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Article publié le 26 juin 2012 sur Implications philosophiques.org
Jean Frayssinhes – Professeur de Marketing et Commerce International Docteur en Sciences de l’Education Chercheur à l’UMR Education, Formation, Travail, Savoirs (EFTS) – Université de Toulouse II Le Mirail

Problématique

La technologie numérique est présente dans tous les domaines de l’activité humaine. Elle nous entoure de toute part et façonne, modèle, impacte et conditionne notre vie quotidienne, sans que, parfois, nous en ayons réellement conscience.

Que fait la technologie ? Elle nous aide à réaliser des prouesses. Elle soigne, elle guérit, elle opère, elle construit, elle communique, elle informe, elle assiste, elle enseigne, elle forme, elle distrait, elle remplace, et peut même combler un vide.

Un mythe moderne indique que l’on n’arrête pas le progrès or les technologies de l’information et de la communication font partie du développement moderne. Les conditions sous lesquelles se déroule l’apprentissage ont pris, au fil des siècles, des formes multiples. C’est ainsi que l’homme s’est formé depuis des millénaires, en utilisant les technologies disponibles de son époque pour laisser son empreinte : des dessins de Lascaux aux papyrus Egyptiens, des argiles Mésopotamiennes à l’imprimerie de Gutenberg, et aujourd’hui de la FOAD au pilotage de la navette spatiale.

Les sociétés développées connaissent depuis quelques décennies une accélération de ces changements ; au sein de l’École, comme institution traditionnellement dévolue à l’étude des savoirs, ou de façon plus diffuse, à l’extérieur de celle-ci, dans la vie professionnelle et dans la société.

Il semble donc qu’on ne puisse pas y échapper et qu’il vaille mieux consentir des efforts d’intégration du numérique dans les milieux éducatifs, et apprendre à les accepter comme nous l’avons fait avec toutes les autres technologies qui façonnent notre quotidien. Nous sommes parvenu à l’ère de l’apprenant numérique et plus rien ne sera similaire à ce que nous avons connu.

 

E-learning ou FOAD

Notre propos étant de circonscrire cet article à l’enseignement/apprentissage sur les réseaux numériques, nous allons définir ce dont nous parlons. E-learning ou FOAD ? Soyons clair ! C’est un terme polysémique qui peut être interprété de multiples façons . C’est une différenciation que nous avons tenté d’opérer dès 2006 sur notre site dédié à la FOAD[1]. Nous indiquions que : « Dans les sciences humaines, il semble difficile de donner des définitions ex-abrupto sur des mots ou expressions qui ne sont pas figés dans un contexte univoque, car une définition, par essence même, se veut hors du temps et vraie dans tous les cas et donc ne se discute pas ». Or, tant le E-learning que la FOAD représentent des concepts en devenir et ne sont donc pas figés dans un contexte singulier. De plus, il semble vain de croire que dès lors que l’on a défini un mot, on a résolu le problème que pose le sens de ce mot. C’est pourquoi nous préférons parler de caractérisations plutôt que de définitions.

Nous sommes toujours d’accord sur le fond c’est-à-dire que nous estimons que ces concepts sont toujours en devenir, bien qu’ils aient investi très largement le système éducatif mondial.

Nous allons tenter d’établir les similitudes et les différences de ces nouveaux concepts qui ne sont pour l’instant pas figés dans des définitions univoques et exclusives. La théorisation, régulable car corpus provisoire (Vial 2001), est en marche, et nous nous acharnons à la forger plus précisément.

