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« Les évolutions sont aujourd’hui d’ordre politique, économique, technique, culturel. Les approches pédagogiques que nous faisons  nécessiteraient une reconstitution des espaces temps pour les équipes enseignantes et les enfants. » Michelle Laurissergues

La première rencontre de l’élève avec l’enseignant est un regard: éprouve-t-il confiance et sécurité ou angoisse et crainte ? Quelle impression confirmera-t-il ?

Voici plus d’un demi-siècle que les recherches interactionnistes ont mis en évidence les fonctions conversationnelles du regard.

Celui qui choisit d’être un enseignant en a-t-il conscience ?

Puis vient l’énoncé oral qui débute toute rencontre.

Existent des formules employées couramment en milieu scolaire pour entrer en rapport avec un public, « Bonjour », « Ouvrez vos livres, page… », « Ouvrez-vos livres, s’il vous plait.»…. 

Du point de vue de la langue française, « on dira que les unités minimales, sur le plan signifiant, sont les phonèmes ou les traits phoniques pertinents …. Mais si on veut en rendre compte globalement, on est obligé de tenir compte d’autres codes et entre autres d’un code de politesse qui s’y manifeste … ». 

Ces énoncés sont phoniques, leur homogénéité tient à la nature physique du signifiant qui est porteur de la langue et d’autres codes dont les usages sociaux font partie tel que la prononciation du /e/à la fin de bonjour qui n’existe pas dans la graphie ou du /r/dont la prononciation varie suivant les langues. 

Ils confirment le ressenti visuel du premier abord. La tonalité de la voix, dans sa fonction supra segmentale, favorise-t-elle ce contact ? Facilite-t-elle l’attention nécessaire à la compréhension totale ou partielle du message oral?

Cette simple entrée en relation avec les élèves, comment est-elle ressentie par chaque personnalité ? 

Dans le système scolaire, elle a des fréquences qui suivent les séquences disciplinaires et elle correspond à des comportements propres à chaque intervenant. Le public scolaire est donc le destinataire de messages dans la langue de l’institution dont les expressions comportementales varient suivant les locuteurs.

Le message oral s’accompagne souvent d’un texte écrit, deux messages dans la langue de l’enseignement qui peuvent ne correspondre ni à la langue maternelle ou native ni au niveau de langue des destinataires qui ne sont pas, dans une situation d’interlocuteurs.

Le rapport de la commission de l’Assemblée parlementaire européenne , « La place de la langue maternelle (L1) dans l’enseignement scolaire » pose des recommandations en distinguant la prise en compte de la langue maternelle ou native (L1) et l’enseignement « de submersion» avec la langue institutionnelle (L2). 

Il souligne l’importance de la construction des connaissances en L1 : « Si la construction des connaissances a lieu en L1, celle-ci commence bien plus tôt et pas seulement au moment, plus ou moins tardif, où les élèves maîtrisent suffisamment bien la L2. La construction de nouveaux concepts dans la négociation entre enseignant et apprenants crée des contextes acquisitionnels participatifs qui favorisent simultanément les développements cognitifs et linguistiques. En situation de submersion ils sont par contre plus ou moins exclus de cette interaction par leurs connaissances linguistiques réduites. ».

Il attire l’attention de la décision publique sur les deux points suivants : «  Une fois que les enfants ont développé des compétences écrites en L1 et des compétences communicatives en L2, ils transféreront facilement les techniques de l’écrit et les facultés cognitives acquises dans la langue familière à la L2. Ceci grâce à ce que Cummins (1991, 1999) a nommé la « théorie de l’interdépendance », voire la « compétence sous-jacente commune », qui rendent possibles ces transferts cognitifs et linguistiques et expliquent pourquoi il n’est pas nécessaire d’acquérir ces facultés une seconde fois. L’évaluation des progrès des élèves est facilitée si ces derniers sont contrôlés en L1 tandis que, dans la situation submersive, les compétences linguistiques et les connaissances se confondent souvent de telle manière que l’enseignant ne sait pas si l’élève n’a pas compris un concept ou s’il a des difficultés d’expression ». 

