelle en anglais le Digital Service Act et en français le RSL, le règlement des services numériques, qui est un règlement européen et la loi de juillet 2023 qui donnait un cadre pour mettre en place la majorité numérique à 15 ans et pour lutter contre la haine en ligne ne 12 correspond pas à ce cadre européen.

Educ@tech :  : Donc cette loi existe mais elle n’est pas applicable ?

Bénédicte LESAGE

Oui. Dès l’arrivée du RSN (Réglement Services Numériques), depuis 2024 l’ARCOM a été nommé co-régulateur et coordinateur (comme chaque pays en Europe) pour la mise en place de ce règlement sur les services numériques en France :  c'est la place entre le droit français et le droit européen, les droits nationaux et les droits européens. Le RSN est un règlement extrêmement puissant qui donne un vrai pouvoir de lutter contre les risques systémiques engendrés par les plateformes 

Educatech : Jennifer, quel est le point de vue de la CNIL en la matière ?

Jennifer ELBAZ

1dd115b1 4afd 4c23 82b7 d5c844821938Cette loi s'inscrit dans un arsenal juridique qui vise à protéger les mineurs. Donc effectivement en l'état elle n’est pas applicable pour l'instant. Le gouvernement français va tout faire pour qu'elle le devienne et pour que la Commission européenne effectivement accepte cela.

Ce dont il faut être conscient aussi c'est que l'arsenal juridique, et même si nul n’est censé ignorer la loi, doit être accompagné d'information de communication pour qu'on ait une appropriation en fait des lois par les jeunes et les adultes qui les entourent.  Donc nous on défend le règlement général pour la protection des mineurs : on est sur les questions de la vie privée et donc des données personnelles, qui concernent tout le monde. C’est nous, c'est notre nom, notre prénom, notre vie privée et donc ce qu'on peut dire c'est que l’on a UN enjeu d'appropriation citoyen et global. On a donc un enjeu de clarification aussi du cadre réglementaire.

Est-ce que l’on a des échéances à venir ? Est-ce que par exemple on est capable de dire qu’en 2027 le RSN sera clair, applicable et que l’on aura un cadre législatif lisible ?

Bénédicte LESAGE

Le RSN, il est déjà applicable sachant que pour le moment la priorité au niveau européen pour le RSN ça a été dans un premier temps, la lutte contre la désinformation sachant qu’il y avait des élections et qu’il ne fallait pas fausser le jeu démocratique des élections.

Après on a bien sûr sur la priorité de la protection des mineurs et donc de lutter contre les harcèlements en ligne, lutter contre tout ce qui est fakes news tout ce qui est toutes les dérives permis par les réseaux sociaux et qui impactent les mineurs. Ce qui est important de de savoir c'est que dans le cas du RSN, l'ARCOM doit nommer des signaleurs de confiance qui seront des relais pour les citoyens quand ils ont un problème sur les réseaux sociaux. Ceci leur permettra via les signaleurs de confiance d'avoir quelqu'un qui connaît bien le fonctionnement des réseaux sociaux qui peut être alerté très rapidement.

On dit majorité numérique à 15 ans :  En fait on oublie certains autres droits ceux de la convention internationale des droits de l’enfant :

Droit à l’éducation, à la liberté d’expression, etc...  Ils n’auraient pas le droit d'expression sur ces plateformes avant 15 ans ? Qu’en pensez-vous Deborah ?

Deborah ELALOUF

449064 prvJe voulais ajouter ces autres droits fondamentaux. Je reviens de manière obsessionnelle avec ma double casquette d'entrepreneur de l'éducation et de représenter la filière Edtech qui défend le fait de pouvoir se mettre au service de la performance éducative mais défendre aussi la souveraineté numérique française et européenne dans un cadre éthique.

Théoriquement les réseaux sociaux sont interdits aux moins de 13 ans et avec une majorité numérique à 15 ans. Il convient d'informer de sensibiliser les parents et l'écosystème des droits et devoirs en tant que en tant que parents et du côté des institutions éducatives. Le rapport du CNN de l'année dernière sur l'économie de l’attention parle de réseaux sociaux et mentionne de nouveaux droits qui, selon moi, mériteraient d'être débattus, comme le droit d'être informé sur les dispositifs de captation de de l'attention le droit de paramétrer les contenus et les émetteurs. On doit donner du pouvoir aux jeunes pour agir eux-mêmes sur les réseaux, leur donner la maîtrise de leur vie numérique.

Jennifer ELBAZ

Le règlement (RSN) n'interdit pas grand-chose et permet les autres droits.

