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« Les intelligences artificielles et l’esprit critique » à l’IUT Michel Montaigne, le 27 novembre 2024 » manifestation organisée par l’Association nationale des @cteurs de l’école : Enregistrement disponible sur le site de l’association et bibliographie complémentaire établie par Michelle Laurissergues, IA et Esprit critique.

https://educavox.fr/les-reportages/content/439-les-ia-et-l-esprit-critique/

Dans la poursuite de sa participation aux « Universités d’été de la communication d’Hourtin » et de la réalisation de manifestations telles que « les Boussoles du numériques », l’Association nationale des @cteurs de l’École, An@é, a la volonté de permettre une approche et une compréhension des processus et des procédures de l’éducation dans une société connectée. Elle développe parallèlement le média EDUCAVOX, pour transmettre au plus grand nombre les différentes actions dans ce domaine. 

Elle rend compte notamment des différentes pratiques éducatives influencées par les entreprises industrielles et commerciales qui traitent les informations avec des procédures à base d’algorithmes.

Ces entreprises s’inscrivent dans une société économique basée sur un marché impacté par les résultats financiers dont les théories dominantes sont souvent éloignées du concept « d’esprit critique ». 

Elle propose des orientations ancrées dans les pratiques, les expérimentations, elle s’attache à diffuser les réflexions de ceux et de celles qui sont engagés dans l’action sur le terrain comme les élèves, les parents, les enseignants, les éducateurs, les scientifiques, les élus des collectivités territoriales.

Elle met en évidence des processus d’éducation et d’enseignement orientés vers des situations de proximité entre les enfants, les adolescents, les jeunes adultes et les adultes.

C’est dans ce contexte qu’elle a proposé le séminaire « les intelligences artificielles et l’esprit critique » à l’IUT Michel Montaigne, le 27 novembre 2024.

Depuis le début du 21ème siècle, les auteurs proposent une série de vocables pour définir l’humain quand il est immergé dans cet environnement de connexions.

Il est homme augmenté, rehaussé par la technique (HET), transhumanisé, assisté, diminué…

La femme, l’homme ne seraient que les produits des puissances industrielles et financières détentrices des environnements technologiques. 

Ces définitions de l’humain orientent la réflexion vers la conception d’une personne à construire à la disposition d’hommes et de femmes de pouvoir dont une société connectée serait l’agent.

Elles apparaissent d’une extrême violence quand les neurosciences nous apprennent que les enfants, les adolescents-tes sont porteurs des acquis qui précèdent et suivent leur naissance et qu’ils vont progressivement développer des aptitudes physiques et cognitives propres à leurs caractères génétiques. 

Dans cette situation, ces générations montantes vont réagir suivant un spectre allant la soumission à la contestation, suivant les propositions des essayistes et des auteurs scientifiques. 

Poser la question de « l’esprit critique », c’est envisager qu’en douceur, il est possible de « renverser la table » des décideurs pour qui la formation de l’enfant et du jeune a un objectif, inculquer une éducation et un enseignement adaptés à leur projet. A l’opposé de ces décideurs, pour d’autres, la finalité de l’éducation est de donner la priorité aux acquis des enfants et des jeunes qui depuis, leur conception, ont leur propre histoire. 

Ce séminaire est en réaction aux conséquences sur l’éducation et l’enseignement d’une augmentation exponentielle d’émission et de réception de messages sur des réseaux qui appartiennent à des entreprises industrielles et commerciales. 

Il en propose une réflexion en prise directe avec les acteurs terrains.

La connaissance des histoires personnelles demande une écoute de la parole individuelle et collective des enfants et des jeunes par les adultes qui n’imposent aucun modèle sur le thème débattu. Cette écoute s’inspire des méthodes de l’anthropologie et permet de situer la place physique et sociale de l’adulte dans un groupe d’enfants et de jeunes en leur reconnaissant une culture proche ou lointaine de la leur, en fonction de l’influence des produits de la société connectée.

L’expression, - ceux que l’adulte désigne comme premiers des classes, « ils ne voient pas l’envers des choses. Ils ne connaissent que l’endroit : la vie officielle » (Edgar Morin, L’année a perdu son printemps, Denoël, 2024, p.119) - est une expression de ce retournement de la situation de l’éducation et de l’enseignement quand elle prend sa source dans les expressions libres des enfants, des adolescents, des adolescentes et qu’elle attend leur formulation pour les confronter aux finalités et connaissances des adultes.

Il ne s’agit pas de nier la valeur de la transmission des savoirs, des connaissances, des expériences des adultes, il s’agit que les jeunes se saisissent des différences pour comprendre les finalités des uns et des autres, partie de l’esprit critique.

Les exposés rendent compte de ce projet scolaire et des suites qu’il permet. Ils exposent trois temps.

