Solène Méric, journaliste à Aqui.fr publie ce reportage de la présentation d’Antoine Chotard qui, chaque année présente les tendances de notre monde numérique.
Quand il s’agit de numérique, que l’on parle technologies, usages ou interfaces tout va vite. En très peu de temps, de nouveaux marchés se créent, d’autres tournent courts et la photographie de la filière mondiale d’une année sur l’autre évolue fortement. Un monde en perpétuel mouvement mais dont chaque année l’AEC décrypte, analyse, voire anticipe les grandes tendances de l’innovation à l’occasion de la conférence des Signaux numériques. Des signaux, décodés par Antoine Chotard, le responsable veille et prospective de la structure, face à un public nombreux en salle, et dans toute l’Aquitaine grâce à une diffusion en streaming de son exposé riche et dense.
Qu’elles marquent une continuité, un approfondissement, ou au contraire une rupture totale dans les usages, technologies ou interfaces qu’elles proposent, les innovations du numériques changent notre monde, notre rapport aux autres et notre rapport à nous même. A tel point que, et Antoine Chotard le répètera à plusieurs reprises lors de son exposé, désormais, « le offline n’existe plus, le monde réel est aujourd’hui le nouveau canal digital ». Autre constat de l’intervenant, en terme cette fois de marché et d’innovation ; plus qu’aillleurs, les acteurs du numérique « n’ont pas le temps d’être suiveurs ». « La compétition numérique se déroule dans un monde globalisé où l’isolation de l’innovation conduit à l’échec », explique-t-il.
Les plateformes de crowfounding sont d’ailleurs désormais de véritables « postes d’observation de l’innovation », voire « des places de marché à l’acquisition ». Conséquences : les industriels sont poussés à mettre leurs innovations plus tôt sur le marché. Et, parallèlement, afin de se prémunir de leur propres obsolescences, les gros acteurs tels que Google ou Apple acquièrent de plus en plus de start-up et ainsi multiplient les nouveaux services, quitte à s’éloigner de leur activité de base. « En trois mois on compte pour 174Mds de dollars de fusion-acquisition dans le secteur des télécommunications et médias », cite Antoine Chotard. Yahoo qui avait effectué 3 rachats en 2011, en a réalisé 27 en 2013... L’accélération est exponentielle.
"Imposition algorithmique"
Si la tendance décryptée en 2012 plaçant le mobile, les usages simplifiés, le collaboratif, les applications ou encore les « serious games », au cœur du net en sont désormais bel et bien devenus les fondamentaux, de nouveaux usages, services ou technologies, continuent de venir jouer les troubles fêtes (les « disrupteurs » selon Antoine Chotard) de marchés pourtant jusque là bien installés et peu impactés par le numérique. Bousculer par ces nouvelles technologies, et l’explosion du phénomène algorithmique, 47% des emplois tertiaires pourraient disparaître d’ici 20 ans.
Des algorithmes à tendance monopolistique, qui nous proposent des services de plus en plus simples et contextualisés, et qui filtrent de plus en plus à notre place. Bref des services « de plus en plus pratiques pour l’utilisateur mais qui en même temps nous occultent le monde qui nous entoure » prévient Antoine Chotard. Une sorte « d’imposition algorithmique » qui à la fois nous soulage de certaines tâches mais parallèlement nous ôte la liberté de choisir par nous même....
"Quantified self", "inner net" et "datatlas"
Une tendance qui dépasse les écrans puisque l’internet des objets déjà souligné dans les éditions précédentes lui aussi poursuit tranquillement son chemin :en 2012, on comptait 10mds de choses connectées, en 2020, il en existera entre 50 et 80 Mds. D’ailleurs on estime que la moitié du trafic en ligne en sera issu. Cocotes minute, surveillance d’enfant, lunettes, balances, bracelets qui vous avertit de l’ensoleillement et donc du risque de coup de soleil... L’internet des objets va accentuer le décloisonnement des collaborateurs et des compétences (le mariage des créateurs de mode et du numérique par exemple) mais aussi accentuer un phénomène nouveau mais déjà de plus en plus connu qu’est le « quantified self » ou la mesure de soi permanente.
Performances sportives l’évolution de son poids, de son alimentation, rythme cardiaque, sa consommation énergétique, etc... En bref un internet de soi (« inner-net ») qui va de plus en plus loin (le domaine de la santé est particulièrement intéressé, et des recherches sont menés sur le code neuronal, permettant d’allier numérique et cerveaux...) et qui semble préfigurer « le bien-être du business du bien être ». Autant de de possibilité de « coaching de vie » qui permettent d’imaginer un business model de plus en plus lié aux plate-formes de données issues de toute ces mesures. Se pose alors la question tout de même cruciale du « Datatalas » selon l’expression du veilleur d’AEC, autrement dit, l’organisation et de l’exploitation ces données.
L’invasion des "assistants"
Avec cet « inner-net », au delà de notre activité sur internet, notre corps, nos déplacements, notre comportement, nos gestes, nos émotions bientôt, sont de plus en plus mesurés. En bref, « la data numérique et physique se complètent » amenant à une modélisation du réel. En d’autres termes, nos comportements deviennent de plus en plus prévisibles, et donc les services numériques qui s’y rapportent de plus en plus performants. Exemple avec les « agents intelligents » que nos smartphones aiment appeler « nos assistants ». Ils comprennent notre langage, reconnaissent notre voix, gèrent nos agendas, exécutent nos recherches, écrivent des messages pour notre compte... « Il vont prendre de plus en plus d’importance dans nos vies » prédit Antoine Chotard, car ils sauront de plus en plus s’adapter au contexte (autrement dit concilier usages directs et contraintes extérieures) pour apporter la réponse, l’action ou la décision la plus adaptée à une situation donnée. Certes sur smartphones, mais aussi dans nos voitures, qu’à terme nous ne conduirons peut-être même plus, dans l’audiovisuel, lorsque la chaîne pourra choisir le programme qui nous sied le plus en fonction du jour, de l’heure ou de la météo, ou encore dans nos usines où les robots travaillent déjà de plus en plus pour nous.
Un développement du numérique qui appellera sans doute à la création de nombreux nouveaux métiers (selon une étude du Ministère du travail américain, 65% des écoliers exerceront un métier qui n’existe pas encore aujourd’hui), mais qui ne pourra se passer de compétences en sciences humaines, pour d’une part continuer à comprendre comment l’humain fonctionne à travers les données qu’il émet, et que les services de demain, notamment concernant l’internet de soi, reste en adéquation avec ses besoins « in real life ».
Solène Méric