Excluons d’office les « tiers lieux » et autres « Learning centers », lieux d’apprentissage hors-classe ou l’étudiant recherche confort, calme, convivialité et fonctionnalités (courant, wifi, cafétéria) pour travailler seul ou en groupe (cela fera l’objet d’un autre article). Centrons nous donc sur nos classes et sur nos espaces d’apprentissage, ceux gérés par les enseignants…
Pour mieux comprendre la notion d’environnement d’apprentissage, décortiquons l’acte pédagogique. Ce dernier possède 4 constituants qui interagissent : le lieu, l’intention, les personnes et les outils.
Attardons-nous sur chacun de ces éléments.
1 - Le lieu (ou apprendre ?) :
Si nous parlons d’enseignement en présence, ce lieu est le plus souvent la classe, mais pourrait être autre lors de sorties pédagogiques (salle de cinéma, musée, bibliothèque, entreprise…).
Les élèves apprécient la mise en situation et pour l’avoir pratiqué, apprendre sur un lieu « inspirant » est très formateur. Voyons un exemple, la visite d’une imprimerie : Je forme des étudiants à l’infographie et à la communication. Pour leur apprendre à fournir des fichiers exploitables à l’imprimeur, le cours magistral n’est pas très intéressant et ne fournit pas de bons résultats. Depuis des années, je préfère organiser une visite d’imprimerie et le cours se déroule sur place, en partie effectué par le personnel de l’imprimerie. Chaque employé décrit son poste de travail, les contraintes des étapes précédentes et suivantes de la chaine d’impression et répond aux questions des étudiants. Le résultat pédagogique est excellent couplé à un exposé.
En plus d’imager le concept d’imprimerie, les étudiants retiennent mieux les éléments techniques pour avoir vu fonctionner les machines et souvent retiendront aussi l’imprimeur comme futur prestataire.
Pour autant, l’acte pédagogique se réalise le plus souvent en classe. Il est difficile de s’approprier l’espace d’apprentissage dans le secondaire ou le supérieur. En effet, enseignants et étudiants changent en permanence de classes, l’enseignant pourra donc difficilement personnaliser sa classe. Les seuls paramètres sur lesquels l’enseignant pourra jouer seront la lumière, l’aération, la position des étudiants, la qualité de l’affichage ou projection, la qualité de l’audition, sa position dans la salle, ses déplacements et enfin la maitrise et l’usage des équipements proposés. Assurer un minimum de qualité sur ces paramètres est déjà beaucoup !
Vous arrive-t-il de reconfigurer cet espace selon les besoins d’une séquence pédagogique, de favoriser le déplacement et le regroupement, l’appropriation du tableau ou de la vidéo projection par les étudiants ?
A défaut de pouvoir réaliser le scénario prévu dans votre classe, vous arrive-t-il de réserver un autre lieu ?
2 - L’intention (faire apprendre) :
Il s’agit du sujet du cours. Il faut que cette intention soit bien comprise, que les consignes soient claires. En effet, l’ambiance se gâtera vite si le cours n’est pas préparé ou maitrisé par l’enseignant, ou s’il n’est pas compris.
Cela nécessite donc une bonne préparation, une introduction (avec reconnexion aux connaissances vues précédemment), une mise en situation et un suivi pour contrôler que les consignes sont comprises et appliquées. Ensuite il faut être présent tout en laissant travailler les étudiants pour développer leur apprentissage. Or, laisser du temps aux étudiants est difficile pour la majorité des enseignants qui ne supportent pas de ne pas intervenir, parler, agir…
Combien de temps laissez-vous à vos élèves pour répondre à une question avant de répondre vous-même ou d’interroger celui qui sait ?
Si l’enseignant sait « donner du sens », expliquer son intention et être compris, en général le cours est constructif et l’apprentissage se déroule dans le plaisir du partage.
