Le développement de l’enfant dépend de l’interaction entre les adultes, fratrie ou pairs et les contextes sociaux, culturels et éducatifs. Selon ce qu’on lui propose, il se développe dans des idéologies et des environnements. Les outils, les jeux, les images, les écrits, les interactions avec les autres, avec les machines interviennent comme médiateurs et le connectent ainsi au monde réel ou virtuel.
Aucun « outil » n’est neutre. Les technologies actuelles peuvent-elles modifier les manières d’apprendre ? Les EdTech se définissent comme « L’étude et la pratique pour faciliter l’apprentissage et améliorer la performance en créant, utilisant et exploitant les procédés et ressources technologiques appropriées ».
Les EdTech ont été à l’origine des MOOC (massive open online courses) et des SPOC (small private online courses) : ce sont des cours en ligne permettant de faire évoluer l'enseignement. MAIS on avance aujourd’hui vers d’autres solutions mixtes avec le « blended learning » (apprentissage mixte), des pratiques telles que la classe inversée. Certaines entreprises offrent aussi des outils d'"edutainment", qui lient éducation et divertissement.
Et on va même beaucoup plus loin avec ce que l'on appelle « adaptative learning » qui est une individualisation de l’apprentissage en lien avec l'utilisation massive de données. Aux États-Unis, beaucoup de solutions se développent autour de l'analyse de la data à des fins pédagogiques avec hébergement dans le cloud.
Il est admis aujourd’hui que la véritable révolution des EdTech réside dans l'individualisation de l'apprentissage avec d’énormes perspectives de développement.
A ce titre on assiste à un véritable engouement pour les EdTech Outre Atlantique où les levées de fonds ont dépassé 1 milliard de dollars en 2014. Mais dans le même temps Marie-Christine Levet, présidente du fonds Educapital a collecté 45 millions d’euros pour financer les EdTech en Europe, soit 4,5% des fonds recueillis en Amérique du Nord[1].
Cependant il est urgent de ne pas laisser l’école se déconnecter de la société et de la culture dans laquelle vivent les jeunes générations : les 13-17 ans envoient entre 4000 et 6500 Sms par mois et passent entre 4h et 15h par semaine sur la toile.
La table ronde organisée par l’An@é le 15 mars au Salon Eduspot a réuni autour de Michel Pérez, président de l’An@é, Marc Chevalier, facilitateur du Cluster EdTech Nouvelle-Aquitaine, Jennifer Elbaz, directrice BrainPop français, Sébastien Gouleau, DANE de l’Académie de Bordeaux, Emmanuelle Gras, présidente de la société DIPONGO, Marie Merouze, fondatrice de Marbotic et Vincent Rebière, fondateur de Maracuja.
Marc Chevalier développe les objectifs du Cluster Nouvelle Aquitaine qui s’est mis en place à l’initiative du Rectorat de Bordeaux : Expérimenter - Valoriser - Structurer - Collaborer
Expérimenter, mettre en réseau les acteurs de l’écosystème EdTech (Nouvelle Aquitaine) et fédérer les entreprises de la filière, structurer l’écosystème, donner de la visibilité, accompagner les start-up. Il est aussi important de sensibiliser les pouvoirs publics et le grand public, tout comme de proposer des formations.
Il s’agit bien d’une réponse territoriale coordonnée entre les entreprises, les Start-ups, les Institutions, les Universités et Instituts de recherche, les établissements de formation, les Tiers lieux et les enseignants, étudiants, élèves, enfants, parents et grand public.
Mettre en relation la recherche et l’industrie et structurer la filière : ce sont parmi des composantes essentielles de cette démarche. Car la question centrale est bien que ces Start-ups qui ont développé des produits performants, en relation avec les acteurs et les usagers, se trouvent confrontées à l’accès au marché.
Un enjeu sociétal et éducatif
Une rencontre prévue à Bordeaux les 3 et 4 mai 2018 mettra face-à-face des entreprises EdTech avec les acheteurs de solutions éducatives en présence de la Mission des Achats du Ministère de l’Education Nationale, et du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, la Direction du Numérique pour l’Education (Ministère de l’Education Nationale) et de collectivités locales.
Cet événement est ouvert à toute structure souhaitant développer des outils éducatifs et de formation en France, en Nouvelle-Aquitaine et/ou rencontrer les acteurs de l’éducation autour de coopération et de développement d’initiatives.
Ce travail en collaboration avec les acteurs institutionnels permet d’établir des modalités d’accueil des entreprises et leur donne ainsi la possibilité d’établir sereinement leur projet.
Maracuja
Vincent Rebière, avec Maracuja, développe un magazine qui touche aux passions. Il est publié tous les 2 mois et permet de redécouvrir les maths, le français et de nombreux sports. Apprendre mieux à partir de ses passions…Tel est le pari de ce produit qui va évoluer vers des applications, un magazine « connecté ». A suivre.
BrainPop
BrainPop français, dont la directrice en France est Jennifer Elbaz, crée des ressources numériques éducatives, utilisables en classe, à la maison ou ailleurs, propose sur son site des vidéos, des animations interactives. Aujourd’hui, plusieurs millions d’enseignants, d’enfants, et de parents se connectent quotidiennement sur les sites BrainPOP aux Etats-Unis, en Angleterre, en Amérique Latine : BrainPOP Français se déploie depuis 8 ans.