Il conclut ces premières recommandations en ces termes : « Le domaine affectif, en particulier la confiance en soi-même, l’assurance, l’amour-propre et l’identité des enfants, sortent renforcés de l’emploi de la L1 comme langue d’enseignement. Ceci augmente la motivation, l’initiative ainsi que la créativité des élèves et leur permet de développer leur personnalité et leur intelligence. Au contraire, l’enseignement de « submersion » les rend silencieux et passifs; le mode de répétition mécanique engendre des frustrations et finalement des échecs scolaires. » 

Si ces recommandations montrent l’importance de la reconnaissance de L1 dans la scolarité pour éviter l’échec scolaire et pour favoriser la persévérance, elles suggèrent une institution qui crée des enseignements propres à chaque L1 au début de la scolarité dans un Etat qui a une langue institutionnelle. Le but serait de développer le bi ou multi  linguisme des élèves, de reconnaitre l’identité de l’enfant.

N’existe-t-il pas une autre solution que celle de créer des enseignements spécifiques pour chaque langue naturelle ou maternelle (L1) avant la pratique de L2, tout en privilégiant les identités de chaque enfant, l’acquisition d’un plus grand nombre de phonèmes  propres à chaque langue et aux transferts cognitifs et linguistiques qui résultent des études conduites en psychologie, sociologie et anthropologie ? 

Cette question linguistique se pose dés le premier contact de l’enfant avec une communauté éducative. Des études la mettent en évidence dés la fin du 19émé siècle en France quand se posa la question des langues régionales et des différentes cultures des espaces coloniaux européens. Elle fut le plus souvent résolue par une politique de « submersion ».

 Au 21ème siècle, est-il possible de poursuivre cette politique ? 

Plusieurs faits en nécessitent la remise en cause : la loi pour une école de la confiance promulguée au J.O. le 25 juillet 2018, abaissant l’instruction obligatoire jusqu’à l’âge de 3 ans, obligation de formation jusqu’à l’âge de 18 ans, l’évolution de « La mosaïque France, histoire des étrangers et de l’immigration », l’utilisation par les populations issues de la migration des techniques d’information et d’échanges virtuels qui permet des relations instantanées dans leur langue d’origine (L1) avec leurs compatriotes et les réseaux sociaux qui multiplient les niveaux de langue.

De nombreuses études mettent en évidence que l’écart entre la langue utilisée pour l’enseignement et les langues natives et maternelles ainsi que celui entre le niveau  de langue d’un apprenant et celui de l’enseignant crée l’échec scolaire que manifestent des comportements d’agressivité, de fuite de l’école.

Les effets  de la « submersion » sont étudiés par des auteurs qui l’ont vécu soit que leur langue maternelle ou native ne soit point la langue officielle soit que leur niveau de la pratique de la langue officielle ne corresponde point à celui de l’enseignant. 

Mais il en existe peu qui rende compte d’une politique linguistique d’enseignement  qui a eu l’expérience d’un système  de type « submersion » abandonné pour un enseignement dans et par chaque langue de chaque groupe composant une nation et suivi d’ un retour raisonné à une langue officielle unique étrangère. Cette dernière étape  pourrait apparaître comme un retour à un enseignement de type « submersion » alors qu’elle est créatrice d’unité tout en reconnaissant les différentes langues maternelles et natives.

Dans le contexte de la décolonisation, la République de Guinée a acquis son indépendance le 28 septembre 1958, en votant non au Référendum organisé dans le cadre de l’Union française envisagée par la loi cadre de 1956.