3 - Les personnes (avec qui apprendre ?) :
Les étudiants :
Les étudiants nous renvoient ce que nous leur envoyons dans un échange d’énergie. Si l’enseignant envoie de l’ennui, il recevra de l’ennui. S’il envoie du dynamisme, de la bonne humeur, de l’envie, de la curiosité il stimulera sans doute cela chez ses étudiants.
Une des difficultés du rôle d’étudiant est justement de ne pas bien cerner les rôles de chacun, de n’être à priori là que pour consommer dans une certaine passivité si possible. Une prise de conscience peut être souhaitable avec une incursion dans « l’apprendre à apprendre ».
J’utilise personnellement deux méthodes pour cela :
1 - Le débat de rentrée : avec des promotions d’adultes que j’encadre sur un fort volume horaire, j’aime bien commencer le 1er cours en les faisant réfléchir à ce qu’est un bon cours, à ce qu’ils attendent d’eux, de moi, de nos échanges, de l’ambiance de la classe. Nous définissons des notions telles que l’enseignement, l’apprentissage, la communication (émetteur/récepteur). Je leur parle aussi de ce déséquilibre qu’ils vont ressentir lors d’apprentissages complexes et du volontarisme à avoir dans toute situation d’apprentissage. Enfin j’aborde l’essai et l’erreur…
2 – L’exposé : On peut aussi inverser la posture en plaçant l’étudiant en situation d’enseigner, via des exposés par exemple. Il s’agit d’un bon moyen de faire prendre conscience du rôle de chacun et des difficultés de chaque rôle. Encore faut-il profiter de cette situation pour en parler.
Trop d’occasions de réfléchir à « ce que nous venons de faire, la méthode et le résultat atteint » sont perdues ! n’y aurait-il pas au moins un autre « chemin » pour parvenir au même résultat ?
On ne choisit pas ses étudiants en principe, ainsi l’enseignant devra s’adapter à des publics divers et gérer la diversité de niveau, de vocabulaire, de culture, d’âge, de sexe …
Il est des promotions qui fonctionnent mieux que d’autres et avec lesquelles le travail est plus facile ou agréable. Pour autant, en étant vigilant dans nos relations avec le groupe, on peut assurer un niveau minimal de qualité pédagogique et d’interactions (j’ai parfois encadré des groupes d’adultes jusqu’à 256h/an, il ne s’agit pas de laisser s’installer n’importe quel climat d’apprentissage dans cette quantité d’interactions).
Les éventuels « éléments perturbateurs » devront être rencontrés hors cours, pour avoir une explication sur ce qu’il est possible de faire pour stopper la gêne et les replacer en situation de réussir. A minima, la gêne pourra être amoindrie voire stoppée.
Les intervenants extérieurs :
Pour légitimer et faciliter certains apprentissages j’ai recours parfois à des intervenants extérieurs qui peuvent être des anciens étudiants ou des professionnels. Cela dynamise le cours en apportant de la diversité. De plus les étudiants sont très attentifs au tout début d’une relation pédagogique et cela rend l’intervention souvent plus efficace. Alors n’hésitez pas à faire témoigner des personnes extérieures sur des sujets de cours. Ils illustreront certains concepts et vous permettront d’engager des débats à la suite. Je fais cela par exemple durant un cours sur les media sociaux en invitant un recruteur ou pour remotiver les troupes dans les moments difficiles en faisant intervenir un ancien étudiant…
Avez-vous gardé des liens avec vos anciens étudiants ? Quels postes occupent-ils ?
Avez-vous des contacts professionnels en rapport avec votre discipline ?
L’enseignant :
Pour motiver à apprendre, l’enseignant doit maitriser son sujet, tout en sachant se remettre en question et se placer en position d’apprendre quand il ne sait pas.
De nature extraverti, il doit être un bon communiquant, il doit savoir « théâtraliser » ou « storyfier » son enseignement pour le rendre ludique et attractif si possible.
