Matthew B. Crawford dans son livre intitulé « l’éloge du carburateur » dépeint ainsi ce modèle d’apprentissage statique avec ironie mais réalisme :
« Il n’y a pas tellement d’individus qui soient naturellement enclins à rester sagement assis en classe pendant seize ans de scolarité, avant de passer éventuellement plusieurs décennies sagement assis dans un bureau« .[1]
La transmission des savoirs du haut vers le bas, l’inaction et passivité sont les ferments de la reproduction d‘un système que beaucoup dénoncent mais qui persiste dans le temps. Nous avons à imaginer quels sont (seront) les ressorts pédagogiques qui pourraient briser ces habitudes.
Rendre plus active la participation et l’engagement des étudiants est un objectif qui doit animer les concepteurs des cours. Il ne s’agit pas ici de faire du passé table rase, car l’acquisition des savoirs académiques est une nécessité dans la construction intellectuelle des étudiants / citoyens. Il est besoin d’intégrer dans la réflexion l’acquisition des compétences, notamment professionnelles. Ne perdons pas de vue que les études sont avant tout un moyen et non pas une fin.
Dans un contexte social et économique instable il est plus que jamais nécessaire d’imaginer des modes pédagogiques qui sauront accorder harmonieusement l’académisme et les compétences. La condition de la fluidité du continuum entre vie académique et vie professionnelle est à ce prix.
Titulaire d’un diplôme et alors ?
Il s’agit ici d’un enjeu crucial pour l’enseignement et l’apprentissage car il s’agit de mêler la réflexion académique et le savoir faire professionnel. Les technologies numériques peuvent contribuer à créer un liant entre ces deux matières si l’on sait conserver le cap dont la direction est la pédagogie. Nous devons avoir suffisamment de recul réflexif et de raison pour ne pas mélanger nos désirs technicistes et les besoins de la formation.
Dans cette symbiose nécessaire entre la scénarisation pédagogique et l’apport des technologies favorisant l’augmentation de certains apprentissages, nous allons proposer de regarder avec attention la place des mondes virtuels. Ce sont des espaces signifiants et signifiés qui complètent et augmentent l’espace physique réel de formation.
Les environnements spatiaux réels des lieux de formation (lycée, Université) sont peu favorables, de façon générale, à l’acquisition des compétences, et ce pour deux raisons essentielles :
- Il est difficile, très difficile, impossible, voire inutile de reconstituer un environnement spécifique dans les lieux de formation. Le stage à cette fonction de pont intellectuel entre le monde académique et le monde professionnel ;
- Nous sommes encore largement convaincus qu’il existe une partition étanche entre le penser et le faire. Notre culture est fortement imprégnée par le primat du disciplinaire. C’est pour cette raison que ces deux modalités d’apprentissage sont encore strictement divisées, souvent même opposées.
Pour autant … mon propos n’est pas un plaidoyer pour le développement de formations répondant à des besoins spécifiques et immédiats du monde professionnel, loin s’en faut.
Nous concevons les formations en alternant des temps et lieux de formation académiques et des temps et lieux de pratiques professionnelles (L’incontournable stage). La période de transition entre l’académisme et le professionnel peut représenter un gap important et difficile à franchir pour les anciens étudiants et pas encore professionnels avertis.
Osons d’ailleurs une adresse aux représentants des écoles formant leurs futurs cadres. Après avoir strictement sélectionné vos étudiants sur une référence fortement académique devez vous ? :
1 – Construire cette formation en continuant à renforcer les savoirs académiques ?
2 – Commencer à travailler activement les compétences ?
Il est possible que poser la question soit déjà un début de réponse
Les compétences parents pauvres de la formation.
Dans les dispositifs de formation initiale il est assez difficile d’intégrer le développement des compétences professionnelles, notamment dans les sciences humaines. Nous avons tendance à concevoir notre mode de pensée de façon univoque. Nous entendons régulièrement la phrase suivante :
« Il est très important que les élèves de l’enseignement technologique et professionnel aient une bonne formation généraliste » nous entendons rarement, pour ne pas dire jamais, l’inverse.
Les enseignements sont donc largement conçus pour asseoir l’acquisition des savoirs académiques.
