Si la thèse de Bertrand Mocquet a un domaine précis et limité la gouvernance universitaire, thème abordé à propos des établissements d’enseignement par des auteurs d’EDUCAVOX, elle intéresse un public plus large, et plus particulièrement les acteurs de l’éducation et de l’enseignement qui s’intéressent à l’évolution des usages du numérique :
" Les TIC ne peuvent plus être considérées seulement comme un objet technique d’étude. Nous devons nous positionner dans une vision plus globale, en associant l’observation de leurs effets sur la société, mais aussi la façon dont les individus s’en emparent et développent des usages du numérique. " [1]
Les revues des questions qui y sont exposées permettent au lecteur de s’approprier les références qui fondent la réflexion sur l’utilisation du Numérique et des Technologies de l’Information et de la communication.
Le sous-chapitre 2-1, " Les Technologies de l'information et de la communication (TIC), leurs effets et leurs usages " [2] en est un exemple. L’auteur y propose une série d’items qui présentent pour chaque thème une revue de la question : elle permet au lecteur de saisir l’intérêt de cette approche et de repérer les auteurs scientifiques fondateurs.
" 2.1.1 Approche conceptuelle des TIC " nous incite à relire Alex Mucchielli[3] dont l’auteur situe l’apport en le contextualisant dans l’œuvre de Jean Piaget :
" C’est au travers des travaux de Piaget, sur la psychologie génétique, que nous allons pouvoir trouver des éléments d’appui. Nous considérons que le sens des technologies est perçu lorsqu’il y a assimilation de cette technologie ". Cette assimilation apparaît selon Piaget[4] " lorsque des perceptions par elles-mêmes informes, et incapables de se compléter grâce à des éléments tirés du même plan de réalité, viennent se mouler dans des schémas antérieurs à l'expérience de l'ordre considéré et conditionnés par la structure de l'organisme. Ainsi, nous considérons que l’assimilation des TIC passe par leur mise en œuvre dans un contexte donné, une organisation, un corps de métier ou une communauté d’individus." [5]
2.1.2 L’auteur classe sa recherche sur les effets des TIC " dans le paradigme de la diffusion (la technique), le paradigme de l’innovation (les objets) ou le paradigme de l’appropriation (le quotidien). " [6]
- A propos du " paradigme de la diffusion, la technique ", Bertrand Mocquet met en scène un débat :
" Pour les technolâtres, les adorateurs aveugles de la technique, il n’y a point de progrès sociaux sans évolution technique. Pour les technocritiques, le discours sur les TIC donne lieu à des propos tantôt alarmistes, catastrophistes, ou bien plus récemment critiques ". Des auteurs sont représentatifs de cette controverse, tels que MacLuhan, M. Jarrige F., Illich I.
- A propos du " paradigme de l’innovation : les objets " l’auteur souhaite porter son regard sur "les relations que les êtres sociaux que nous sommes, entretiennent avec les réalités matérielles, en un mot avec les choses "[7].
Il applique sa problématique aux professionnels de l’ESR.
- A propos du " Paradigme de l’appropriation : le quotidien " :
" Selon la définition usuelle du mot usage, il s’agit du " fait de se servir de quelque chose " et " pratique habituellement observée dans un groupe, dans une société. "» [8]. Dans son article sur les " Usages prescrits ou annoncés, usages observés " [9], Alain Chaptal nous rappelle en citant Chambat que " L’usage n’est pas un objet naturel mais un construit social " [10].
Nous distinguons alors comme l'analyse Chambat, trois conceptions différentes de l'usage, " comme utilisation plus ou moins fonctionnelle et performante, comme expression plus ou moins distinctive du statut social, comme assujettissement plus ou moins accentué à des normes sociales .
L’auteur applique principalement ces trois problématiques à des processus d’utilisation qui sont " les pratiques et les usages du numérique dans leur juxtaposition au cours d’activités, pour comprendre l’impact de la contribution d’un individu aux objectifs de l’entreprise ou de l’organisation ".
2.1.3 " Sociologie des usages du numérique ".
Après avoir indiqué les références qui distinguent usage et pratique, Bertrand Mocquet propose de reprendre la proposition de Breton et Proulx [11], qui portent leur attention sur trois points d’entrée pour aborder l’usage du numérique : la diffusion, l’innovation et l’appropriation. Cette approche est pour nous d’une grande force car elle nous permet de nous intéresser à la façon de saisir " l’impact de la technique sur la société et inversement " et " comment prendre en compte l’action du contexte social sur le développement d’innovations techniques. "
En prenant en compte l’évolution de l’usage des TIC, il recentre son propos généraliste sur la question de la gouvernance en référence à P. Chambat : " nous nous intéressons en conséquence à la sociologie des usages, et reprenons la proposition de Breton et Proulx, qui portent leur attention sur trois points d’entrée pour aborder l’usage du numérique : la diffusion, l’innovation et l’appropriation. Cette approche est pour nous d’une grande force car elle nous permet de nous intéresser à la façon de saisir " l’impact de la technique sur la société et inversement " et " comment prendre en compte l’action du contexte social sur le développement d’innovations techniques. "[12]
Ces différentes approches amènent l’auteur à faire la distinction entre les TIC et le Numérique : " Les dispositifs numériques engendrent des interactions qui ne sont ni prévisibles, ni définies ex ante " [13] alors que les dispositifs TIC " proposaient une forme de formalisation ex ante de l’action avec toutefois une coordination ex post par la hiérarchie " [14].