« Dés le lendemain de l’Indépendance, le secteur de l’enseignement a été inscrit parmi les tâches prioritaires du nouvel Etat. En tout premier lieu s’est posé le problème de la langue d’enseignement. La question fondamentale a été celle de maintenir ou non le français dans l’enseignement et dans l’administration.». Dans un contexte où près de 85% de la population guinéenne ne sait ni lire, ni écrire en français ou dans les différentes langues nationales, le français fut maintenu à tous les niveaux de l’éducation et de la vie publique jusqu’à la réforme de 1966. 

En 1966, Sékou Touré, Président de la République de Guinée, donne la priorité aux langues nationales comme langues de l’enseignement et définit ainsi la politique linguistique pour son pays : « Dans tous les cas, la nation guinéenne doit, quant à elle,  faire enseigner nos langues dans tous les écoles du pays afin que notre peuple puisse se libérer d’une insuffisance qui l’amène actuellement à s’exprimer en français plutôt qu’en Sou, en Peul ou en Malinké.(….)La transformation de nos langues en langues de culture permettra de restituer leur authenticité originelle en les débarassant des formes d’expression étrangères qui sont trop souvent la marque et la preuve d’une incurie intellectuelle.»

Dans un pays dont on peut évaluer le nombre de langues nationales à 6 et à une vingtaine d’autres langues, cette place donnée aux langues régionales comme langue d’enseignement dura jusqu’à un « plan intérimaire de redressement national» en 1984, dont le « plan d’action » concernait en particulier « la réinsertion du français comme langue d’enseignement dans toutes les écoles de la République de Guinée » 

Le sujet ici n’est pas de traiter des causes qui amenèrent ce changement politique, il est de s’attacher au résultat de l’analyse conduite par Diallo M. Lamara Petty dans le domaine du choix d’une ou plusieurs langues d’enseignement :

« Dans un contexte multilingue, où chaque ethnie ou groupe social s’identifie à sa langue, le moyen le plus adéquate de ne pas susciter les sentiments ethniques est d’adopter une langue étrangère. N’étant d’aucune appartenance ethnolinguistique, elle seule est censée éviter l’éveil des particularismes … C’est le multilinguisme qui est donc, en Afrique, un facteur de consolidation de l’unité nationale. Ce qui peut paraître paradoxal pour un européen : lui qui fonde la nation sur le monolinguisme. Cette différence linguistique doit conduire à penser autrement les réalités nationales. Le multilinguisme conduit à hisser la langue étrangère au rang de langue officielle. Ce qui évite l’éclatement des conflits dus aux phénomènes que nous avons mentionnés. La langue étrangère se caractérisant par sa neutralité, car ne pouvant être revendiquée par aucune ethnie, aucun groupe communautaire, devient du coup la langue de l’Etat »

Diallo Lamara Petty propose que les langues natives et maternelles parlées par la population scolarisée dans un pays continue à s’exprimer, pour qu’elles créent une unité nationale. En évitant les particularismes, une langue propre à l’Etat qui serait la langue de l’enseignement permettrait à la fois d’éviter des conflits et de créer une unité nationale dans laquelle les langues maternelles et natives ont leur place.

Ecouter la leçon que tire Diallo M. Lamarama  Petty de son étude sur la politique linguistique de la Guinée, quelles propositions pour la pédagogie et la didactique dans un enseignement qui est emprunt d’une langue qui a son histoire, qui, au fil de sa pratique, construit une culture aux expressions multiples en permanente évolution, qui, en contact permanent avec les faits ontologiques, ethnologiques, sociaux et spirituels organise la vie individuelle et collective ?

Avec une certaine ironie, Diallo M. Lamarama Petty souligne la difficulté pour un européen, marqué par un roman historique qui représente les unités nationales comme le fruit du monolinguisme, de concevoir cette unité par la reconnaissance des différentes langues maternelles et natives parlées par ses membres.

N’est ce pas la situation de la population qui est scolarisée dans la République française en ce 21ème siècle ? Cela n’avait-il pas été un déni dans les siècles précédents quand la diversité de cette population était identifiée à une seule langue, celle du pouvoir ?