Les enseignants y sont mêmes très attachés au sens ou c’est la reproduction de leur mode personnel de formation (l’oralisation du livre). C’est à la fois une force et une faiblesse.Une force parce qu’un enseignement généraliste permet assurément aux apprenants d’évoluer et de s’adapter dans une société que nous savons changeantes l’hyperspécialisation précoce d’une formation pourrait être comparée à de « l’obsolescence intellectuelle programmée »). Une faiblesse car le passage de la vie académique à la vie professionnelle peut se révéler difficile par manque de compétences acquises en amont de l’exercice professionnel. N’oublions pas cette demande récurrente des services des ressources humaines « Quelle est votre expérience ? » ou dit autrement, si j’ose une forme d’excès « Nous allons vous embaucher car vous avez toutes les qualités requises : 24 ans d’age et 35 ans d’expérience »
À la ligne de partage des savoirs académiques et de la constitution des compétences existent les mondes virtuels. Ils peuvent constituer un liant permettant d’amalgamer harmonieusement le monde académique et le champ des compétences.
La virtualité, un élément de la formation (pour qui ?)
Un élément de réponse (parmi d’autres) peut être identifié dans l’exploration du virtuel.
Divers scénarios de formation élaborés, mis en place, s’appuient désormais sur un mélange subtil entre le réel et le virtuel.
Il faut cependant accepter que certains acteurs refusent encore cette transition. L’innovation entrant dans une sphère professionnelle stabilisée, construite lentement, élaborée sur des principes autres (disons 1.0) peut constituer une forme de remise en cause de ce qui a construit professionnellement un individu. L’injonction à l’innovation peut être de mon point de vue extrêmement destructrice quand elle n’est pas expliquée et surtout pas accompagnée.
Le temps extrêmement rapide des inventions technologiques 2.0 doit apprendre à composer avec le temps long du changement social. Nous oscillons ainsi entre le réel et le virtuel pour construire des séquences de formation. Notre espace de conception, intellectuelle peut s’exercer dans le réel ET dans le virtuel, le pont entre ces deux espaces étant la capacité à créer de la confiance, « le care pédagogique ». Il ne s’agit plus ici de se limiter au champ d’action des seuls enseignants mais bien d’impliquer toute la chaine administrative, sans exception.
Dans cet espace pédagogique augmenté, nous devons, à la façon des pionniers du far west au 19ème siècle, explorer ces nouveaux espaces du savoir. Certains sont fertiles d’autres totalement stériles. Les mondes virtuels sont une des dimensions de ce « far web », lieu de conquête et lieu de non droit (ou de droit en devenir)
Définition du virtuel
Il convient de définir, avant toute chose, ce qu’est le virtuel parce qu’il est devenu un mot valise prétexte utilisé dès que le numérique est convoqué.
Des fonctionnalités plus qu’un outil
Le travers du discours commun sur le numérique est de mettre en exergue le nouvel outil, la nouvelle application qui a remplacé la solution qui avait elle même promis les jours meilleurs de la pédagogie. Sans méconnaître l’apport des solutions technologiques qui inondent le marché, je pense que c’est avant tout la pédagogie qui doit prévaloir.
Au risque de proférer une banalité la mission des enseignants et des formateurs est de favoriser les apprentissages. Nous vivons assez largement dans la vision techno centrée de l’âge du numérique qui nous persuade que nous venons de tout inventer en instrumentant numériquement nos processus. Cette instrumentation des enseignements et des apprentissages est pourtant une histoire ancienne, il suffit pour cela de se référer, notamment, aux expériences du collège expérimental de Marly le Roi[2], aux travaux de l’ENS Saint Cloud[3] dans les années 60 et 70 ou encore la radio télévision scolaire qui fait le point sur l’état des technologies en 1967[4].
Le lien enseignement / machine est un ancien rapport qui engage la foi dans la puissance des technologies. Ce débat est cependant renouvelé avec l’émergence du numérique et de la puissance de ses propositions. Nous sommes à l’aube de la troisième révolution industrielle, à un tournant de changement de la société. Le débat sur l’innovation est un pari sur un champ du possible et prendre le risque d’être démenti par les logiques de l’usage par les machines à communiquer[5]
Qu’est ce que l’innovation en formation ?