L'écriture des lois se fait dans l'équilibre des droits les uns avec les autres : il y a une forme de logique qui n'est pas censé priver les enfants de droit et les travaux qui sont menés le sont toujours avec une perspective de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Je vais vous donner un exemple sur le fait que l'articulation entre les droits donc nous à la CNIL on crée des ressources pédagogiques avec les cibles. On a fait des ressources pour les enfants de 8 à 10 ans dont un jeu de cartes et dans le jeu de carte pour expliquer la protection de la vie privée et a protection des données personnelle. Exemple : on a sur une carte le une question qui est : Avec ma classe nous avons chanté devant le Monument aux Morts des victimes de la Première Guerre mondiale.  

Le lendemain on était tous en photo dans le journal. Réponse A c'est normal ; Réponse B ce n'est pas normal. Et bien la réponse est que comme la classe participait à un événement public le journal a tout à fait le droit de publier sa photo. C'est sa mission d'informer et bien sûr qu'il a une articulation et que le but du jeu ce n’est surtout pas priver les enfants d'un quelconque droit.

Bénédicte LESAGE

C'est une question avec laquelle on est très à l'aise à l'ARCOM puisque nous notre action est basée sur la loi de 86 et la base de la loi de 86 c'est la liberté de communication et la liberté d'expression. C'est notre colonne vertébrale et donc toutes nos missions s'articule autour de ça. L’idée n'est pas du tout de censurer de l'expression des jeunes. C'est dire juste : il ne faut pas oublier que les plateformes elles vivent de la publicité et donc comme on ne paye pas sur ces réseaux sociaux pour y être on est devenu le produit. On voit ce qu’il en est si on ne protège pas un minimum les enfants, on voit bien dans un autre registre que la consommation d'œuvres dites adultes parles mineurs. Les garçons de plus de 12 ans plus de 50 % consomme une fois par mois des contenus pornographiques de toutes sortes.

Ce sont les plateformes qui donnent accès à ces mineurs puisqu'on leur demande juste est-ce que vous avez plus de 18 ans. Il n‘ y a pas de vérification on peut quand même se poser la question si les institutions et le pouvoir public ne doit pas aider à la protection des mineurs. Je prends un exemple un peu radical mais on est toujours dans la liberté de communication et la protection de la vie privée parce que l’on peut vérifier l'âge de l'internaute sans compromettre sa vie privée et le principe démocratique. C'est forcément compliqué : on travaille en collaboration avec la CNIL sur la mise en place de référentiels avec l'idée d'un double anonymat nécessaire : la personne qui va donner la validation numérique de plus de 18 ans ne saura pas ne doit pas savoir quels sites ont été consultés. Les systèmes se mettent en place.

Cela amène une question qui est celle de l'accompagnement et du développement des compétences numériques des jeunes à leur usage des réseaux sociaux.

Cela fait plus de 15 ans maintenant qu'il a des interventions scolaires qui sont menés autour des réseaux sociaux par des personnes extrêmement différenciées. Il y a les professeurs documentalistes qui ont toujours une fonction extrêmement importante sur ces sujets-là. On a aussi les enseignants, les associations, parfois des médiathèques, les conseillers numériques, les médiateurs numériques... Bref, une kirielle d'acteurs.

Quel bilan peut-on tirer de 15 ans d'expérience autour de l'accompagnement des pratiques des jeunes aujourd'hui ?

Deborah ELALOUF

Emanciper les réseaux sociaux ça veut dire d'abord connaitre le fonctionnement de de ces réseaux : c'est venu de manière extrêmement progressive et on appelle en tout cas à une généralisation de ces actions et du développement des compétences numériques. Je vais me faire l'écho des actions à la fois côté Edtech France avec certain nombre d'acteurs récents, sur l'éducation aux médias,  sur l'éducation à la sexualité puis que vous évoquiez Internet sans crainte effectivement déployé depuis plusieurs années, avec lequel on a touché plus d’un million de jeunes.

Il y a des vraies évolutions à la fois sur les perceptions des adultes, sur la nécessité de cet accompagnement et sur la maturité des jeunes. Comme constaté au travers d’actions, pour les jeunes, il y a d'un côté encore des besoins massifs d'éducation, mais plus ils sont âgés, plus on voit qu’ils développent leur propre stratégie pour réguler leurs usages. Ils nous ont donné un certain nombre de très bonnes idées pour faire mieux que de la prévention danger à ‘école et les éduquer positivement à leurs usages. Un retour négatif est que les jeunes aujourd’hui n'identifient pas ou peu les adultes autour d'eux que ce soit leurs parents ou leur les équipes pédagogiques comme des personnes à l'écoute de leurs usages et comprenant pleinement leurs usages les pour les accompagner : il y a un besoin de regagner leur confiance.

Jennifer ELBAZ

Nous intervenons depuis deux ans. On a tout de suite passé la cinquième car on a vu 11000 personnes entre 2023 et 2024 juste sur le secteur de l'éducation donc les enfants directement dans les classes, les cadres, les prescripteurs, les éducateurs, les parents.