 

Le E-learning[2]

 

Le E-learning, ou étymologiquement l’apprentissage par des moyens électroniques, peut être caractérisé selon plusieurs points de vue : économique, organisationnel, pédagogique, technologique. Selon l’Union Européenne, la traduction française nous indique que : « l’e-learning est l’utilisation des nouvelles technologies multimédias de l’Internet pour améliorer la qualité de l’apprentissage en facilitant d’une part l’accès à des ressources et à des services, d’autre part les échanges et la collaboration à distance. »

Si l’on reprend les définitions proposées par Wikipédia[3] : « En Anglais, le terme E-learning, imposé par le monde économique, résulte d’une volonté d’unifier des termes tels que : « Open and Distance Learning » (ODL) pour qualifier sa dimension ouverte et qui vient du monde de la formation à distance, « Computer Mediating Communication » (CMC) pour traduire les technologies de communication (Mails, Forum, Groupware) appliquées à la formation « Web-Based Training » (WBT) pour traduire la technologie dominante sur Internet pour la formation, « Distributed Learning » qui traduit plus une approche pédagogique de type constructiviste et fondée sur la Cognition Distribuée (Grabinger et al., 2001). Le E-learning est une modalité pédagogique et technologique qui concerne la formation continue, mais aussi l’enseignement supérieur, c’est-à-dire pour un apprenant adulte ayant une certaine autonomie dans l’organisation de son processus d’apprentissage, comme en entreprise par exemple. Toujours d’après Wikipédia, le E-learning s’apparenterait à un assemblage de pratiques pédagogiques et de technologies éducatives existantes, dont le développement proviendrait de l’explosion d’Internet (2000/2001) avec son potentiel d’ubiquité. Il semble cependant, comme pour les évolutions récentes des organisations, que le E-learning, tel qu’il est en train d’émerger, possède des caractéristiques qui le font différer des approches des technologies de l’éducation telles que nous les connaissions. Pour la société e-doceo[4], acteur important de ce mode d’apprentissage en entreprise, le E-learning « est un des moyens disponibles pour diffuser des formations à distance. Il repose sur l’utilisation des supports numériques (Internet, Intranet, cédérom, télévision…) dans le but de rendre accessible des parcours d’autoformation individualisés mais également dans celui de permettre des échanges entre les acteurs des formations (travail collaboratif) ». C’est l’aspect technologique qui semble primer dans le modèle e-learning. Bien que certaines définitions se réfèrent à la pédagogie, nous constatons dans les faits, que la pédagogie est plutôt absente ou représente le « parent pauvre » du dispositif de e-learning, qui se trouve ainsi plus techno-centré que pédago-centré sur les apprentissages. Constatons toutefois que, dans le milieu professionnel, la terminologie « e-learning » semble s’être imposée au fil des années au détriment de la FOAD. A l’inverse, dans les écoles et universités[5], c’est plutôt le terme de FOAD qui s’est imposé. Selon nous, ce sont les concepts pédagogiques et didactiques, la place dévolue à l’apprenant, l’encadrement des apprenants, qui creusent la différence et l’écart entre E-learning et FOAD comme nous allons le voir maintenant.

La F.O.A.D

 

Le terme de Formation Ouverte et À Distance est apparu pour la première fois en 1991, et il fut utilisé l’année suivante lors d’un appel à projets de la Délégation à la formation professionnelle (Blandin 2004), et depuis lors, sa caractérisation ne cesse d’évoluer. Il nous paraît important de le revisiter à l’aune de l’accélération du renouvellement des connaissances et compétences, et des outils de gestion des connaissances (knowledge management) débouchant sur des pratiques formatives évolutives pour les salariés. La FOAD revêt pour nous trois acceptions complémentaires et indissociables :

 1/ un concept : dans le langage de Kant, le concept (Begriff) exprime toute idée qui est générale et abstraite sans être absolue ; il le définit comme un acte de la conscience qui opère la synthèse du divers des perceptions, et ainsi se trouve susceptible d’évolution car non figé dans une certitude absolue. La FOAD est un concept d’apprentissage en construction, qui fait appel à une modularisation (learning objects)[6] des contenus didactiques, la modélisation des parcours et des activités, la prise en compte des styles cognitifs à l’aide d’une navigation multidimensionnelle, la mise à jour possible des contenus en temps réel, l’ouverture informationnelle avec des liens (URL) vers des bases documentaires extérieures.