L’innovation en formation est une question que j’ai partiellement abordée dans la première partie. C’est une question ancienne mais elle est renouvelée dans ses questionnements avec le numérique. Elle est un champ d’analyse qui se situe entre l’humain et le technologique, fruit d’un équilibre subtil ou l’Individu ne peut renoncer à son rôle central. La vraie innovation en pédagogie est sociale ou n’est pas.
Les technologies numériques, masquent une forme d’inquiétude dans le monde des enseignants et des formateurs. En quelques années ils ont du modifier leur façon d’être professionnelle. Ce qui était vérité, à tout le moins, ce qui faisait l’objet d’un consensus, a été très rapidement remis en cause, sans réelle transition.
L’innovation doit donc commencer par un acte permanent de pédagogie auprès des enseignants et des formateurs, le mot confiance devant supplanter le terme injonction. Innover c’est construire le « care pédagogique ». il faut accepter que les membres de la communauté éducative dialoguent, débattent, créés des règles communes, qu’il y ait, comme disent les psychanalystes, une activité déontique. Stefana Broadbent rappelle dans son ouvrage « l’intimité au travail[6] » que dans les années 60, dans les entreprises seul le cadre, digne de confiance, pouvait avoir le téléphone dans son bureau. À qui viendrait l’idée aujourd’hui de confisquer le téléphone portable aux 24 millions de propriétaires[7] ? L’usage est totalement normalisé car nous sommes passés du stade de l’innovation à celui de la généralisation, puis à celui de la confiance.
Nous regardons le doigt qui nous montre la technologie quand il faudrait se concentrer sur les habitus sociaux.
Les espaces virtuels 3D existent comme un champ des possibles. Ils sont des grands classiques de la littérature de science fiction[8] Techniquement ils font leurs preuves notamment dans l’industrie, il reste maintenant à franchir le cap dans les modules de formation.
La réalité virtuelle
Le concept de virtualité nous impose de faire un détour par les concepts et de donner une définition afin de mieux cerner le propos, cela nous engage à pratiquer la stratégie du détour intellectuel.
- La virtualité.
Ce mot s’est inscrit dans le langage commun et s’est quelque peu dilué dans la mesure ou il est utilisé pour qualifier ce qui est numérique. Or la virtualité est un concept cadré et qui prend sa source dans la pensée des philosophes grecs. Marcello Vitali-Rosati[9] nous donne des clés pour explorer ce concept :
« Le virtuel est ce qui a un principe de mouvement conduisant à la production de quelque chose de nouveau : c’est ce qui ressort de la définition aristotélicienne de dunaton et qui reste présent dans l’emploi scolastique du terme virtualis. Cet aspect est d’ailleurs présent dans l’idée de virtuel par rapport aux nouvelles technologies car le virtuel est toujours pensé comme une force qui pousse vers la production d’un actuel différent du virtuel duquel il provient. »
Il existe une littérature abondante sur le concept de virtualité ; que je vous invite à lire si vous souhaitez approfondir cette notion.[10]
Être dans le virtuel c’est donc se mettre en mouvement, c’est créer quelque chose de nouveau. Enseigner et apprendre (est-il possible de différencier l’un de l’autre ?) c’est virtuellement créer de la nouveauté, se mettre en mouvement pour créer du sens.
Il nous revient ainsi de jalonner ce qu’est cet espace de formation où le virtuel le dispute au réel.
Notre analyse sera plus restreinte en terme d’artefact de formation puisque nous allons évoquer les mondes virtuels et leurs fonctionnalités. Ce concept est balisé et c ‘est dans ce cadre que nous tenterons de définir des usages pédagogiques qui permettent de confronter l’acquisition des savoirs académiques et des compétences en une même instance.
Notre propos ne sera pas de tenter de prouver qu’il y aurait un outil aux fonctionnalités parfaites. Il s’agira de montrer que dans un repère pédagogique déterminé il est possible de faire progresser les apprentissages.
- La définition du monde virtuel
Il importe, pour commencer, avant d’essayer de tenter de donner une définition de visualiser une expérience pédagogique menée en monde virtuel. Le QR code ci-contre vous aidera à donner un cadre visuel à une structure complexe. Ce travail de visualisation doit aider à mieux comprendre les analyses théoriques engagées plus loin.