Le premier consiste à libérer la parole des élèves pour qu’ils expriment verbalement leurs pratiques des outils et des informations disponibles, dans une société prometteuse d’un accès permanent à de multiples sources d’information et d’une diffusion illimitée d’images, de sons et d’écrits. 

Jusqu’au début de la seconde partie du 20éme siècle, l’accès à l’information et à la diffusion demeure limité par les outils techniques disponibles et par la régulation étatique. 

A partir du début du 21ème, les possibilités de recevoir et de diffuser des informations se multiplient en allant des fausses nouvelles, par exemple sur les réseaux numériques, aux textes pré rédigés générés par une technique autonome. 

Le fossé entre ces deux époques se creuse très rapidement. Il nécessite de revoir les méthodes et les processus de l’éducation et de l’enseignement : un des thèmes de ce séminaire.

Connaître la pratique des élèves nécessite leur prise de parole au sein même du groupe auquel ils appartiennent.

Cette animation est présente sur l’enregistrement de la manifestation et décrite dans les articles qui suivirent, elle met en évidence l’importance de l’altérité et de l’empathie de l’adulte dans son rapport aux enfants.

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La photographie représentant Clarisse Aimé, conseillère pédagogique, assise au même niveau du sol que les jeunes enfants qui l’entourent, illustre ces deux caractères pédagogiques nécessairement partagés avec les autres membres de l’équipe éducative.

A 1 Capture décran 2025 01 24 152216Jennifer Elbaz, chargée de mission éducation au numérique à la CNIL, parle, en aparté, du temps long nécessaire pour qu’un élève de l’école élémentaire parle de son monde connecté et en exprime ses différentes pratiques au sein d’un groupe et en présence des adultes. Elle souligne qu’une fois la confiance installée, les élèves souhaitent poursuivre cette séquence scolaire.

Quand la libre circulation de la parole entre les élèves leur permet l’énonciation de leur approche du thème abordé, la régulation par le ou les adultes modérateurs leur permet d’acquérir le respect de la pensée de l’autre et de l’intégrité de sa personne au cours de ces échanges qui peuvent parfois devenir violents.

Si altérité, empathie, confiance, durée apparaissent comme les conditions nécessaires pour avoir l’écoute de l’envers des versions officielles, celles des générations montantes, ce corpus verbal ne peut pas être suffisant. Une production doit rendre compte de cet « envers des propositions officielles » de la science faite pour se saisir de celle qui est en train de se construire.     

Le second temps souligne l’importance de la production d’un texte rendant compte des prises de parole.

Clarisse Aimé et Jennifer Elbaz ont proposé les comptes-rendus d’ateliers faits dans des classes de Grande section, de CE2, CM1, CM2. Leur but est de rendre informative la parole des jeunes.

Elles sont attentives au respect de chacun et chacune et de leur anonymat conformément à leur déontologie professionnelle qui s’attache à la liberté d’expression dans le cadre des principes de la laïcité.

La finalité de ces écrits est double. 

- Transmettre les résultats de ce temps scolaire à la communauté éducative au sens large pour qu’elle puisse en débattre et agir. La table ronde de ce séminaire animée par Robert Sauvaget en est représentative.

- Permettre au groupe d’élèves de saisir son évolution sur le temps court et le temps long quand cette animation est périodiquement instituée.

Le troisième temps montre que la production d’une information fermée sur sa propre source ne peut être suffisante.

Elle est nécessairement amendée, questionnée, réécrite par un accès à la science faite et aux informations validées.

Dans l’établissement scolaire, les responsables des Centres de Documentation et d’Information sont les acteurs de l’enseignement et de l’éducation qui permettent de conduire une recherche documentaire qui confronte les productions réalisées suite aux expressions libres des élèves à celles reconnues par les instances scientifiques et académiques.

Dans son article sur le séminaire Michelle Laurissergues cite la conclusion de Bathilde Vassent Ndiaye, Professeure documentaliste, Référente Culture au Lycée Professionnel Tregey à Bordeaux en ces termes :

« Finalement l'IA, ce n'est pas une fin en soi dans ce contexte, l'esprit critique se travaille tous les jours. »

Entre les deux conceptions de l’éducation qui s’opposent :  Pour l’une, l’enfant ne possède pas d’acquis, il n’a rien à transmettre, le discours professoral est unique, suivi de quelques ajustements aux capacités cognitives des élèves. Pour l’autre, l’enfant a des acquis dès sa naissance et en acquiert tout au long de sa vie, il faut lui permettre de les exprimer pour que les connaissances à transmettre aient du sens.

La proposition de Madame Bathilde Vassent Ndiaye choisit la seconde qui, au niveau individuel et collectif, devient prioritaire dans un environnement dominé par une promotion de la consommation et de la production d’informations numérisées. 

