Le code de l’éducation stipule en ce sens que « tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. (Le service public éducatif) veille à l'inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction »[1]. Cette valeur centrale qui est celle de la « perfectibilité » - pour reprendre la terminologie rousseauiste - définit un cadre pour l’action publique, une norme d’équité comprise comme une visée universelle d’éducation de tous les élèves.
Cette fin assignée prend alors volontairement le contrepied de la méritocratie républicaine qui caractérisait formellement les modalités de l’école à ses origines : à savoir la mise en place d’un système éducatif conçu pour sélectionner et trier les élèves selon leurs compétences et leurs performances.
L’école française est en effet aujourd’hui encore le pur produit d’une logique descendante mise en place sous Napoléon à l’orée du XIXème siècle : partant de l’idéal du « polytechnicien » (l’école polytechnique était née quelques années auparavant), comment différencier les meilleurs élèves et les conduire au plus haut degré de l’exigence intellectuelle ?
La problématique d’alors était bien celle de la distinction : non pas chercher à former le plus grand nombre, mais atteindre la plus forte excellence pour une minorité d’élus pédagogiquement vertueux et consacrés par une république qui réinventait ainsi avec une conviction assumée une autre forme d’aristocratie. Si cet objectif a disparu depuis longtemps des programmes et des réformes ministérielles, il continue cependant d’animer sourdement les esprits et les actes d’une pratique éducative en contradiction manifeste avec les politiques énoncées.
Oui, l’école française souffre bien aujourd’hui d’une contradiction patente entre des fins universalistes et des habitudes élitistes. Entre la massification des publics et la méritocratie ancestrale, la transition ne s’est donc pas faite. Et notre école continue à reproduire ses schémas originels en un bégaiement qui rend inaudible son verbe égalitariste. L’exigence proclamée de l’inclusion, qui consiste à affirmer l’éducabilité de tout enfant et le devoir de l’école de pourvoir à cette obligation, ne résiste pas au plus élémentaire constat : la France est l’un des pays les plus inégalitaires au monde selon les enquêtes internationales[2]. Si le « mérite » reste le critère décisif des réussites scolaires, il masque trop imparfaitement les logiques de reproduction et de patrimoine culturel qui continuent à œuvrer sourdement au travers des performances mesurées. Cet état de fait – sur lequel il conviendra de revenir afin d’en analyser les causes autant que les caractéristiques – contredit donc un état de droit pourtant réitéré avec force depuis plusieurs décennies par tous les gouvernements.
Mais avant de tenter d’appréhender une situation d’injustice scolaire et de contradiction culturelle entre les fins et les pratiques de l’école française, il convient de commencer par l’examen d’une question fondamentale : sur quelles assises conceptuelles et juridiques les valeurs et les pratiques éducatives du système scolaire français repose-t-il ? Quels sont en d’autres termes les principes de notre école ? Les principes étant en effet l’expression des conditions de mise en œuvre des valeurs, comment ceux-ci énoncent-ils les contradictions qui minent aujourd’hui notre enseignement ?
Répondre à ces questions dans une approche contractualiste, c’est s’interroger préalablement sur la position originelle des élèves et des parents face à l’école. Selon John Rawls dont nous reprenons et transposons ici l’analyse, l’idée de position originelle définit « le statu quo initial adéquat qui garantit l’équité des accords fondamentaux qui pourraient y être conclus »[3]. En d’autres termes, acceptant la représentation fictive d’une situation où les usagers du système éducatif ont à choisir rationnellement le type d’organisation pédagogique désirable pour eux-mêmes, la position originelle établit conceptuellement leur situation et les modalités possibles de leur délibération. Cet artifice intellectuel – qui est celui du contrat social dans le cadre de la philosophie politique classique – permet de dégager les fondements juridiquement acceptables d’un ordre éducatif juste : c’est-à-dire potentiellement reconnu par toute famille comme étant le plus conforme à son intérêt bien compris et à la meilleure éducation pour les élèves.
Une telle fiction conceptuelle met en évidence un critère qui est celui du choix rationnel : est juste un ordre éducatif qui peut être librement choisi par tout parent d’élève à condition qu’il entre dans le cadre d’une délibération rationnelle et fasse abstraction de ses intérêts partisans ou contraires à l’intérêt général. Egoïsme, recherche de privilèges exclusifs sont donc a priori exclus du champ de cette analyse : tout comme l’est la préservation d’une iniquité de traitement entre les élèves.