Il doit bien comprendre que son rôle est de placer l’apprenant dans une situation lui permettant de développer son apprentissage et non dans un rôle de « scribe ». Il doit pour cela rendre actif un maximum d’étudiants en simultané (l’exemple est assez frappant au sein d’un cours de langue hors labo ou un élève parle à peine 1 mn/h en langue étrangère. Je ne sais pour vous, mais qu’est-ce que j’ai pu m’y ennuyer !).
L’enseignant doit être « un modèle » en évitant de se soumettre à la critique par des propos déplacés ou des avis trop tranchés qui n’ont rien à voir avec le cours.
Prenons en compte que : les apprenants font davantage ce qu’ils voient que ce qu’ils entendent !
Enfin, il me semble qu’un bon enseignant doit être à l’écoute de tous, ne privilégier personne, être patient, tolérant et bienveillant…pas facile de ne pas souffrir d’enseigner
4 - Les outils (avec quoi apprendre ?) :
L’enseignant doit avoir conscience de la diversité des outils dont il dispose pour enseigner. Il ne s’agit pas de parler forcement « technologie », même si les usages du numérique peuvent être très pertinents pour organiser des activités ludiques et formatives. Je parle donc bien de scenarii pédagogiques qui sont les outils de l’enseignant, la panoplie des activités qu’il peut lancer, les diverses situations d’apprentissage dans lesquelles il peut placer ses étudiants. La variété de celles-ci sera un paramètre important de la bonne ambiance d’apprentissage car il est rébarbatif pour tout le monde de faire tout le temps la même chose, même si la chose est agréable ! Essayez pour preuve de manger tous les jours votre plat préféré…
Sans vouloir rechercher la moindre exhaustivité je citerai les principaux outils de l’enseignant
- La visite pédagogique (ou sortie « terrain ») : apprendre en explorant
- L’invité (témoignage d’une personne extérieure) : apprendre de l’autre
- Le débat (animer un groupe de discussion) : apprendre en discutant
- Le travail de groupe ou collaboratif : apprendre en co-construisant
- Les travaux pratiques (expérimentation) : apprendre en faisant
- L’exposé (ou apprentissage par les pairs) : apprendre en enseignant
- La compétition (ou Battle) : apprendre en s’affrontant ou via un défi
- L’apprentissage par problème (recherche d’informations et de solutions) : apprendre via un problème
- L’étude de cas : apprendre du cas particulier et généraliser
- Le projet : apprendre en réalisant
- Le jeu de rôle : apprendre en jouant un rôle
- La démonstration : apprendre en démontrant
- La simulation : apprendre via une simulation d’une réalité parfois complexe à rencontrer
- La critique constructive : apprendre par la critique et construire autour
- Et non des moindre, le cours magistral : apprendre par la transmission d’informations ou en écrivant.
Il est à noter que ces scenarii (ou situations pédagogiques) peuvent être réalisés avec ou sans outils numériques pour la plupart. Ainsi un travail collaboratif pourra débuter en classe et se poursuivre hors classe par des réunions d’étudiants. Bien entendu, le numérique permettrait la continuité du travail en ligne sans générer de déplacements d’étudiants. Le numérique est un facilitateur et un amplificateur de la pédagogie, pas un successeur. Il ne faut pas le négliger, ni le mettre absolument à toutes les « sauces » !
5 - Conclusion (provisoire !) :
Créer un bon environnement d’apprentissage passe par la compréhension des 4 constituants de l’acte pédagogique et par un savant mélange pour créer la bonne interactivité. Mon expérience d’enseignant m’a appris, parfois dans la douleur de l’échec, à jongler avec les outils, à tenter de mieux comprendre les apprenants en tant qu’individus, à modeler l’espace d’apprentissage (la classe entre autres) mais surtout à expérimenter pour progresser, à être moi-même (car jouer un rôle en permanence est trop éprouvant) et … à aimer enseigner !
Crédit photo : jf ceci 2013 - UIEPU à l’Université Laval (québec)
Dernière modification le mardi, 23 septembre 2014