Je me propose donc en préalable de préciser les contours de ma pensée.
Il ne s’agit pas d’un plus de temps consacré à la réflexion : « Il faut que nous attendions pour analyser la question, pour être sûr, dès fois que … » Le numérique est dans notre écosystème technologique, c’est un fait !
Il ne s’agit pas de plus de temps pour opérer les branchements, installer les ordinateurs, sceller les TBI au mur, c’est fait !
Il ne s’agit pas de plus de temps pour acclimater nos élèves et nos étudiants, ils l’ont fait ! sans nous le demander, sans nos conseils.
Je veux parler ici du temps réglementé, du temps normé du e.learning.
Mes observations, mes usages comme enseignant depuis plusieurs années me démontrent que les structures sont convaincues de l’intérêt du e.learning. Cependant la pierre achoppe systématiquement lorsqu’il faut libérer du temps effectif aux acteurs qui s’engagent dans des démarches de formation aux méthodes du e.learning. Nombreux sont mes étudiants / stagiaires qui, engagés dans un processus de formation au e.learning, doivent composer l’impérieuse nécessité de s’acculturer avec la réalisation de leur mission principale. Satisfaire l’un et l’autre comme s’il s’agissait de deux dimensions identiques. Or le temps du e.learning est spécifique.
Lorsque l’on encadre des groupes, que l’on fait le point des avancées et des difficultés rencontrées lors de la formation les étudiants disent massivement (ou à défaut de le dire ils le pensent) :
« C’est chronophage, c’est long, nous sommes débordés, notre problème c’est le temps et sa gestion, j’ai du laisser en jachère le projet parce que j’étais surchargé … »
Il y a trois façons d’aborder ces arguments :
- La première simpliste, qui évite de se poser les bonnes questions, les apprenants sont mal organisés, ils gèrent mal leur temps. Fermez les bans, l’affaire est entendue ! C’est rassurant mais c’est un peu court.
- La seconde, qui est parfois recevable, c’est la faute des profs qui ne calibrent pas correctement le temps annoncé ou qui veulent à tout prix insérer l’ensemble de leurs savoirs au détriment de la synthèse pour les étudiants (je suis prof, je parle en connaisseur).
- La troisième est plus institutionnelle et peut se résumer à une question d’organisation interne. J’ai le très net sentiment que le e.learning n’est pas encore inscrit comme un temps réel normé, il prend les chemins buissonniers des tours et des contours. Le temps du e.learning est encore dans les limbes. Il entre en tension avec les impératifs de service. Je crois voir émerger des invariants de gestion en observant mes apprenants. Tout d’abord on fait « tourner son service« , on gère les urgences et on assure la continuité auprès du public. Le temps de formation / acculturation vient ensuite en terme de priorité, quand les urgences s’éloignent. Je crois pouvoir affirmer que si l’on considère qu’il faut d’abord gérer le quotidien puis prendre le temps de s’acculturer aux méthodes du e.learning, c’est considérer que celui-ci est accessoire et à une moindre valeur.
Posons donc la question, quelles sont les priorités ?
Nous entrons ici dans une problématique de gestion des ressources humaines, de statut et de contractualisation, le conflit entre la structure pyramidale et les modes transversaux, le lent glissement de l’un vers l’autre
Exposé de la sorte mes propos sembleraient accréditer l’idée qu’il y aurait le clan des gentils (ceux qui exécutent) et celui des méchants (ceux qui enjoignent). Là n’est pas mon propos parce que je pense que la méthode e.learning doit être expliquée à l’ensemble des acteurs du système.
Elle n’est pas que dépôts de ressources, elle n’est pas qu’une mise en réseau de machines, il n’est pas que vélocité des connexions … elle est avant tout une question d’organisation sociale. Cette dernière mute, en passant de la logique industrielle née à la fin du 19ème siècle à la logique des réseaux engagée en ce début du 21ème siècle.
Le dialogue doit remplacer l’injonction, l’écoute doit supplanter l’ordre d’exécution. On mesure ici le chemin qu’il nous reste à parcourir mais c’est, me semble t-il la direction qu’il faut prendre.
Ainsi lorsque l’on souhaite que des personnes se forment au e.learning, il faut avant toute chose définir précisément quelle sera le rapport au temps entre le travail et la formation. La rédaction d’une convention bipartite me semble tout indiqué.
Il sera donc nécessaire que les services qui accordent les moyens (temps) sachent dialoguer avec les équipes qui conçoivent. Il est nécessaire d’expliquer, de prendre le temps de motiver les raisons pour lesquelles il faut un temps normé dédié. Écouter, dialoguer, mettre à mal ses représentations est un exercice très difficile mais il se révélera fécond si l’on sait le mettre en œuvre.
Quelques pistes d’action :
- Formaliser dans le document de cadrage des équipes qui s’engagent, que le temps de conception / formation est un temps spécifique, exclusif à tout autre ;
- Spécifier que le temps de travail effectif hors les temps et les structures officielles sont des temps normés, reconnus et payés. Je pense ici à la nécessité du travail collaboratif distant qui peut parfois nécessité des ajustements hors temps légal ;
- Le e.learning dans ses phases de lancement coûtera plus cher car il faut déléguer du temps de travail / analyse. En conséquence il faut réorganiser les tâches pour libérer du temps aux personnes qui s’engagent dans ces processus. Je ne me place pas ici dans des temps pleins de 35 heures mais sur des temps qui peuvent être de l’ordre de la demi journée ou de la journée mais totalement exonérées de contraintes de gestion de service. La conception sera alors orientée vers les contraintes de conception du e.learning.
Je vais conclure ce billet, comme à l’habitude. Ce lieu numérique est un espace de dialogue, vous pouvez vous en saisir pour argumenter, vous avez même le droit d’être en total désaccord.
Dernière modification le jeudi, 21 mai 2015