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Au Canada, le vendredi 30 septembre est la journée nationale de la vérité et de la réconciliation [1]. En ce jour férié au fédéral, les canadiens sont invités à prendre un temps de pause pour rendre hommage aux enfants décédés et aux survivants des pensionnats [2] ainsi qu’à leurs familles.

1 Capture décran 2022 10 10 110619Dans tout le pays des centaines d’activités locales se poursuivent et du 30 septembre à 19h00 jusqu’au lever du soleil le 1er octobre, plusieurs bâtiments au Canada sont illuminés en orange. Le chandail orange est un symbole de la dépossession de la culture, de la liberté et de l’estime de soi dont ont été victimes les enfants autochtones pendant plusieurs générations.

Le texte qui suit raconte quelques moments du dévoilement de la murale dédiée aux Premiers Peuples, à la faculté de droit de l’Université de Montréal et une courte conversation avec Jacques Newashish, de la nation Atikamekw de Wemotaci, Québec ainsi que de l’évolution du message transmit aux jeunes canadiens francophones au sujet des peuples autochtones dans le cadre de l’enseignement de l’histoire du Canada depuis le début du XXème siècle.

Ce 30 septembre 2022, la faculté de droit de l’Université de Montréal a dévoilée une murale dédiée aux Premiers Peuples à l’Espace Stikeman Elliott.

Ces murales sont l’oeuvre collaborative de Jacques Newashish, artiste Atikamekew, Eruoma Asashish, artiste Atikamek, Sage Harrington, artiste Mohawk, Rodrigo Ardiles, artiste Chilien et Pablo West, artiste Chilien. Les murales furent réalisées avec la participation des Productions Feux Sacrés et Creative Arts.

Pourquoi des artistes autochtones chiliens ? Il y a eu le 29 juillet 1999, à Vancouver en Colombie britannique, une Déclaration de parenté et de coopération entre les peuples et nations autochtones d’Amérique du Nord [3]. Il semble que des rencontres se poursuivent pour élargir une telle entente à toutes les nations autochtones des trois Amériques [4].

Après une introduction par Karine Millaire, Wendat, professeure adjointe à la Faculté de droit et une ouverture par l’aîné Kevin Deer, Mohawk, France Houle, doyenne de la Faculté de droit, Jean- François Gaudreault-Desbien, vice-recteur à la planification et à la communication stratégiques de l’Université de Montréal, Louis-Philippe Boivin-Grenon, diplômé de la faculté de droit, Nadine Saint-Louis, vice-présidente des productions Feux Sacrés, Jacques Newashish, artiste Atikamekw et Rodrigo Ardiles, artiste Chilien ont exprimé chacun selon leur point de vue respectif et s’appuyant sur la déclaration officielle de l’Université de Montréal, comment la Faculté de droit, par cette murale, rend « hommage à ces peuples autochtones, à leurs descendants, ainsi qu’à l’esprit de fraternité, … un modèle pour notre communauté universitaire».

Le dévoilement a été suivi d’un cocktail dînatoire, oeuvre de la cheffe Swaneige, traiteur autochtone. J’admire comment ces générations montantes des premiers peuples ont l’intelligence et l’habileté où, assis sur leurs traditions, ils savent intégrer avec brio les éléments de la vie contemporaine à leurs créations, tant musicales, picturales ou gastronomiques. Voilà ce qui nous a été servi et consommé avec plaisir et gourmandise :

Mocktails (cocktails sans alcool)
Thés sucrés médicinaux froids au cèdre et à la fraise ou au foin d‘odeur et à l’amélanchier

Bouchées salées
Bannique [5] farcie ( la bannique, un pain plat, est une recette originale des peuples autochtones d’Amérique du nord)
Carpaccio de wapiti [6] des parcours - au chocolat et copeaux de cumin, panais, céleri-rave, copeaux de parmesan, café, réduction de vinaigre balsamique et roquette
Tartelette de cerf, poivrons et mûres (ma préférée, quoi que j’ai tout savouré)
Salade traditionelle de riz sauvage [7]
Salade de lentilles béluga [8], betteraves et roquette

Bouchées sucrées
Pavlova aux herbes douces
Brownie violet

Comment c’est, vivre sur une réserve ?