L’absence de ce préalable n’explique-t-il pas le désintérêt des élèves que de nombreux enseignants constatent pour leur cours ?

Quand les élèves vivent dans une continuelle incitation commerciale proposant de multiples réponses non référencées et distinctes des débats scientifiques et sociétaux qui sont enseignés, peuvent-ils se saisir de l’importance cognitive du discours professoral quand ils n’ont pas saisi la différence entre les informations des réseaux et des plateformes numériques et les connaissances de la science faite enseignée ?

La compréhension par les élèves de leur consommation et de leur production d’informations basée sur la libre discussion collective place l’activité de la professeure et du professeur documentaliste au centre de l’organisation de l’établissement scolaire comme le définit le Manifeste 2012 de l’APDE :

« Aujourd’hui, il faut maîtriser l’information pour participer à la « société du savoir ». Mais cette maîtrise ne peut pas être uniquement procédurale, elle doit intégrer des connaissances sur la place et le rôle de la documentation, de l’information et de la communication, pour permettre une acculturation informationnelle favorisant l’intégration sociale, culturelle et professionnelle des individus »

Dans ce contexte, Madame Bathilde Vassent Ndiaye, définit une de ses activités professionnelles  en ces termes :

« en tant que professeur documentaliste je travaille l'EMI - Éducation aux Médias et à l'Information - et donc bien évidemment l'esprit critique est énormément travaillé, l'utilisation d'un moteur de recherche, la hiérarchisation, les usages des réseaux sociaux : l'identité numérique, vérification de l'info, les droits et devoirs en matière d'usages avec le numérique en particulier les notions de droits d'auteur et de plagiat. »

Elle ne se contente pas de définir les objectifs de son activité avec les élèves, elle en détermine un cadre :

« L'idée, c'est de créer une synergie au niveau des établissements scolaires afin que personnels de direction, professeurs, professeurs documentalistes, personnels de vie scolaire, en fait tous les membres de la communauté éducative, s'engagent à donner un sens à cet esprit critique dans la vie de tous les jours pour nos élèves. Évidemment l'idéal c'est d'inclure également les parents »

Accès à la vidéo

Cette lecture du séminaire « les intelligences artificielles et l’esprit critique » donne la priorité à la prise de parole des enfants et des jeunes.

La parole professorale des disciplines académiques traditionnelles intervient seulement quand, à partir de leur propre parole, les scolaires ont compris que toutes les informations qu’ils consomment et produisent font partie de systèmes techniques, industriels et commerciaux. 

Cette prise de conscience est le début d’une approche critique des messages circulant dans leur environnement. Les échanges collectifs qui la précèdent sont un apprentissage de la reconnaissance de ses pairs et du débat démocratique.

Au sein de l’établissement, cette inversion temporelle de l’action éducative organise les plages horaires en donnant la priorité à l’expression d’un collectif d’enfants et de jeunes sur leurs connaissances d’une question mises en perspective par une recherche documentaire. La connaissance disciplinaire se construit sur ces acquis.

Il existe une continuité entre ces temps : les acquis à la naissance, les influences des environnements qu’ils soient présentiels ou médiatisés, l’énoncé de ces multiples acquis cognitifs régulés par leur mise en commun, le passage de l’énoncé à la production d’une information complétée par la recherche documentaire, l’acquisition des connaissances officielles.

Au cours de ce trajet scolaire, les enfants, les adolescents et les adolescentes acquièrent les processus de l’esprit critique parce qu’ils confrontent les différentes informations énoncées et qu’ils situent une connaissance académique dans la complexité des multiples informations qu’ils reçoivent.

La présentation en séquences de cette étape de la réflexion ne doit pas occulter que chaque séquence est porteuse de l’ensemble des éléments qui participent à l’enseignement et l’éducation, que les contenus de l’une génèrent les contenus de la suivante et que les rencontres dialogiques permettent le passage des informations brutes aux acquis de la science faite.

Dans cette société inter connectée par des procédures techniques industrielles et commerciales, une tradition voudrait distinguer deux mondes distincts : d’une part, celui qui représente la totalité des messages reçus par les jeunes dès leur naissance et produits par eux-mêmes et d’autre part celui qui ne reconnaît que le discours officiel, institué et scientifique.

Ce séminaire introduit la recherche des voies de l’éducation et de l’enseignement qui préparent une symbiose de ces deux mondes, il propose une réflexion à propos de « l’homme symbiotique » qu‘a défini un des personnalités inspirantes de l’An@é, Joël de Rosnay.

https://educavox.fr/les-reportages/content/439-les-ia-et-l-esprit-critique/

Pr. Alain Jeannel

Dernière modification le vendredi, 24 janvier 2025
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.