La simulation de procédure pénale – Expérience de la FDV (faculté de droit virtuelle) de l’Université Jean Moulin Lyon 3
« Le monde virtuel de simulation est un monde en trois dimensions (3D) créé à l’aide d’un logiciel et d’une programmation, spécifiques. Le monde est en général une représentation de lieux réels mais il peut être aussi une construction purement imaginaire élaborée dans le cadre d’une démarche plastique. Il permet à un groupe de personnes éclatées géographiquement et placées en situation immersive d’interagir. Les acteurs du dispositif peuvent, à l’aide d’avatars, d’objets ou d’une vue subjective, parler, écrire, gérer des attitudes corporelles, se déplacer, y compris en s’affranchissant les lois physiques du monde réel. Le groupe constitué partage un intérêt commun, défini dans un projet élaboré de façon formelle. Les apprenants seront mis en situation d’acquisition des savoirs et de compétences en reproduisant des situations du réel. Les situations sont reproductibles à l’infini, elles permettent d’analyser des situations simples (des routines) ou extra – ordinaires. Le monde virtuel de simulation combine des constructions scénarisées au service d’enjeux d’enseignement[11] et d’apprentissage[12]. » Jean-Paul Moiraud 2012
- Le cas de l’utilisation des mondes virtuel en procédure pénale
Dans cette configuration pédagogique, le monde virtuel est utilisé dans le cadre du diplôme universitaire (DU) de l’école de droit de Lyon (EDL). Le scénario de ce cours de procédure pénale a prévu d’intégrer les fonctionnalités d’un monde virtuel. Il ne faut pas ici, comme ailleurs en innovation, céder à l’effet magique de l’outil. Cette technologie procède d’une genèse instrumentale car elle est intégrée dans un ensemble plus large scénarisé. Les enjeux tiennent à la capacité de l’équipe pédagogique à former les étudiants aux savoirs académiques et aux compétences à acquérir dans un métier. Il est indispensable au préalable de scénariser sa pratique l’intégration du monde virtuel en étant une dimension.
Un monde virtuel intégré dans un dispositif de formation
Les enjeux et les acquis de la formation ne peuvent se résumer au seul monde virtuel mais bien à la capacité de le rendre dynamique dans un dispositif large.
Il serait contreproductif d’emmener ex abrupto les étudiants dans un monde virtuel. Coupé de toute logique pédagogique, le monde virtuel se réduirait à une aimable démonstration technologique. La puissance technologique dissociée d’un sens intellectuel n’a aucune logique. Il y aurait, si l’on restait sur cette dichotomie, ici une vision « mal technicienne »[13] de la construction pédagogique. Ce n’est pas la machine et son logiciel qui pervertirait la l’Homme et donc son dispositif de formation mais bien l’Homme qui pervertirait la machine.
La première démarche des concepteurs doit ainsi consister à identifier les intentions pédagogiques qui seront activées dans le processus de formation. La démarche intellectuelle consiste à aligner un ensemble d’images « a presenti » qui constitueront à terme un schéma dynamique d’apprentissage. C’est un analogon, une série de représentation de ce qui sera. L’invention doit être la résolution d’un problème, s’il y a problème isolons le, c’est préférable à la création.
Un besoin de scénarisation
Cette identification passe par le processus de scénarisation. Nous pouvons la résumer en cinq points et cinq questions :
- Quelle est l’intention pédagogique des concepteurs ?
- Quel est le contexte pédagogique dans lequel seront intégrées les fonctionnalités identifiées ?
- Quel est le public concerné ?
- Quelles seront les ressources produites ?
- Quels seront les outils utilisés ?
Cette étape est fondamentale car s’il est vrai que l’on peut définir des invariants de formation en monde virtuel, il convient de penser le dispositif dans un contexte précis. Il est difficile de construire une structure unique allant du collège à l’Université.
Le scénario est par lui même une forme de virtualité car il engage ses concepteurs à prendre des paris sur l’avenir. Rien ne garanti que les principes définis dans un premier temps soient ceux qui prévaudront dans le réel de la pratique pédagogique. L’usage itératif est donc un gage de réussite.
Acquérir des compétences grâce au monde 3D
Un savoir n’est jamais un objet neutre car il est développé dans un contexte social spécifique. Nous exerçons nos savoirs en relation avec l’autre, là ou nous pensions que le numérique ferait de nous des esprits, nous percevons qu’il convoque régulièrement notre rapport au corps et notre rapport à l’espace. C’est dans cet espace que se construit la professionnalité.
