L’institution a donc pris en main sa responsabilité afin d’assurer la continuité pédagogique pour les élèves, cette continuité étant devenue depuis quelques jours un sujet de préoccupation majeure pour l’ensemble des acteurs : ministère, enfants, enseignants, parents.
La pédagogie relève du rôle de l’école, car elle consiste à organiser les activités scolaires de manière à adapter les savoirs et savoirs-faire à acquérir aux caractéristiques du public visé.
Il ne peut donc s’agir seulement de transmettre des savoirs en un mouvement qui consisterait à transférer des connaissances d’un individu à un autre, selon le principe des vases communicants, dans un acte purement transmissif du professeur vers l’élève.
Qu’il s’agisse de pédagogie active, de pédagogie différenciée, de pédagogie constructiviste, de pédagogie Freinet ou Montessori, aucun de ses avatars ne résiste à la rupture du lien physique et présentiel entre un groupe d’ « apprenants » et un ou plusieurs enseignants. Et cela parce que l’interaction et la motivation sont des facteurs indissociables de l’action pédagogique, parce que celle-ci met en jeu l’acquisition des savoirs par un exercice de va et vient entre l’observation, la réflexion, la formulation d’hypothèses, l’échange de points de vue dans un constant mouvement entre l’individu, le groupe et l’enseignant.
Aucune pédagogie ne résiste donc à l’absence de groupe, d’école, d’échanges entre adultes et élèves ou étudiants. Comment dès lors assurer une telle continuité pédagogique si l’on s’en tient à ce seul objectif « pédagogique » qui est nécessairement lié à l’école, celle-ci étant désormais inaccessible ?
Des efforts remarquables sont faits par l’institution pour assurer la « continuité pédagogique », le ministère de l’Education nationale et les académies, proposent des ressources (y compris la nouvelle mise à disposition de l’opération « Nation apprenante » ou « Ma classe à la maison »), des liens, des conseils à l’adresse des parents et des activités pour les enfants.
Mais entre l’école et la maison il manque un lien que les enseignants s’efforcent de maintenir avec les faibles moyens numériques (le plus souvent personnels, qu’ils passent ou non ensuite par un ENT – Espace numérique de travail) dont ils disposent et que les parents s’évertuent à reconstruire en des efforts surhumains et parfois désespérés, tant il est vrai que l’on ne s’improvise pas enseignant, car la pédagogie est un vrai métier.
Force est de constater que ces dispositifs « officiels » ne suffisent pas, car ils se heurtent aux limites des outils numériques disponibles censés prendre le relai : absence ou insuffisance d’équipement des familles, parfois nombreuses autour d’un unique ordinateur (l’inégalité sociale encore!), recours des enseignants à leur équipement personnel, pas toujours de dernière génération, fragilité des réseaux, saturation des plateformes inutilisables pendant tout le temps nécessaire à aller au bout d’une activité, absence de médiation d’un enseignant et parfois même, activités mal adaptées à un travail solitaire à distance et à l’âge des enfants.
On se heurte aujourd’hui à la dure réalité de l’incapacité de l’école à « passer au numérique ».
Le numérique, pour toutes les raisons techniques et pédagogiques que nous venons d’indiquer, ne permet pas d’assurer la « continuité pédagogique » dans les conditions actuelles et nous dirons même dans l’absolu dans le cas d’une rupture durable du lien entre l’école et les apprenants.
Or, il ne faut pas oublier que si la pédagogie est l’affaire exclusive de l’École, l’éducation est pourtant l’affaire de tous : l’affaire de l’école bien sûr, mais aussi celle des parents, des familles, des associations culturelles ou sportives, des médias, des collectivités locales via les programmes et les structures qu’elles mettent à disposition (médiathèques, centres culturels, musées, maisons des jeunes, Fab lab etc.). Cependant il faut bien reconnaître que le lien entre tous ces acteurs de l’éducation des jeunes est ténu, distendu, voire souvent inexistant, car il n’est pas, le plus souvent, formalisé.
C’est sans doute ce lien entre tous les acteurs qui pourrait être utilement mis à profit pour assurer la continuité éducative des jeunes. Et aujourd’hui nous ne connaissons pas de meilleur vecteur que le numérique pour créer et enrichir ce lien via des outils appropriés : réseaux, espaces, matériel, didacticiels etc.
Ce lien suppose l’existence d’un culture commune qui transcende les frontières étanches mises en place par les différents acteurs institutionnels : une culture commune que nous appelons de nos vœux sous le terme de « continuum éducatif » qui est le véritable enjeu du numérique pour la jeunesse. A la recherche d’une cohérence entre tous ces dispositifs, tous ces outils, tous ces réseaux disparates et le plus souvent marchands, il importe de créer un véritable lien dédié à l’action éducative qui renforce le lien social entre les jeunes et entre les institutions, les citoyens via l’objectif majeur que représente la formation des jeunes.
Suivant en cela les travaux de Milad Doueihi[1], nous savons que le numérique, ce n’est pas l’informatique, mais l’ensemble des usages sociaux et culturels que nous faisons de l’informatique. Il est donc temps aujourd’hui d’affirmer cette réalité pour engendrer une culture éducative commune autour des objectifs éducatifs qui sont les nôtres, ceux de l’An@é relayés quotidiennement par Educavox. Une culture éducative qui dépasse les clivages instaurés par le espaces et territoires clos générés par les différents acteurs institutionnels : il est temps aujourd’hui de réunir les différents acteurs autour de « comités locaux de partenaires » visant à mettre en cohérence et en synergie les équipements, les réseaux, les outils, les lieux, les ressources qu’il convient de mutualiser afin d’établir un authentique continuum éducatif tout au long de la période de formation des jeunes. Un continuum allant de l’école à la maison, en passant par les associations, les espaces publics d’éducation, les centres de ressources etc.
Il s’agirait bien aussi d’aller au-delà de la période d’éducation initiale, puisque ces comités locaux auraient aussi vocation à s’intéresser à la Formation Tout au Long de la Vie ainsi qu’à l’acquisition par tous des compétences numériques nécessaires à l’exercice de la citoyenneté numérique, sans laisser personne au bord du chemin. Un premier pas a été franchi avec la création des Pass numériques autour d’une « grande coalition » des parties prenantes à l’inclusion numérique, comme nous le rapportions dans Educavox. Mais il faut aller plus loin.
L’An@é aura un rôle actif à jouer dans la construction de ce continuum éducatif, car nous entendons mettre à disposition notre espace commun, notre média pure player, nos contacts et notre capacité d’action au service de cet objectif qui est de faire culture commune autour de l’éducation au et par le numérique. A cet effet, nous accueillerons dès à présent sur notre espace Educavox une rubrique « L’école à la maison » afin d’accompagner par la mutualisation la continuité éducative en cette période de crise. Cette rubrique est ouverte à tous pour le partage des bonnes idées … A vos claviers, à vos smartphones ! Nous vous attendons.
[1] Le numérique est-il un nouvel humanisme ? Conversation à écouter sur France Culture entre Milad Doueihi et Serge Tisseron.
Dernière modification le mercredi, 12 mai 2021