Rationalité et équité sont donc posées comme les deux principes fondamentaux d’une théorie contractualiste de la justice éducative : est juste toute modalité d’organisation scolaire qui peut être fondée en raison auprès de tout parent et qui n’établit aucune distinction de traitement entre les élèves.
Une telle conception de la justice est ainsi celle de l’équité dans la mesure où elle a pour base l’instauration de principes « que les personnes libres et rationnelles, désireuses de favoriser leurs propres intérêts et placées dans une position initiale d’égalité accepteraient »[4]. Cette conception rejoint indirectement celle d’Aristote pour lequel la justice se définit essentiellement comme un refus de la pléonexia : terme qui désigne une volonté ou tendance à s’approprier indument ce qui ne nous revient pas. L’injustice se constitue à partir du moment où quelqu’un possède des avantages ou des biens qui appartiennent de fait ou reviennent de droit à quelqu’un d’autre : propriétés, emplois, richesses, récompenses… Appliqué au domaine de l’école, un tel critère du juste revient à dénoncer très exactement toute forme de réussite scolaire imméritée – c’est-à-dire non fondée sur les seules qualités personnelles de l’élève - ; ou encore, plus radicalement, à remettre en question la notion même de sélection par le mérite : si l’on considère que les modalités de distinction sont biaisées par des éléments d’iniquité initiale – habitus, capital symbolique…
On peut en effet considérer que toute institution sociale, à partir du moment où elle organiser une forme spécifique de distinction à l’exclusion d’autres possibles, tend à favoriser certains aux dépens d’autres. Dans le domaine scolaire, la notion de performance et l’estimation des résultats est en effet en soi sujette à caution. Le débat autour des résultats de PISA en France en est une claire illustration.
En effet, ces tests internationaux se fondent sur une représentation de la performance des élèves basée sur la notion de compétences : les compétences étant des capacités acquises et transposables par les élèves. Notre modèle éducatif est fondé quant à lui sur une notion de performance plus théorique que pratique – savoirs ou savoir-faire – et pour laquelle le critère de la transposabilité ne se pose pas dans les mêmes termes. Selon le modèle choisi – théorique ou plus axé sur la pratique -, les élèves seront donc différemment distingués – et s’approprieront donc de fait et de droit des avantages indument perçus.
Il convient donc de mesurer d’emblée les difficultés et les limites de tout critère de justice fondée sur le mérite. Il est nécessairement relatif, contextualisé et inscrit dans un système normatif de règles et de valeurs jugées acceptables dans un lieu et pour un temps donnés. On peut finalement considérer qu’il ne peut y avoir de mérite en soi, absolument incontestable en droit, non rapporté à un point de vue et donc suspect de soutenir des intérêts cachés – ou, a minima, des biais interprétatifs. Il n’existe et ne peut exister d’égalité stricte de départ entre les élèves au regard de leur seul mérite personnel : toute organisation culturelle tend à favoriser les positions de certains et à défavoriser les autres – qu’il s’agisse de la langue, du capital symbolique, ou de l’environnement, de l’établissement fréquenté, des professeurs et des classes. Ces multiples facteurs influent considérablement sur les destins scolaires et disqualifient irrémédiablement le seul critère du mérite comme étant juridiquement et moralement valable dans le cadre de la situation originelle.
Car la caractéristique dominante de cette situation est d’associer en même temps des conflits d’intérêts et des objectifs identiques. Dans un état « primitif » et pré-éducatif, les familles et les élèves ont d’abord des intérêts communs : chaque élève doit recevoir une éducation, la paix sociale doit régner dans les classes et les établissements, l’image et la qualité de l’établissement sont liés à la qualité du parcours offert aux élèves… Mais ces intérêts partagés se trouver relativisés par l’aspiration de chacun à posséder ces mêmes biens : d’où une concurrence et un esprit de compétition scolaire instauré par les notations et les « classements » des performances, d’où le jeu des égoïsmes personnels et des ambitions scolaires…
Dans la situation originelle, comme dans l’état de nature chez Hobbes[5], on peut dire en paraphrasant l’auteur que « l’élève est un loup pour l’élève ». Et le point de départ de toute institution scolaire « juste » est bien celui de la sécurité et de la paix sociale, de la régulation des conflits d’intérêts comme des passions.