 2/ un processus : un cheminement, une suite continue de faits, de phénomènes présentant une certaine unité ou une certaine régularité dans leur déroulement. C’est un ensemble d’opérations successives, organisées en vue d’un résultat déterminé. Ce processus de FOAD permet de progresser avec méthode et organisation dans ses apprentissages en ligne, en se connectant à une plateforme LMS[7] à l’aide de réseaux numériques ou à Internet, hier à l’aide d’un ordinateur, et aujourd’hui à l’aide d’un téléphone, d’un Smartphone, ou d’une tablette numérique.

 3/ un dispositif  : un ensemble d’éléments agencés en vue d’un but précis, c’est-à-dire une somme de mesures pédagogiques et didactiques, un environnement technique et technologique, un accompagnement et un encadrement humain spécifique (tuteur/médiateur/facilitateur), qui doivent être mis en œuvre en vue d’atteindre un objectif d’apprentissage.

Cet acronyme FOAD représente un véritable « choc du futur », au sens où l’entendait Alvin Toffler[8]. Pour cet auteur, « le choc du futur est le stress et la désorientation provoqués chez les individus auxquels on fait vivre trop de changements dans un trop petit intervalle de temps. » Le modèle pédagogique qui a initié le développement de la FOAD se veut construit autour de l’apprenant, constituant un “véritable renversement copernicien” du système traditionnel de transmission des savoirs en formation continue (Blandin 1990)[9]. A cette époque, la rupture épistémologique avec les cadres habituels de l’enseignement traditionnel paraît évidente. Une longue réflexion sur les contenus et les supports s’engage alors, les formations sont remaniées en profondeur et de nouvelles modélisations apparaissent ; nous voyons l’émergence d’un nouveau secteur des Sciences de l’Education : La Sociologie de l’Autoformation (Joffre Dumazedier, Nelly Leselbaum, (1993)[10] ; le métier de formateur connaît un profond bouleversement qui oblige celui-ci à faire preuve de réflexivité, à se remettre en question et à s’interroger sur son avenir.

Dans la « formation ouverte[11] », la principale caractéristique est l’accessibilité. Ce terme s’applique aux contenus didactiques de l’apprentissage, à la manière dont ils sont structurés, aux lieux et aux temps de l’apprentissage, aux modes d’enseignement et aux médias qui les supportent, notamment les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC).

Le terme « ouverte » indique :

  • une liberté d’accès aux ressources pédagogiques mises à la disposition de l’apprenant,
  • aucune restriction ni condition d’admission pour l’apprenant,
  • un itinéraire de formation choisi par l’apprenant,
  • une souplesse de formation qui s’adapte à la disponibilité de l’apprenant,
  • des rythmes adaptés aux impératifs personnels de l’apprenant,
  • la conclusion d’un contrat entre l’institution, le tuteur (formateur) et l’apprenant.

Pour Annie Jézégou, « l’ouverture renvoie à un ensemble de dispositifs flexibles et autonomisants dont la principale propriété est d’ouvrir à l’apprenant des libertés de choix pour qu’il puisse exercer un contrôle sur sa formation et sur ses apprentissages » (Jézégou 2002, 2005). Dans ce nouveau concept de formation ouverte et à distance, l’étudiant s’est peu à peu transformé en apprenant numérique. Avec le développement des équipements, ordinateurs portables et connexions Wifi (Wireless-Fidelity), qui est un protocole de communication pour réseaux sans fils, l’apprenant numérique utilise les TICs en tout lieux ; à l’université, dans les bibliothèques, mais aussi en dehors des lieux géographiques traditionnels, dans sa chambre, dans sa famille, chez ses parents, ses amis, dans les transports en commun (trains, avions), mais aussi les gares, aéroports, hôtels, restaurants, centres d’expositions, RATP, où les connexions Wifi se développent sans cesse. La FOAD peut permettre de répondre aux enjeux de ce « basculement civilisationnel »[12] lié au numérique auquel nous assistons et qui nous enserre de toute part, dans toutes les sphères de nos activités quotidiennes.

 

Références théoriques

Dernière modification le mardi, 09 décembre 2014
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