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Sur ce thème, s’est tenu ce samedi 10 juin au centre  François Mauriac de Malagar à Saint-Maixant en Gironde, le Forum d’Educavox organisé par l’An@é dans le cadre idyllique d’un ancien chai des vins de Bordeaux. Je ne sais pas très bien tout ce que recouvre le mot culture et serait bien en peine d’en donner une définition sans l’aide de mes amis Larousse et Robert ou bien wikipédia pour être plus hybride. Je sais à peu près ce qu’est l’hybridation lorsqu’il s’agit du vivant mais n’ai pas la moindre idée de ce que signifie l’expression hybridation des cultures.

J’en ai pourtant une longue expérience pour être né en Béarn dans une famille béarnaise parlant le béarnais.

Cette langue était à l’époque bannie de l’école de la République et mon instituteur,  en bon hussard de la dite République n’aurait évidemment pas toléré que j’en emploie un mot en classe. C’était par contre presque un jeu de la bien parler chez moi à la maison…l’instituteur c’était mon père. Plus tard, lorsqu’il m’arrivait d’insérer dans un devoir de français une expression de ma langue « mayrane », j’invoquais pour la légitimer Michel de Montaigne et son aimable façon de dire que là où le français ne va pas, le gascon y va…un peu de culture ne nuit pas. Depuis les langues régionales ont acquis leurs lettres de noblesse.

Ce qu’il y a de formidable quand on ne connaît pas une notion, c’est qu’en entendant son énoncé, on construit du sens autour des mots et tant pis si cela est un contresens, on y prend du plaisir.

Ainsi hybridation des cultures…mais c’est une évidence ! Si les cultures existent et ne sont pas hybridées, cela signifie qu’il existe au moins une culture que l’on peut qualifier de « pure »…de là à chercher à l’imposer à tout le monde il n’y a qu’un pas …qui a, par le passé, déjà malheureusement  été franchi et ce n’est pas la peine de recommencer. J’en conclus donc que toute culture est désormais hybride et parler d’hybridation des cultures est une banalité qui ne mérite même pas un forum d’Educavox…un peu de logique ne nuit pas.

Mais il ne faut pas aller trop loin : j’aurais du en conclure que je n’avais rien à faire à Malagar mais cela m’aurait privé d’une riche et aimable compagnie et de quelques bons moments de convivialité comme l’An@é sait les organiser.

Alors, j’ai pensé à Google (ceci n’est pas une pub), j’ai tapé « hybridation des cultures » et Google m’a proposé un article de Nestor Garcia Canclini(1) publié dans la revue Hermès du CNRS et que je me suis empressé de lire au moins pour faire mon exercice intellectuel quotidien.

J’y ai lu que :

« Les études sur l’hybridation discréditent les problématiques manichéennes qui opposent catégoriquement dominants et dominés, habitants des métropoles et des périphéries, émetteurs et récepteurs. Elles montrent, en revanche, la multipolarité des initiatives sociales, le caractère transversal des pouvoirs et les emprunts réciproques qui se réalisent sur fond de différences et d’inégalités ». L’article se termine par une question et un espoir : «  Une culture qui reconquiert son potentiel critique et solidaire pourra-t-elle aussi découvrir des possibilités inédites d’édification d’une Babel dialogique et démocratique ? »

Fort de cet optimisme, je suis donc venu à Malagar en apprendre un peu plus.

Après le péremptoire et provocateur « Nous sommes tous des hybrides » et l’affirmation généraliste que l’hybridation est une œuvre humaine Frank Morandi(2) pose en introduction deux questions fondamentales : En quoi le fait d’hybrider améliore ? et : Est-ce qu’il y a transgression dans l’hybridation ?

Pour ouvrir la réflexion sur le sujet, il pose l’hybridation sur trois socles :

- Hibrida ou improbable mariage ;

- Heterosis ou, vigueur, valeur ajoutée innovation, création ;

- Ubris ou ibris ou excés, outrance, ordre et désordre.

Il conclut que ce n’est pas un mot magique mais un mot problème, une manière de penser le mouvement.

Jean François Cerisier(3) enchaîne et convoque l’éthique et plus précisément  «  l’éthique professionnelle du numérique dans l’éducation ».

Il démonte tout d’abord la dichotomie présentiel- distanciel en faisant justement remarquer que ce qui s’oppose à la présence c’est l’absence et non la distance.

Il voit dans l’hybridation, «  un processus entre les mains des acteurs de l’éducation, un processus pédagogique pour optimiser l’acte d’apprentissage ». Mais il va à l’encontre du discours institutionnel qui répète à l’envi que la crise que nous venons de traverser nous aurait fait gagner dix ans. L’observateur et le chercheur qu’il est a constaté que « sur le terrain, il ne s’est pas passé grand chose ; sur le terrain, les pratiques ont peu changé ». Pour le dire autrement : il y a peu d’usages au regard des équipements et un manque flagrant de formation.