Nous avons mené des travaux sur le numérique adolescent parce qu’après avoir fait la campagne pour les 8 10 ans, on s'est on s'est posé la question : que font les ados avec leurs appareils connectés et comment est-ce qu'on va répondre justement à leurs usages ; comment est-ce qu'on va créer des ressources qui peuvent vraiment les informer et leur apporter quelque chose. On a mené des travaux sur le numérique adolescent avec notre laboratoire de recherche qui s'appelle le Link. Vous trouverez ces travaux sur le site du link (link.cunil.fr).

Nous avons réalisé une revue de littérature scientifique ; on a été interrogé enfants et parents. Ceci a confirmé ce que l’on constatait sur le terrain, c’est que l’on a un défaut d’information général sur ces sujets. En fait il y a des réflexes de protection. Les enfants se posent des questions, ils ne publient pas à tort et à travers. Ils répondent au code de leur pairs : ce qui les intéresse c’est de ne surtout pas sortir du lot parce que tout de suite on est la cible d'attaques. Ils ont des réflexes de protection vie privée comme créer un pseudonyme, mais sans en connaitre les précautions. 

On est en train de produire des ressources notamment pour les médiateurs. On a décidé de faire un manga avec Futurs Composés qui sera publié en janvier. On sort aussi là d'une ressource pour les enseignants, les parents, un livret et pour les jeunes directement une carte avec des fiches qui les informent sur la cybersécurité sur l'éducation aux médias et à l'information mais avec une protection des données. Il faut aussi créer du numérique pour aller chercher les jeunes là où ils sont. On a un financement européen pour créer une application à l’échelle européenne. Les jeunes sont très seuls dans leur expérience numérique.

Bénédicte LESAGE

Juste pour rebondir là sur ce qui vient dit, je pense qu’il ne faut pas non plus diaboliser les réseaux sociaux et le numérique. L'adolescence c'est un moment où on a besoin de transgresser, d'avoir son monde à soi et aujourd'hui ce monde à soi des adolescents où les parents n'interviennent pas. Les réseaux sociaux ça leur permet d'échanger avec leurs amis, d'échanger des contenus, quelque fois pour l'école de travailler ensemble.

L'ARCOM en tant qu'autorité de régulation des médias audiovisuels travaille depuis de longues années sur l'éducation à l’éducation aux médias.

On agit de trois manières différentes :

D'abord on demande aux médias audiovisuels avec qui on a des conventions quand il se font attribuer une fréquence de télévision,  de mettre en place un certain nombre d'actions pour former leur public. Cela peut être dans la fabrique, comment expliquer la fabrication de l'information, comment expliquer la vérification de l'information et détecter les fakes news, etc.  

Il se fait aussi de l'éducation aux médias via des interventions dans les écoles via la création de contenus libre d'accès sur le site de l'ARCOM pour les enseignants et ce sont des contenus créés avec les enseignants. On fait aussi des contenus sur la liberté d'expression et ses limites sur la représentation de la société française. Nous produisions des contenus sur tous les sujets dont on est en charge qui sont accessibles et qui offrent une diversité selon les publics et les thématiques

Le dernier point qui me semble important est la formation par la pratique des médias. Nous avons une opération qui s'appelle doc de poche qui est faite dans les lycées et qui donne la possibilité à des élèves de créer un documentaire de 2 minutes et d'être accompagné dans la création pendant toute l'année scolaire. C'est l'occasion pour eux de découvrir ce qu’est que la création, ce que c'est que le droit d'auteur, ce que sont les contraintes de fabrication, la responsabilité dans ce qu'on produit comme contenu. C'est une façon de comprendre comment cela fonctionne et c’est également une démarche valorisante pour des collégiens.

Educatech : Le développement des compétences numérique des adolescents associés à la question des réseaux sociaux s'appuie finalement sur trois sous- blocs

Les compétences informationnelles qui donc la capacité en fait à rechercher une information et à analyser cette information.

Les compétences manipulatoires :  il faut comprendre comment ça marche, se saisir de l'outillage numérique.

Et il y a celle qu'on oublie tout le temps,  la nécessité du développement des compétences psychosociales ou de ce que l’on peut appeler des compétences émotionnelles.

Accès à la suite

Dernière modification le lundi, 09 décembre 2024
Morandi Franc

Professeur émérite de l'université de Bordeaux
Cognition, modélisation des systèmes et des fonctions mobilisés par les apprentissages
Epistémologie de l'information, ingénierie et construction de connaissances
Humanités numériques
Didactique professionnelle
CNRS, UMR-5218 IMS/ISCC, Équipe RUDII (Représentations, Usages, Développement des Ingénieries de l'Information), Groupe Cognitique, Bordeaux, France.

Membre du conseil d'administration et du conseil scientifique de l'An@é