Les mondes virtuels permettent aux enseignants de construire des enseignements spatialisés dans lesquels les acteurs des dispositifs pourront apprendre de façon protéiformes.
- Le savoir confronté à la spatialisation
Le savoir et les connaissances ne sont pas des concepts neutres, ils sont intégrés dans le fonctionnement de la société. Il est de ce fait nécessaire de les injecter in vivo. Or, le contexte de la société de l’immatériel tend à nous faire privilégier l’esprit au détriment du corps. C’est probablement une erreur historique. Notre savoir est spatialisé, les mondes virtuels, paradoxalement, peuvent nous aider à apprendre cette spatialisation.
- Le rapport homme / espace
Outre la possibilité de vérifier les savoirs académiques les acteurs des dispositifs peuvent s’inscrire dans un espace social reconstitué. Les apprenants (avatarisés) sont immergés dans un espace 3D dans lequel ils pourront se mouvoir. Dans de nombreuses situation du réel, le placement du corps dans l’espace à une grande importance car il est signifiant. Dans le cas des simulations de droit pénal, les étudiants doivent apprendre à se situer dans l’espace du tribunal. Chaque placement est signifiant. On pourrait étendre cette réflexion à une grande quantité de situation d’apprentissage.
Ces capacités à percevoir son espace professionnel sont difficilement réalisables dans le cadre d’apprentissage classique si ce n’est en procédant par des dispositifs de contournement (image, vidéos, jeux de rôles)
- Le rapport Homme / Homme
L’accès au monde virtuel commence par la création de son identité virtuelle. Une immersion passe par le truchement de la conception de son double numérique avatar[14]
L’interaction sociale peut être intégrée dans les scénarios des pédagogies immersives car les avatars disposent d’artefacts sociaux. La voix bien sûr mais aussi la possibilité de gérer des gestuelles (se saluer, lever la main, acquiescer, dénéguer, tendre la main, marcher,). Le corps est donc réintroduit dans les dispositifs de formation.
Le vêtement est une dimension importante dans une interaction sociale. Dans le cas de la simulation d’un procès, les acteurs portent des habits professionnels signifiants. Les magistrats, les avocats portent dans leur exercice professionnel des vêtements signifiants.
Le rapport Homme / Homme outre la simulation engagée par les étudiants, c’est aussi le rapport tutoral entre l’enseignant et les apprenants. Dans un monde comme second Life ou opensims il est possible d’activer une fonction qui n’existe pas chez les humains. Je pense ici à la vue augmentée qui permet de suivre une action sans avoir à bouger et / ou en étant loin d’une scène dynamique.
Au-delà des possibilités instrumentales offertes par ces mondes, le rapport Homme / Homme est élargi car le lieu d’interaction s’opère dans la virtualité. Le monde réel ne sert que de point d’accès technologique en mettant à disposition les écrans ou toute autre dispositif d’accès.
- Le rapport Homme / objet
L’interaction, si l’on considère que son spectre doit être large, doit aussi s’appliquer aux objets. Il est ainsi possible d’interagir entre acteurs en mobilisant son rapport à l’objet. On peut s’asseoir, monter dans un hélicoptère, conduire une voiture, se déplacer dans un espace précis, manipuler des outils divers.
Je voudrais conclure ce point en insistant sur le besoin de déborder ce rapport avec l’environnement instrumental en le structurant au sein d’un scénario pédagogique très structuré.
S’affranchir du syndrome du geek, « ben … c’est simple ! »
J’aimerais jalonner le champ de mon propos en précisant que les mondes virtuels sont encore largement inscrits dans le champ des innovations. Le marqueur de la réussite de ce champ d’application serait de constater sa diffusion, sa banalisation, qu’il devienne une routine.
Si la réalité virtuelle est une terre riche de promesses, elle doit être accessible à tous et pour tous au sein de modules de formations bien identifiés. Il serait malhonnête intellectuellement de prétendre que toutes les formes d’enseignement sont éligibles aux mondes virtuels.
