fil-educavox-color1

Du mouvement # Meeto au phénomène de harcèlement scolaire, des adolescents, les réseaux sociaux, et le numérique en général, sont le nouvel espace où se joue aujourd’hui la bataille de la dignité… et de l’indignité.

Selon Cynthia Fleury, nous vivons, à l’heure d’un nouveau régime de visibilité des individus centré sur la réputation qui met en jeu la question de la dignité. Extraits.

« La clinique de la dignité » ouvrage de Cynthia Fleury

1 151425 couverture Hres 0L’impératif de dignité s’est imposé ces dernières années au cœur de nombreux mouvements (des Printemps arabes à Black Lives Matter) et débats de société (discriminations, travail, condition animale...).

Cependant, simultanément les atteintes à la dignité se sont multipliées dans les institutions et les pratiques sociales (hôpitaux, EHPAD, prisons...). La promesse de dignité que la modernité annonçait semble ainsi avoir été trahie de façon répétée.

Face à cette menace d’un « devenir indigne » de nos sociétés, Cynthia Fleury pose les jalons d’une clinique de la dignité, pour établir un diagnostic philosophique et des solutions thérapeutiques au chevet des vies indignes.

Cynthia Fleury invite à ne pas se résigner à l’inaction ou à la déploration. Elle appelle à refonder le concept de dignité à partir de ses marges. Passée au crible de la psychanalyse, de la littérature et des sciences sociales, l’exigence de dignité retrouve toute son actualité, et sa radicalité.

 

Cette réflexion signe ainsi l’ouverture d’un nouvel agir politique, entièrement dédié à la reconquête d’une dignité en action à l’âge de l’anthropocène.

Conférence de Cynthia Fleury, animée par Martin Legros lors des Rencontres Michel Serres. Extraits.

D’où vient ce concept de la dignité ?

iI y a plusieurs âges dans la conception de la dignité

Une dignité compatible avec la société des inégalités sans État de droit, de dignité, religion incluse.

On s’est déplacé vers La dignité du vivant, la dignité humaine. Cf Pic de la Mirandole, les lumières, Emmanuel Kant.

La dignité est un grand concept chrétien.

Il y a des conflits de conception :

L’ancien, format digne car humain

Une conception plus personnaliste : On respecte ma dignité, car je suis humain, mais aussi du fait de mon autodétermination par rapport à ma dignité.

On est traversé par des conflits nobles.

Aujourd’hui post- lumières : on est plus politique, plus pour la traduction en droit (en apothéose après un désastre).

Depuis la Constitution de 1848 on est égaux en droit et en dignité. Il y a une indivisibilité avec égalité liberté, intégrité du corps d’autrui(esclavage).

Ex : Dignité d’un logement, droit à un habitat.

La dignité symbolique est insuffisante, mais rien ne peut se faire sans elle. La dignité est un droit non négociable. C’est une dette aussi !

C’est un fardeau collectif, pour sortir de l’évidence de l’indignité. La pénibilité est une charge au service du nettoyage du sale. Ce sale boulot nous aide dans la recherche de la dignité.

Cette époque a produit un efficace autour de la division des tâches. Mais il y a un endroit de fabrique de la dignité, qu’il ne faudrait pas oublier, jusqu’au bout. La dignité commune, c’est le bénévolat.

La fabrique de la dignité : c’est quelque chose qui revient à l’homme, quelque chose dont il dispose ? C’est parce que je suis libre que je peux disposer de ma vie ?

C’est une conception générique spirituelle, sacrée, d’une appartenance au genre humain.

Les lumières vont aller vers la conception humaniste de la dignité. On adjoint une conception autonomiste, plus personnaliste de la dignité.

Les premiers qui ne vont pas ressentir la dignité, c’est ceux qui seront dépendants.

Tous ceux qui sont vulnérables vont avoir un sentiment d’indignité. Ils veulent s’en aller parce que leur vie n’est pas digne. Débat sur la fin de vie, les personnes peuvent préserver leurs droits à l’autodétermination jusqu’au bout.

Plus la dignité est programmée, plus des individus vont se sentir indignes.

La conception de la dignité est historisée, culturelle. Cela dépend des conditions de vie, du seuil de tolérance.

Ce qui est digne varie selon les cultures.

La question de la surconsommation est accueillie comme une épreuve de dignité, alors que ce n’est pas vrai ! A cause de nos choix économiques, on est dans une crise climatique qui va provoquer des situations d’effondrement (inondations, sécheresse, pandémies…)

On rentre dans des failles pandémiques, terroristes… dans un effondrement systémique. L’intégralité de l’économie française s’arrête du jour au lendemain.