Ces quelques notes sur une vingtaine de pages de la thèse permettent de saisir tout l’intérêt de la revue de question.
Elles ont pour but d’inciter à consulter les références proposées, de poursuivre la lecture du texte et de susciter des débats qui pourraient prendre comme argument la proposition de Joël de Rosnay que Bernard Mocquet commente : " L’auteur nous propose aussi sept piliers de valeurs pour favoriser cette fluidité (rapport d'échange d'informations, échanges de point de vue, échange) : le respect de l'autre, l’altruisme, la responsabilité individuelle et collective, l'empathie, l'amour confraternel et la spiritualité laïque." [15]
Je souhaite avant de conclure m’associer à Bertrand Mocquet quand il rend hommage à Robert Escarpit dont l’ouvrage, Théorie générale de l’information et de la communication (Hachette 1976, réedt Hachette 1991), est une ressource documentaire essentielle.
Robert Escarpit[16] fut parmi les premiers à croire à l’avenir de la discipline, Sciences de l’Information et de la communication, qu’il promut sur le campus de l’Université de Bordeaux. Anne Marie Laulan (citée par Bertrand Mocquet) et moi-même, parmi d’autres, nous eûmes la chance de participer à cette aventure de la seconde moitié du 20ème siècle dans les domaines de la sémiologie de la relation texte image (Les cahiers de l’ITLAM), de la sociologie, des sciences de l’information et de la communication, et des sciences de l’éducation. Je pense ne pas me tromper en disant que cette thèse l’aurait intéressée, lui qui avait eu le projet de câbler le campus pour réaliser un circuit fermé de télévision.
Pr. Alain Jeannel
[1] Mocquet B., La gouvernance universitaire et l’évolution des usages du numérique Nouveaux enjeux pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche français, HAL 2017, p.50.
[2] Mocquet B. op.cité p.p,.50-78
[3] Mucchielli, A. (2006). Les sciences de l’information et de la communication. Hachette éducation.
[4] Piaget, J. (1927). La causalité physique chez l’enfant : avec le concours de dix-sept collaborateurs (Vol. 4).
Librairie Félix Alcan.
[5] Mocquet B. op.cité p.52
[6] Kane, O. (2013). Les usages des TIC entre analyse sociotechnique et théories de l’appropriation : état de la
Littérature. Les enjeux de la communication. Libreville : Presses universitaires du Gabon, 23-42.
[7] Raffestin, C. (2003). Penser et classer dans les sciences humaines. Revue européenne des sciences sociales.
European Journal of Social Sciences, (XLI-127), 71-85. https://doi.org/10.4000/ress.508
[8] Larousse. (2014). Définitions : usage - Dictionnaire de français Larousse. Consulté le 25 septembre 2017, à
L’adresse http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/usage/80758
[9] Chaptal, A. (2008). Usages prescrits ou annoncés, usages observés. Document numérique, Vol. 10(3), 81-106.
Consulté le 25 septembre 2017 à l’adresse http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=DN_103_0081
[10] Chaptal, A. (2008). Usages prescrits ou annoncés, usages observés. Document numérique, Vol. 10(3), 81-106.
Consulté le 25 septembre 2017 à l’adresse http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=DN_103_0081
[11] Breton, P., & Proulx, S. (2006). L’explosion de la communication : introduction aux théories et aux pratiques
de la communication. Paris: La Découverte.
[12] Mocquet B.op.cité, p.57
[13] Guesmi, S., & Rallet, A. (2012). Web 2.0 et outils de coordination décentralisée. Revue française de gestion,
(5), p 142
[14] Guesmi, S., & Rallet, A. (2012). Ibid, p 142
[15] Rosnay, J. de. (2013). Surfer la vie : Comment sur-vivre dans la société fluide. Arles; Montréal: Actes Sud
Editions.
[16] En ce mois de juin anniversaire des 75 ans du débarquement des alliés en Normandie, n’oublions pas que Robert Escarpit, jeune agrégé, participa à la libération du Médoc et de la Pointe de Grave. Il en fait le récit dans Les va-nu-pieds , Chronique de guerre du Médoc.
Dernière modification le dimanche, 09 juin 2019