Ai-je demandé à Jacques Newashish [9] au moment de notre rencontre informelle.

Au Canada, une réserve indienne (en anglais : Indian reserve) est une partie des terres de la Couronne mis « à l'usage et au profit » d'un groupe autochtone membre des Premières Nations [10]. Les premières réserves canadiennes ont été créées par la Couronne française, sur des terres seigneuriales par des missionnaires catholiques.

Jacques Newashish est membre de la nation Atikamekw et habite Wemotaci [11], au Québec. La dynamique actuelle au sein de cette réserve est d’établir chez les résidents [12] un équilibre entre la vie traditionnelle en forêt et la participation à la vie d’une communauté contemporaine, progressive dont les membres ont des intérêts et des perspectives en commun, m’a-t-il expliqué.

Évidemment, je l’ai interrogé au sujet de l’éducation des jeunes citoyens de la réserve.

La Commission de vérité et de réconciliation (CVR) du gouvernement canadien a donné l’impulsion nécessaire pour que les provinces examinent leurs pratiques, et la Commission de l’éducation en langue anglaise (CELA) félicite le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport de prendre part à l’initiative.

Lit-on sur ÉDUCATION AUTOCHTONE : LES DEUX RIVES DU FLEUVE [13].

Avec la prise en charge de leur propre éducation, les peuples autochtones ont maintenant l’occasion de créer et de gérer leurs propres commissions scolaires. Au lendemain de la signature de la Convention de la baie James et du Nord québécois en 1976, la Commission scolaire crie voit le jour [14].

À Wemotaci, les enfants du primaire passent beaucoup de temps en forêt à jouer et à explorer leur milieu de vie. Vers 12 ans environ commence l’apprentissage des compétences propres à la culture de leur nation particulière. Par exemple, le jeune élève est initié au processus qui va de la chasse à l’orignal jusqu’à la fabrication du mocassin. Les adolescents.es de Wemotaci, tout comme les adolescents.es de Puvirnituq, rencontrés lors de mon séjour au Nunavik en 2019, comme la plupart des adolescents.es qu’ils soient d’Europe, d’Asie ou d’Amérique sont branchés sur YourTube, TikTok et autres. La musique, la mode, les jeux, les liens culturels sont nord américains et mondiaux. Cet univers virtuel où ils vivent branchés sur le monde hors de leur milieu restreint, les attire avec tout son glamour. Par contre comme l’a mentionné Jacques Newashish , la forêt demeure et ils peuvent y retourner quand ils ont terminé leurs explorations des artifices numériques.

Ces savoir-faire traditionnels transmis aux jeunes autochtones forment la base de tous les savoir-faire de l’humanité. Ces cultures premières sont témoins des premiers pas de survie de l’espèce Homo au sein de l’un ou l’autre des écosystèmes de notre planète, la Terre. Ces cultures forment la sauvegarde des technologies élémentaires des premiers humains. Les premières nations sont les derniers dépositaires des simples liens qui unissent l’Homo sapiens à la planète Terre. C’est l’héritage essentiel qu’ils peuvent nous transmettre alors que les grands explorateurs, fiers de leurs connaissances, leurs religions, les décrivaient comme des «sauvages». Et maintenant, en ce début de XXIème siècle, de cette ère numérique, c’est la nature «sauvage» de l’Homo sapiens qu’il importe de retrouver, de préserver.

La place des autochtones dans l’enseignement de l’histoire au Canada et au Québec

J’ai fouillé dans mes livres anciens et ai retrouvé ce manuel scolaire d’Histoire du Canada datant en 1917 mais encore en usage dans les écoles du Québec en 1936.