Marbotic
Marie Mérouze présente Marbotic une méthode d’apprentissage unique, alliant le jouet traditionnel en bois et l’interactivité des tablettes tactiles. En posant les pièces en bois sur l’écran l’enfant apprend à compter, lire et écrire avec ces jolis jouets en bois connectés qui associent le meilleur du jeu traditionnel et du numérique.
DIPONGO présenté par Emmanuelle Gras, allie le réel et le virtuel, Dipongo permet aux enfants de 4 à 8 ans de s'évader dans des contes fantastiques où ils prendront part à l'aventure en devenant acteurs.
Et comment ? Les enfants aideront des explorateurs d'univers intrépides à progresser dans des aventures incroyables. Ainsi grâce à leur aide, l'histoire va continuer ! Les histoires commencent donc sur tablettes et se poursuivent dans l’environnement réel des enfants afin qu’ils puissent créer de manière différente et découvrir ce qui les entourent. Dipongo nourrit l'imaginaire créatif des enfants en adaptant les contes aux outils d'aujourd'hui.
Sébastien Gouleau, DANE de l’académie de Bordeaux accompagne ces expérimentations.
La DANE (Délégation Académique au numérique éducatif) de l’académie a été présente dès le départ dans le projet EdTech Nouvelle-Aquitaine.
Elle est à l’interface du processus recherche-pédagogie-industrie. A partir de besoins identifiés par les enseignants, le but est d’aller à la rencontre des Start-ups pour développer un produit qui réponde aux besoins des classes, accompagner, « valider » ce qu’apportent les « expérimentations », créer des partenariats d’innovation pour des cofinancements avec des collectivités, c’est toute une intelligence collective qui se déploie pour une pédagogie particulière !
On peut noter un projet robotique en cours de création dans le département des Landes (Projet e-Fran) où sont impliqués l’Université, les conseillers pédagogiques et les enseignants…À suivre !
Un enjeu économique et industriel
Reste posée une question centrale : si on peut arriver à porter des solutions, qui les finance ? Car sans financement, il ne se passe rien.
Quels sont les éléments facilitateurs ou quels sont les obstacles ?
Le principal obstacle en France est le circuit des achats.
Comment accéder à la commande publique dans la complexité des démarches notamment pour les écoles qui n’ont aucune autonomie financière ou même de choix (les catalogues fournis par les mairies pour les commandes globalisées proposent très peu d’éducatifs numériques).
Marie Mérouze précise que 80% des produits de sa société sont ainsi vendus à l’étranger (40% aux Pays-Bas), et dans les familles (là, il n’y a pas de délégués académiques …). En Suisse, une demi-journée suffit pour essayer de nouvelles innovations. Des unités pédagogiques indépendantes sont déployées dans certains pays et facilitent l’autonomie des équipes pédagogiques.
Cependant, le déploiement des solutions majoritairement réalisé avec les familles pose la question de l’égalité des accès pour tous les enfants à l’extérieur de l’école.
Le second obstacle vient de l’expérimentation.
La France est championne de l’expérimentation ! La généralisation n’arrive presque jamais… ou bien trop tard, car entre temps l’application informatique devient parfois obsolète. Même si l’objectif louable est de valider des solutions fiables et valables du point de vue éducatif pour l’Education nationale, ils n’en reste pas moins que l’expérimentation et les circuits trop longs de validation pourraient bien tuer l’innovation.
Comment accéder alors à l’échelle qui permet d’établir les achats et de libérer l’innovation pour les entreprises du secteur numérique?
Marc Chevalier propose des collectes par donation de fonds à caractère coopératif sur des clusters de EdTech à l’échelle territoriale qu’on pourrait dupliquer dans d’autres régions… Des solutions viendront-elles de la rencontre des 3 & 4 mai à Bordeaux ? C’est un échange qui s’annonce capital pour l’avenir de ces dispositifs et qui induit une réflexion de fond sur le « modélisant », qui suppose une confiance dans l’ensemble des acteurs des territoires et qui implique le politique dans les choix et décisions.
Un troisième obstacle sera évoqué : la culture numérique
Elle n’est pas encore suffisante dans le système éducatif français pour lever les blocages
Et enfin la question de la rentabilité des produits éducatifs est posée !
Il n’y a pas d’intérêt majeur financier dans l’éducation. Les déploiements d’achats continuent avec les produits « anciens » qui bloquent les financements possibles. Le parascolaire seul trouve son marché et absorbe une très grande part des dépenses des familles (900 millions d’euros par an sont consacrés à l’achat de fournitures scolaires par les seules familles selon le rapport des Inspections générales en 2013[2])
Un champ ouvert depuis longtemps peut-il trouver des solutions ?
Le savoir-faire intellectuel que nous avons, le nombre de pépinières de Start-ups que nous soutenons, la nécessité de changement dans les pratiques, la capacité à créer aujourd’hui de l’intelligence collective peuvent-ils acheminer plus rapidement l’éducation vers des horizons plus ouverts à l’innovation avec des solutions issues de la recherche et de l’industrie de notre pays?
Michel Perez - Michelle Laurissergues
[1] http://www.itespresso.fr/educapital-marie-christine-levet-edtech-souveraine-172956.html
[2] http://www.education.gouv.fr/cid73971/la-structuration-de-la-filiere-du-numerique-educatif-un-enjeu-pedagogique-et-industriel.html
Dernière modification le lundi, 28 janvier 2019