Le livre d’Alberto Manguel "une histoire de la lecture" actes sud, (1998) ne cesse de me surprendre et de m’aider dans mes réflexions. Il nous dit qu’au début de la lecture, on lisait à voix haute dans les bibliothèques, lire à voix basse n’était pas envisageable " Pour Ambroise, lire avait été un acte solitaire. "Peut être craignait-il, s’il lisait à haute voix, songeait Augustin, qu’un passage difficile chez l’auteur qu’il lisait ne suscitât une question dans l’esprit d’un auditeur attentif, et qu’il ne dût alors en expliquer la signification ou même discuter de certains points les plus abstrus"" (page 70)
"Si la lecture à voix haute était la norme des les débuts de l’écrit, qu’était- ce que lire dans les grandes bibliothèques antiques ? Le savant assyrien qui consultait l’une des trente mille tablettes de la bibliothèque du roi Assurbanipal au VII siècle avant J.-C, les dérouleurs de parchemins dans les bibliothèques d’Alexandrie et de Pergame, Augustin lui même à la recherche d’un certain texte dans la bibliothèque de Carthage et de Rome, doivent avoir travaillé au milieu d’une rumeur bourdonnante." (Page 62)
Nous avons depuis appris à lire silencieusement les textes qui nous nourrissent, nous avons appris à écouter silencieusement l’enseignant (celui qui répète le livre dit Michel Serres) en classe et en amphithéâtre. Nous avons tous foudroyé du regard l’importun qui bavardait dans la grande salle vernissée de la BU de notre jeunesse universitaire.
Le numérique est en train de modifier cet ordre établi parce qu’il remet au centre de nos apprentissages la voix.
Les modifications sont multiples, nous pouvons les identifier dans nos usages d’enseignants.
Nous ne travaillons plus uniquement sur des supports constitués par le texte et l’image, nous utilisons abondamment les fichiers sons (podcast, radios, musiques …) pour construire nos cours. Par extension les apprenants écoutent. Nous insérons des fichiers vidéos, l’actualité des MOOC renforce mon propos. La voix le dispute au texte.
Les mots coopérations et collaboration sont les incontournables des thématiques pédagogiques. La voix est au centre de ces modalités, il faut se concerter, débattre, la voix intervient obligatoirement.
Cette voix reconquise s’exprime dans des espaces qui ont été conçus pour un schéma d’intervention descendant représenté par la voix du maître. Ce constat doit nous amener à penser à nouveau la conception des espaces physiques d’apprentissage et d’enseignement. Comment doit on intégrer la voix dans ces espaces recomposés ? Les universités ont commencé à donner des éléments de réponses en mettant à disposition des étudiants et de leurs enseignants des espaces clos dans les bibliothèques. Il faudra que les collèges et les lycées imaginent ces nouveaux espaces où la voix n’est plus vécue obligatoirement comme un signe de perturbation.
Ce sera forcément un espace ouvert sur l’extérieur via les réseaux numériques, ce sera un espace ouvert à la voix. La voix pourra être descendante (écoute de vidéos, de podcast, visualisation d’émission de télévision). Elle sera aussi une voix inscrite comme un élément de communication, un élément de travail au sein d’ un réseau structurant un travail collaboratif et / ou collaboratif. Cette voix sera instrumentée ou pas.
La réflexion est de taille, et on ne pourra l’éluder en se contentant de qualifier le lieu possédant un ordinateur comme le lieu ad hoc. La question est certes spatiale (il faut domestiquer, organiser les flux vocaux) mais elle est avant tout pédagogique, nous avons déjà commis l’erreur de penser que l’outil serait le remède à nos maux pédagogiques, ne reproduisons pas l’erreur en proclamant qu’un simple espace doit tout résoudre. La voix dans l’espace physique et numérique est une question centrale mais ne perdons pas de vue qu’ elle est inféodée à la pédagogie.
Nos "petits poucets" et nos "petites poucettes (1)" ne s’y tromperont pas, ils seront nos juges intransigeants.
Jean-Paul Moiraud
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Dernière modification le mercredi, 19 novembre 2014