Si l’auteur de cette étude peut proposer une vue prospective qui évite l’échec scolaire en passant d’une reconnaissance officielle de l’ensemble des langues maternelles et natives à la valeur attribuée à une langue distincte de celle-ci , n’est-ce pas parce qu’il y a ce vécu de la population guinéenne qu’il décrit ?

Ne faut-il pas tenter de faire des propositions pour que soit pris en compte la leçon  proposée par l’étude de l’histoire de la République de Guinée en évitant la période qui fut douloureuse ? 

Donner statut aux différentes langues maternelles ou natives tout en instituant une langue d’enseignement nécessite une définition de la communauté scolaire, une conception de l’apprenant, et des choix de politiques publiques d’éducation et d’enseignement. 

Au delà de la langue d’enseignement, il est nécessaire de prendre en compte le fait que l’élève est aussi plongé dans un environnement de média qui véhiculent des formes phoniques et graphiques qui peuvent n’avoir que l’apparence d’une langue. 

A partir de cette approche portant sur les langues et les messages médiatisés, quelle reconstitution de l’organisation des enseignements peut on proposer? 

Cet aspect sera développé dans l’article suivant.

Etre enseignant en 2020

Pr Alain Jeannel

 Suite de l’article, « l’enseignant et la langue de l’enseignement » Educavox 9 mars 2020.

 Michelle Laurissergues, Présidente nationale de l’An@é, Edito in Les actes de l’An@é Atlantica n°91, août 2001,p.3

 Frédéric Berthet, « Eléments de conversation, » in Communications 30, La conversation, CETSAS 1979, p.141.

 On dirait en mars 2020 de « civilité ».

Christian Metz , « Structure du message, ou structure du TEXTE ?» in Etudes sur le fonctionnement des codes spécifiques , ITLAM-CRDP, 1972, pp.19-26, texte de la communication de Christian Metz énoncé lors du colloque organisé à la Maison des Sciences de l’Homme de Bordeaux pour la formation continue des enseignants dans le cadre de L’ICAV, Initiation à la Culture Audio-Visuelle dans l’enseignement élémentaire et secondaire et de l’ITLAM Institut de Littérature et de Techniques Artistiques de Masse.

 Le rapport de la commission de l’Assemblée parlementaire européenne, « La place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire», 7 février 2007.

« Le français langue d’usage obligatoire », ordonnance de Villers-Cotterts 10 août 1539.

Lanly A., « Le français dans les « colonies » et les territoires français » » in Histoire la langue française 1880-1914, CNRS édition 1999, pp. 397-413.

www.education.gouv.fr › la-loi-pour-une-ecole-de-la-confiance-5474

Lequin Y. La mosaïque France, histoire de étrangers et de l’immigration , librairie Larousse, 1988.

 Ichou M., »Destin scolaire des enfants d’immigrés :culture d’origine ou culture sociale ? » Metropolitiques, 21/10/2016.

Diallo M. Lamarana Petty, Enjeux et avatars de l’enseignement du français en République de Guinée : contexte historique, aspects pédagogiques et perspective de rénovation, ATRT, Université Lille 3, Bordeaux 1991.

 Sékou Touré, L’Afrique et la révolution, Conakry, 1966, p.254.

Plan intérimaire de redressement national ; 24 mai-3 juin 1984.

Diallo M. Lamarama Petty, Enjeux et avatars de l’enseignement du français en République de Guinée : contexte historique, aspects pédagogiques et perspective de rénovation, ATRT, Université Lille 3, Bordeaux 1991. Pp.261 263.

 Ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539, édit qui impose le français comme « langue d’usage obligatoire »

 « La symbolique de l’école sur les balcons » Diallo M. Lamarama Petty, op. cité pp.257-361.

Dernière modification le mardi, 06 octobre 2020
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.