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Quelques extraits, quelques exemples :

• Après de longues années de navigation, Christophe Colomb voulu aller aux Indes par la route de l’ouest … un matin, les marins aperçurent devant eux une grande île couverte de beaux arbres …l’île était habitée … les sauvages devinrent amis avec les Espagnols qui les traitèrent avec bonté …
• Jacques Cartier retourna en France emmenant avec lui les deux fils du chef sauvage…
• Cartier revint au Canada … jusqu’à une bourgade sauvage nommée Stadaconé … il fut bien reçu par les sauvages ; ils lui offrirent du poisson et d’autres vivres.
• Les sauvages avaient le teint cuivré
• Ils vivaient de chasse et de pêche
• Les habitations étaient des tentes d’écorce
• Les sauvages aimaient la guerre ; ils étaient cruels ; ils scalpaient leurs prisonniers
• Les sauvages étaient ignorants et païens ; ils croyaient en l’existence d’un dieu du bien et d’un dieu du mal ; ils honoraient leurs morts et croyaient en l’immortalité de l’âme
• Les sauvages étaient païens et il fallait les sauver … les missionnaires allaient dans leur pays ; ils leur prêchaient la religion chrétienne ; ils leur montrait à prier et à corriger leurs vices …
• Les missionnaires étaient des héros, ils affrontèrent les plus grands dangers pour sauver les âmes des sauvages …. Voici ce que les écoliers québécois des années’30 apprenaient au sujet de ces «sauvages» qui partageaient leurs vies …

Enseigner l’histoire au Québec en prenant en compte la vision autochtone

Lyonel Kaufmann est professeur formateur à la Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP-VD) à Lausanne en Suisse. Sa thèse de doctorat était consacrée à l’autorité du discours dans les manuels scolaires vaudois [15]. Il est présentement en congé scientifique au Québec pour quelques mois à poursuivre une recherche sur la communauté des didacticiens de l’histoire. C’est dans ce contexte qu’il a assisté à la 6e édition du colloque de l’Association internationale de recherche pour la didactique de l’histoire et des sciences sociales (AIRDHSS) qui s’est tenu à Trois-Rivières du 22 au 24 septembre.

L’article mis en ligne le premier octobre : Enseigner l’histoire au Québec en prenant en compte la vision autochtone [16] présente l’analyse l’historique des revendications autochtones en matière d’enseignement de l’histoire de Julien Vallée-Longpré et Catinca Adriana Stan.

On y lit que dans les années ’60, le discours n’avait pas évolué depuis le début du XXème siècle :

Dans son mémoire déposé en mars 1962, le Comité de survivance indienne (CSI) soulignait que la population blanche connaissait mal les Autochtones, présentés de manière folklorique et perçus comme « »des sauvages » vêtus de peaux, coiffés de plumage, vivant de chasse et de pêche et habitant des tentes. Véhiculée par les films, les livres et le théâtre, cette vision se retrouve à l’école. Les jeunes y apprennent à voir les Autochtones comme des êtres cruels et barbares» (résumé par Vallée-Longpré et Stan, 2022, p. 45).

Les temps changent, les sociétés évoluent. Dans les manuels de la réforme de 2017, Bories-Sawala arrive au constat suivant :

Il s’est avéré possible, du côté autochtone, d’ouvrir le regard « autohistorique » pour aboutir à l’écriture d’une histoire du Québec et du Canada, et l’histoire euro-canadienne récente a intégré, du moins partiellement, des recommandations autochtones. … l ll n’en demeure pas moins que : La plupart des désaccords seront du côté de l’appréciation de telle ou telle réalité historique, de l’importance que l’on y accorde, bref : la construction du sens. (Bories- Sawala & Martin, 2020b, p. 669)

Je vous invite à consulter. https://lyonelkaufmann.ch/histoire/2022/10/01/enseigner-lhistoireau- quebec-en-prenant-en-compte-la-vision-autochtone/

Un souhait tout personnel

J’espère que le mot «sauvage» ne soulèvera jamais de controverse [17] comme le fameux «mot en N». Le mot «sauvage» tout comme le «mot en N» est lourd de sens et d’histoire. Moi que ma famille a parfois qualifié de «gypsy» est fière de mon côté «sauvageonne» toutefois sans héritage autochtone. «J’ai la mer et les bois dans le sang» et je souhaite que plusieurs d’entre-nous conservent et entretiennent ce lien primordial qui nous lit à la nature.