Il convient donc ici de s’affranchir du « syndrome du geek » c’est-à-dire ne pas se figer dans l’idée que ses propres enthousiasmes technophiles sont forcément ceux des autres. La construction de modules pédagogiques en monde virtuel est complexe (comme toutes constructions), affirmer la simplicité comme principe affiché est réduire son analyse aux compétences technologiques basses (compétences manipulatoires).
Alors oui les mondes virtuels sont riches de promesses mais de l’esquisse il faut savoir passer au gabarit. Il est nécessaire de faire primer le pédagogique sur le technologique.
Quel monde virtuel ?
Posons en introduction un principe qui me paraît central : « Ma réflexion à pour objectif d’imaginer comment donner de la plus-value à l’enseignement, pas à promouvoir une technologie parmi d’autres »
Si la conception de l’apprendre et de l’enseigner est centrale il faut la mettre en écho avec les enjeux techniques. Il faut procéder à des arbitrages et choisir une technologie qui soit la plus adaptée en terme d’intentionnalités pédagogiques. Il importe de se poser dès le début du processus la question suivante : « Quels sont mes objectifs pédagogiques ? ». À défaut de réponse il est vain de continuer à s’engager sur ce chemin pédago / technologique.
L’accès au monde virtuel peut s’effectuer à l’aide de plusieurs technologies. La plus emblématique est certainement second life mais il y a aussi la solutions libre comme opensims. Ces deux environnements permettent de développer des scénarios très complexes.
Il y a, de mon point de vue, deux postures dans ce registre :
- Celui du passionné qui développe des scénarios dédiés. Les exemples sont nombreux, les expériences très intéressantes mais elles reposent sur un seul individu et c’est un point faible.
- Celui de l’équipe constituée et pérenne qui permet de s’inscrire dans le temps et peut être de s’engager dans des dispositifs plus massifiés. La communauté opensims de ce point de vue permet d’engager des projets en s’appuyant sur le principe du collaboratif.
La complexité est inscrite dans la conception mais elle l’est aussi dans la mise en œuvre. Ces mondes virtuels nécessitent de charger un navigateur spécifique, de créer son avatar, d’apprendre la façon de se développer, de voler, d’interagir, de saisir les objets, de gérer sa vue normale et augmentée. Tout cela s’apprend bien évidemment. Il ne faut pas perdre de vue que l’objectif premier est l’apprentissage.
La question à trancher est de déterminer quelle est la nature du ratio entre les temps d’apprentissage des modalités instrumentales de l’environnement et les temps de formation active. Nous sommes ici dans la réflexion qui consiste à pouvoir transformer l’exercice d’innovation en outil de massification, le moment où le principe ne fait plus l’objet d’analyse, lorsqu’il a fusionné dans son milieu.
On voit poindre des solutions qui pourraient simplifier ces processus. Je pense ici à l’émergence des casques virtuels. Ils sont peut être les nouveaux horizons de la pédagogie immersive au sens où ils libèreront de l’emprise avec la machine (le rapport main / clavier / conduite de l’avatar).
Cette virtualité (réelle) nous amènera, me semble t-il, à penser différemment la place du corps dans les dispositifs de formation. Le casque peut aider à libérer le corps du rapport contraignant bureau / terminal de réception / fauteuil. Il faudra (il faut déjà) imaginer d’autres postures de formation, être debout ou assis dans un fauteuil ? Apprendre d’autres gestuelles notamment aptonomique ? Gérer les questions d’oreille interne pour les plus sensibles à la nausée ?
Les quelques questions que je viens de soulever vont nous engager à imaginer d’autres formes des lieux de formation (on peut limiter ce concept à la seule salle de cours), d’autres gestuelles parce que le rapport instrumental est modifié pendant le module d’apprentissage.
Dans ce cadre les réflexions débordent largement la seule entrée technologique ne suffit pas, car c’est la pédagogie qui est en jeu.
Monde virtuel et serious game, une identité ou une différence ?
Vu de l’extérieur le monde virtuel semble identique au « serious game », pourtant … Même s’il s’en rapproche à bien des égards il s’en différencie sur certains points.
La simulation en monde virtuel s’écarte du « serious game » au sens ou c’est essentiellement l’intelligence humaine qui domine et non uniquement l’intelligence logicielle. Dans un dispositif d’apprentissage instrumenté par les mondes virtuels c’est le scénario élaboré par les enseignants / formateurs qui prévaut. La capacité de scénarisation est donc dominante.