On passe du monde dégradé au monde dégradant.

De la sociologie de la pauvreté au sentiment de précarité : Nous craignons de perdre notre dignité ou de vivre dans une situation indigne. C’est un risque systémique.

On le craint pour soi, on a peur de se conduire de façon indigne par rapport à autrui.

Exemple le soignant par rapport à un patient. Il sera le continuateur d’une anthropie, d’une souffrance éthique.

Ne pas pouvoir exercer sa dignité dans son institution est une situation systémique de la production d’indignité

On peut devenir insensible à cette situation.

Un robot nettoyeur de toilettes publiques peut conjointement nous remettre au cœur de la dignité commune. On peut donner quelques heures à un bien public.

Nous avons déshumanisé notre dignité on l’a soustraite. Or elle a besoin de nos corps.

Que penser du harcèlement dans l’actualité ?

C’est ancien. C’est un mode de régulation de la société humaine et notamment des femmes.

La société est patriarcale. La rumeur est utilisée, la parole puis les mots qui entraînent la destitution de la femme.

Ex : Périclès dans sa louange aux morts s’adresse aux femmes. Il leur dit merci, mais taisez-vous !

La femme est protégée par les hommes si elle se tait, si elle est une possession. Si les femmes ont une position publique, elles sont accusées d’hystérie, de folie !

Sous l’ancien régime, la rumeur du peuple contre le roi, au nom de la liberté, de la parole non entendue, lue par les dominants.

Le capitalisme : régime de visibilité, qui est d’autant plus riche que nous avons une image de nous-mêmes plus importante. Exemple téléréalité : faillite narcissique, sentiment d’un ascenseur social.

Nos réseaux sociaux :  nous ne faisons presque pas société les uns avec les autres sans WhatsApp !

Nous avons une conception très restrictive de la notion de dignité.

L’image de la dignité c’est du statut. C’est de l’honneur ! On porte atteinte au prestige, à la réputation. C’est de l’anti élitisme aujourd’hui entre pairs, entre collègues pour mettre à mal, harceler c’est désarmer quelqu’un !

Jusqu’où peut-on respecter l’autre quand il n’est pas là physiquement ?

Est-ce qu’on recherche une réputation ?

Est-ce qu’il y a une préoccupation idéologique et culturelle ? Une hiérarchie des concepts ?

Jusqu’où et comment dénoncer l’indignité ? Faut-il faire porter l’indignité à ceux qui portent atteinte à la dignité à des autres ? Y a-t-il un barème ?

Par rapport au harcèlement pourquoi on cherche à rendre l’autre vulnérable ?

Luc Boltanski * « le spectacle de la souffrance »...

L’info est constituée comme un feuilleton. Elle est mise en récit comme un spectacle.

Or nous avons la souffrance et la violence devant nous ! On est devant une impuissance, une indisponibilité philosophique, psychologique devant des infos mortifères.

Il faut transformer l’indignation et l’indignité en action. On devient indigne si on ne produit pas.

On peut défendre que ce qui s’est passé le 7 octobre est innommable !

Ce n’est pas nouveau ! On a déjà vu en 2016, au Congo, un spectacle de barbarie et de folie. Cela existe !

Jamais personne, au nom d’une dignité ne peut se prévaloir de ce geste.

C’est différent pour Israël. Quand il réagit c’est le fardeau des Etats de droit de se conduire dignement par rapport à ceux qui sont indignes. Sinon c’est l’enclenchement de la folie.

Il faut être garant de fabriquer autre chose que de la haine, sinon on est mort !

Il y a La clinique de la dignité **: Diagnostic ? Remède ?

Le diagnostic : une société malade de ses atteintes à la dignité...Une « clinique » capable d'en délivrer un traitement...

Ce fardeau de l’épreuve systémique, il faut le porter ensemble ! il faut la justice !

On entre dans la dématérialisation. C’est la nécessité de rentrer dans nos vies un peu différemment.

Il faut bien s’occuper avant de mourir !

En savoir plus :

Entretien avec Pierre Coutelle à la Librairie Mollat.

La Vidéo sur YouTube :  Cynthia Fleury présente son ouvrage : "La clinique de la dignité" (Editions du Seuil)

 

** https://www.seuil.com/ouvrage/la-clinique-de-la-dignite-cynthia-fleury/9782021514254

* https://www.cairn.info/la-souffrance-a-distance--9782864241641-page-38.htm

Dernière modification le mardi, 21 novembre 2023
Ruant Viviane

Administratrice de l'An@é.  Professeur d’histoire et géographie en lycée retraitée.