Cette appartenance est essentielle à l’humain du XXIème siècle.

[1] https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/campagnes/journee-nationale-verite-reconciliation.html [2] Pour savoir ce qu’étaient les pensionnats autochtones

• L’histoire des pensionnats indiens au Canada, La commission de vérité et de conciliation, Atlas des peuples autochtones du Canada, https:// atlasdespeuplesautochtonesducanada.ca/article/l%E2%80%8Ahistoire-des-pensionnatsindiens- du-canada/
• Pensionnats pour Autochtones au Canada https://fr.wikipedia.org/wiki/ Pensionnats_pour_Autochtones_au_Canada
• Qu’étaient les pensionnats autochtones au Canada? établissement.org https:// etablissement.org/ontario/immigration-et-citoyennete/citoyennete/premieres-nations-inuitset- metis/qu-etaient-les-pensionnats-autochtones-au-canada/

[3] https://www.afn.ca/fr/a-propos-de-lapn/declaration-de-parente-et-de-cooperation-entreles- peuples-et-nations-autochtones-damerique-du-nord/

[4] Les peuples autochtones des trois Amériques https://fr.wikipedia.org/wiki/Autochtones_d%27Am%C3%A9rique

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bannique

[6] Bannique, Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Bannique

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Riz_sauvage Le riz sauvage se nomme aussi zizanie des marais selon son nom latin Zizania palustris. Cette plante est ordinaire de l’Amérique du nord

[8] Lentille béluga, Ooreka https://jardinage.ooreka.fr/astuce/voir/522727/lentille-beluga

[9] Jacques Metaswhish

• Pleins feux sur Jacques Newashish https://youtu.be/RYQPrGZezmE
• Jacques Newashi https://uda.ca/utilisateurs/673677

[10] Réserve indienne (Canada), wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/ R%C3%A9serve_indienne_(Canada)

[11] Wemotaci, Conseil des Atikamekw de Wemotaci, (CAW). https://wemotaci.com/lacommunaute/# history

[12] Réserves

• Classification de résidence dans une réserve ou hors réserve https://www23.statcan.gc.ca/ imdb/p3VD_f.pl?Function=getVD&TVD=250614
• Réserves au Canada, L’encyclopédie canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/ fr/article/reserves-2

[13] Éducation autochtone, Les deux rives du fleuve,Mémoire au ministre de l’éducation, du Loisir et du sport. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/autres/ organismes/17-00091_CELA_Autochtones_FR_web_1.pdf

[14] Éducation des autochtones au Canada, Encyclopédie canadienne https:// www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/education-des-autochtones

[15] Autorité du discours – Discours d’autorité : les manuels d’histoire vaudois (1938-1998) https://www.hepl.ch/accueil/formation/unites-enseignement-et-recherche/didactiquessciences- humaines/equipe-et-contacts/lyonel-kaufmann.html

[16] Lyonel Kaufman, Enseigner l’histoire au Québec en prenant en compte la vision autochtone https://lyonelkaufmann.ch/histoire/2022/10/01/enseigner-lhistoire-au-quebec-en-prenant-encompte- la-vision-autochtone/

[17]

• Mot en N : Voici ce qu'il faut savoir sur la controverse qui fait jaser au Québec https:// www.narcity.com/fr/mot-en-n-voici-prcisment-ce-quil-faut-savoir-sur-la-controverse-auqubec
• Le mot en n et les deux solitudes https://www.ledevoir.com/culture/medias/730044/mediasle- mot-en-n-et-les-deux-solitudes

Dernière modification le mercredi, 12 octobre 2022
Ninon Louise LePage

Sortie d'une retraite hâtive poussée par mon intérêt pour les défis posés par l'adaptation de l'école aux nouvelles réalités sociales imposées par la présence accrue du numérique. Correspondante locale d'Educavox pour le Canada francophone.