Les chercheurs contemporains portent leur regard d’anthropologues sur des pratiques émergentes (des jeux vidéos à l’usage de mobiles et tablettes, en passant par les rencontres en ligne), voire saisissent des pratiques existantes avec de nouveaux outils (entretiens non-présentiels, observations participantes en ligne, analyse de bases de données qualitatives natives du Web, etc.).
Par delà l’émergence d’une anthropologie du numérique (c’est-à-dire des pratiques et des représentations qui entourent l’usage des TIC) et d’une anthropologie par le numérique (dans laquelle les technologies instrumentent les recherches dans le domaine) on peut légitimement se poser la question de savoir si nous assistons à la naissance d’une anthropologie numérique, à envisager comme une discipline à part entière. D’autres domaines de recherche, telles les sciences humaines, ont récemment vécu un sursaut épistémologique et une consolidation méthodologique avec l’essor des digital humanities. Des évolutions comparables se dessinent-elles pour l’anthropologie ? » (Casilli, 2014)
« Cette irruption du numérique va au-delà d’Internet et des réseaux sociaux : de la voiture au distributeur de billets, en passant par les caméras de vidéo-surveillance ou les compteurs intelligents, nous sommes progressivement pris dans un maillage très fin d’informations qui nous relie les uns aux autres, qui nous relie même aux objets. En réalité, le numérique est devenu ambiant. La dématérialisation croissante de toutes les industries et de tous les services comme la connexion progressive de tous les objets crée un continuum entre l’espace physique et l’espace « virtuel ». L’individu passe de l’un à l’autre sans même s’en apercevoir, via son smartphone, son ordinateur, un terminal bancaire, une caméra de vidéo-surveillance. Un monde sans couture se met en place : l’univers numérique.
Ce phénomène se traduit par des changements dans tous les domaines : économiques, politiques ou culturels. Certains parlent même de révolution. On peut, à bon droit, penser qu’il est porteur de ruptures anthropologiques majeures … ». (Falque-Pierrotin, 2014)
Approche anthropologique et éducation : les travaux de Pascal Plantard
« Pour nous, le numérique n’existe pas en dehors du monde mais dans un processus très important : la numérisation, partielle ou totale, des pratiques dans un grand nombre d’activités humaines. Le numérique peut se définir anthropologiquement comme l’ensemble des interactions entre les humains, les machines et les matériaux numérisés. Le numérique, c’est le fait social total de notre civilisation occidentale hypermoderne. Pour l’anthropologue Marcel Mauss un fait social comporte toujours plusieurs dimensions (psychique, symbolique, culturelle, esthétique, historique, politique, économique, juridique…) qui s’articulent les unes avec les autres. »
(…) « Nous analysons les pratiques numériques pour décrire et comprendre la construction des liens sociaux, ce qui nous conduit à réinvestir les cadres théoriques classiques de l’anthropologie et de la psychosociologie tels que les pratiques culturelles, les sociabilités, les identités et les représentations sociales. Du point de vue de l’anthropologie sociale, il ne s’agit plus seulement de nous interroger uniquement sur ce que font les gens avec les TIC mais aussi sur ce qu’ils pensent qu’ils font et donc comment ils se représentent ces pratiques. Ce processus représentation / pratique nous interroge aussi sur ce que les pratiques numériques nous apprennent des phénomènes sociaux. »
Autres extraits :
(Plantard, 2014)
(Plantard, 2021)
Approche anthropologique et éducation : les travaux de Louise Merzeau
« Je qualifie volontiers cette mutation [que constitue le numérique] de tournant anthropologique. En effet, si jusqu’à l’avènement du numérique, la lutte contre l’oubli nécessitait un véritable déploiement d’énergie, de moyens et d’innovations technologiques, le numérique a introduit une rupture, voire une inversion de ce processus : les systèmes de communication, de production, d’inscription et de partage via les réseaux ou les supports numériques ont engendré une traçabilité automatique, condition de nos activités et donc préalable à toute véritable intention de « faire trace ».
Par exemple, le simple fait de consulter un site internet laisse une trace numérique bien que nous ne soyons alors pas dans une démarche « d’expression ». De plus, ces traces sont produites en grande quantité par l’intermédiaire de processus invisibles ou difficilement compréhensibles qui échappent au contrôle de celui qui les laisse. » (Jost, 2016)
Accès à la vidéo : https://vimeo.com/161892066
Problématique et pistes pédagogiques proposées par Louis Merzeau à partir de son approche anthropologique numérique :
« Quelles capacités culturelles développer avec les élèves ?
L’École ne doit pas former des consommateurs mais des utilisateurs – capables de distance critique – et des créateurs.
Elle prône une entrée par le document, le patrimoine, l’éditorialisation, la recherche d’information, la constitution/valorisation/documentation de collections (corpus documentaires).
Il s’agit d’apprendre à circuler dans le savoir et de le “redocumentariser” dans l’environnement numérique.
En résumé, trois compétences fondamentales à travailler avec eux :
1. Editorialiser 2. Redocumentariser 3. Publier. » (Allouche, 2016)
Table ronde « Pour une anthropologie du numérique« (ESEN-IH2EF 2016)
Accès à la vidéo : https://www.ih2ef.gouv.fr/pour-une-anthropologie-du-numerique-1161
« Louise Merzeau estime que le numérique n’est la plupart du temps abordé qu’à travers le paradigme de la rupture et de la nouveauté alors qu’il fait déjà partie de notre passé. Son histoire est cependant peu enseignée et sa mémoire peu audible. Elle affirme qu’il est de la mission de l’école d’aborder l’environnement numérique non seulement comme outil ou média, mais comme tel, à travers une appréhension globale, réflexive et rétrospective.
Pascal Plantard aborde la question de la dimension symbolique des technologies et de nos représentations. Dans la construction interne des usages, il identifie trois types de processus anthropologiques : le butinage, le bricolage, le braconnage. Enfin, il insiste sur l’importance des inégalités éducatives et sur l’approche systémique qu’il convient de mener à l’échelle du territoire. »
(Marchandise et al., 2016)
https://edunumrech.hypotheses.org/3443
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Références
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Dernière modification le jeudi, 23 septembre 2021