Une autre différence fondamentale, offerte par les mondes virtuels, est la capacité des enseignants à s’immerger dans le scénario avec les apprenants. Nous sommes ici dans un processus où les enseignants ne sont pas les individus qui arpentent derrière le dos des apprenants pour vérifier le bon déroulement des processus d’apprentissage qui s’opère sur le moniteur, mais bien ceux qui participent in vivo à la formation. C’est peut être ici que le concept d’immersion justifie le mieux son terme, l’espace virtuel favorise l’émergence d’un réel espace de collaboration immersive. Nous pouvons oser l’expression de « virtualité réelle ».
Puisque le virtuel puise son existence dans le réel, qu’il est le vecteur de l’action, alors il est loisible d’insérer dans les scénarios une part d’aléatoire.
La dimension scénarisée passant essentiellement par l’humain et moins par l’algorithme, il est possible de ne pas tout dévoiler aux étudiants dès le début de la simulation. C’est une façon d’accompagner les apprenants tout en se réservant le droit de tester leurs réactions à une situation donnée [insérer vidéo]
Conclusion
Les mondes virtuels, imaginé par les auteurs de science fiction, développés et popularisés par Second life sont entrés dans les champs expérimentaux. Nos sommes à l’heure actuelle à la croisée des chemins. Le champ des possibles offerts par le développement des technologies nous donne à penser que nous pouvons peut être développer des pédagogies jusqu’alors impossibles à envisager.
Le chemin est encore long mais si l’on sait travailler de concert dans des champs disciplinaires que l’on sait croiser, il est possible de mettre en place des scénarios ambitieux.
L’extension des espaces a toujours été une donnée de l’histoire des peuples, pas toujours heureuse il faut bien le reconnaître. Mis au service de l’éducation l’osmose entre l’espace réel et l’espace virtuel peut aboutir vers des objectifs louables.
***
[1] Matthew B.Crawford, « l’éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail », La découverte, 2009
[2] Marly le Roi –https://www.canalu.tv/video/canal_tematice/formation_des_enseignants.3748
Geneviève Jacquinot – https://www.canal-u.tv/video/canal_tematice/entretien_avec_genevieve_jacquinot.3591
[3] Le laboratoire des langues, ENS Saint Cloud, 1964, – http://www.canal-u.tv/video/canal_tematice/le_laboratoire_de_langues.3753
[4] Le point sur les technologies –https://moiraudjp.wordpress.com/2014/03/01/histoire-des-technologies/
[5] Jacques Perriault, La logique de l’usage. Essai sur les machines à communiquer
Paris, Éd. L’Harmattan, 2008
[6] Stefana Broadbent, L’intimité au travail, FYP éditions, 2011
[7] Le journal du net – http://www.journaldunet.com/ebusiness/internet-mobile/equipement-et-usages-des-smartphones-0613.shtml
[8] Neal Stephenson, « Le samouraï virtuel », Ailleurs et demain, Robert Laffont, 1982
William Gibson, Neuromancien, J’ai lu, 1984
[9] Marcello Vitali-Rosati, « La virtualité d’Internet » sur le site Sens Public – Article du 16 avril 2009
[10] Marcello Vitali-Rosati, « circuler dans le virtuel »
Stéphane Vial, l’être et l’écran, PUF, 2012
Alain Milon, « Le corps et le virtuel »
[11] Check list enseignant –https://moiraudjp.wordpress.com/2011/07/13/check-list-professeur-pour-enseigner-dans-un-monde-virtuel/
[12] Check list apprenant –https://moiraudjp.wordpress.com/2011/07/12/check-list-etudiant-pour-apprendre-dans-un-monde-virtuel/
[13] Gilbert Simondon, « du mode d’existence des objets techniques », Aubier, 1957
[14] Avatar –. « Siddhārtha Gautama qui est considéré comme un Avatar deVishnou. Dans les Puranas, il est le vingt-quatrième des vingt-cinq avatars, préfigurant une prochaine incarnation finale » Wikipédia
Article publié sur le site : https://moiraudjp.wordpress.com/author/moiraudjp/
Auteur : Jean-Paul Moiraud
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