Pour lui, c’est le concept d’éthique qui permet d’expliquer ce retard dans l’appropriation, l’éthique étant ici la capacité d’une personne à penser par elle –même, à prendre des décisions pour optimiser les apprentissages, à faire des choix dans les situations dont elle dispose.

Les difficultés de l’enseignant pour se positionner viennent du fait qu’il ne dispose pas d’un cadre clair. Lorsqu’il est formulé ce cadre est décliné en termes de valeurs. Il est institutionnel mais faible et hiérarchique et s’adresse à des enseignants qui n’ont ni les compétences ni la liberté pour prendre des initiatives. En réalité, le cadre adéquat ne peut être construit que collégialement à partir d’un projet politique lui-même co-construit. Pour que les enseignants puissent alors répondre, il leur faudrait être bien équipés, bien formés et avoir la marge d’initiative nécessaire pour remplir la nécessité éthique.

Elle est dans tous les esprits comme un phénomène prometteur, inquiétant, fascinant, dérangeant qui doit bouleverser le monde et par conséquent l’éducation.

C’est l’intelligence artificielle qu’invoque Thierry Happe(4) dans sa vidéo en notant tout d’abord une surestimation de l’impact à court terme et une sous-estimation de l’impact à long terme. Si l’on veut mesurer l’impact de l’intelligence artificielle générative il suffit de se référer à la croissance de Chat GPT : 200 millions d’utilisateurs en quelques mois d’existence.

Thierry Happe fonde son propos sur deux éléments :

-  L’intelligence artificielle va modifier considérablement le monde du travail ;

- Le rapprochement entre la technologie et le monde du travail est le schéma fondamental qui permet de sortir du greenwashing pour aller vers l’optimisation des actions et des impacts de celles-ci.

Face à ces défis, l’éducation ne peut pas éviter un réel questionnement :

- Doit-on toujours apprendre les mêmes choses ?

- Quels sont les fondamentaux ?

- Comment préparer aux métiers d’avenir alors que nous ne les connaissons pas ?

Quelques pistes pour répondre :

Développer l’esprit critique, construire une réflexion, formuler une question (s’adressant à un logiciel d’intelligence artificielle la formulation de la requête conditionne fortement la qualité de la réponse), apprendre à apprendre, développer la curiosité… Cela n’est certes pas nouveau mais prend dans ce contexte une importance accrue.

On en vient rapidement, ici aussi, à un projet plus politique car, au vu de l’interdépendance des facteurs, il faudra agir à la fois, individuellement et collectivement. Le problème sociétal qui en découle est, en effet, celui de l’acceptation sociale de changements énormes. La technologie va aider à cela mais il va falloir beaucoup de pédagogie.

Educavox est un laboratoire et, pour son sixième forum, après et avec le temps des Boussoles, les moments des confettis du Carnaval numérique, il a expérimenté le moment « Pitch- cinq minutes chrono ». On l’a déjà dit, au vu du titre chacun construit du sens, son sens. Quoi alors de mieux pour faire éclore et s’exprimer richesse et diversité ?

Il nous faudra un peu de temps pour extraire de ce foisonnement quelques lignes de pensée et quelques pistes de réflexion mais déjà :

- Cela a-t-il du sens et de l’avenir d’interdire en classe l’usage du téléphone portable ou de chat GPT comme a été interdit un temps celui des calculatrices…ou des langues régionales ;

- Comment comprendre une logique numérique qui n’est vraiment enseignée ni en classe ni à la maison ?

Dans ses conclusions de grand témoin de la journée, Vincent Liquète(5) exprime sa conviction et ses craintes que le numérique conduise à une nouvelle organisation du monde assortie du danger que l’hybridation des cultures n’aboutisse à une culture prédominante voire hégémonique. On serait alors revenu au point de départ du raisonnement développé précédemment…mais cela suppose en préalable que l’hybridation est un processus fini, ce qui est loin d’être une évidence.

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  1. (1)            Nestor Garcia Canclini : anthropologue argentin auteur de l’essai « Cultura hibridas ».
  2. (2)            Frank Morandi : professeur émérite de l’université de Bordeaux.
  3. (3)            Jean François Cerisier : professeur de sciences de l’information et de la communication, directeur du laboratoire TECHNE, université de Poitiers
  4. (4)            Thierry Happe : co-fondateur et président de Netexplo
  5. (5)            Vincent Liquète : professeur de sciences de l’information et de la communication, université de Bordeaux.
Dernière modification le dimanche, 25 juin 2023
Puyou Jacques

Professeur agrégé de mathématiques - Secrétaire national de l’An@é