Ce postulat est hélas d’une cruelle évidence : les élèves ne sont pas les uns vis-à-vis des autres tous animés par un esprit d’universelle bienveillance ou d’entraide spontanée – l’enfant étant selon Freud un « pervers polymorphe ». Toute conception cohérente de la justice scolaire doit donc partir de ce principe préalable d’une situation originelle qui reste au moins potentiellement conflictuelle et qui nécessite une institution capable de canaliser ces violences et ces rivalités. Est d’abord juste une école au sein de laquelle les règles communes préservent les plus faibles et protègent équitablement les intérêts de chacun. Les conflits d’intérêts doivent donc être, sinon effacés, du moins réduits et contrôlés dans leurs modalités d’expression. L’esprit de compétition, le fait de convoiter les mêmes biens et l’aspiration juvénile à la reconnaissance, caractéristiques d’un ordre social et économique qui sera plus tard conforme à la liberté des citoyens, nécessite comme préalable éducatif des aménagements et des adaptations. Les identités d’intérêts doivent à l’inverse être soutenues et accentuées afin de susciter au mieux un sentiment de fraternité scolaire et de solidarité entre les élèves.
Mais quoi qu’il puisse en être de la résolution de ce dilemme originel entre conflits et identités d’intérêts, la question des fondements de la justice éducative doit à présent être posée à un niveau plus global : partant d’une situation originelle marquée à la fois par une situation de concurrence et de solidarité, où chaque famille est considérée comme libre et rationnelle dans ses choix, quel peut être le principe central susceptible de réaliser au mieux l’ordre scolaire juste ?
2 – La méritocratie républicaine et l’utilitarisme éducatif
Partant du fait que, en toute cohérence, l’éthique républicaine qui justifie la méritocratie ne peut se fonder en raison sur les principes du contractualisme – le mérite n’étant pas et ne pouvant être un critère recevable pour des parents et des élèves situés dans la situation originelle –, sur quelles assises peut-on alors concevoir a contrario une telle représentation de la justice scolaire ?
La réponse à cette question nous permettra de mieux comprendre les fondements éducatifs d’une logique d’excellence – d’en identifier les forces et les faiblesses – qui poussent leurs racines au cœur de notre histoire éducative, mais dont les ramifications contemporaines continuent à influer sur les pratiques comme sur les représentations.
Pour trouver un schéma éthique compatible avec cette logique de la méritocratie, il faudrait pouvoir justifier moralement le fait qu’un système éducatif puisse privilégier une part de son public aux dépens des autres selon un critère individualisé.
La partie vaut mieux que le tout, l’accomplissement optimal des meilleurs est la fin recherchée de l’engagement collectif. Et si certains se trouvent écartés prématurément, ou délaissés par un système global de formation qui porte avant tout attention aux plus méritants : alors une telle sélection ne peut être moralement condamnable. L’élitisme conjugue donc excellence et mérite personnel au sein d’un service public éducatif consacré à la double tâche de distinguer les plus aptes et de les former aux compétences les plus élevées. A charge ensuite, pour la part restante des élèves, d’être le plus convenablement possible orientés dans des filières de second rang. Et l’investissement public suit bien entendu cette logique descendante des plus vers les moins pour une structuration pyramidale des moyens et des objectifs éducatifs.
Il est bien évident qu’un tel modèle ne correspond plus à une société moderne où la totalité des ressources humaines est requise pour la maximisation d’une exigence de croissance. Cette représentation n’est plus économiquement tenable : pour une stratégie de développement européen notamment qui théorise depuis le traité de Lisbonne 2000 l’idée de « capital humain » et « d’économie de la connaissance ». Oui, l’éducation doit bien servir les intérêts de tous et construire en chacun des aptitudes utiles à tous. Mais pour autant, le système éducatif français continue, comme quelques autres, à œuvrer, sourdement et avec une évidence manifeste dans les effets constatés, pour la formation méritocratique d’une excellence des meilleurs.
La théorie qui permet alors de légitimer avec le plus de cohérence cette approche éducative est sans contestes celle de l’utilitarisme. Selon la définition la plus simple qu’en a donné Jeremy Bentham, l’utilitarisme est une conception morale qui identifie d’une part le bien recherché au bonheur, qui « collectivise » d’autre part et en quelques sortes ce bonheur éthiquement fondé à travers un critère quantitativiste. Une action est moralement acceptable à partir du moment où elle est susceptible d’apporter le plus grand bonheur – c’est -à-dire la plus grande quantité de plaisir avec la plus petite quantité de douleur – au plus grand nombre d’hommes.
Un système éducatif strictement utilitaire tend en effet à justifier efficacement une forme socialement organisée d’élitisme. La formation des meilleurs aux plus hautes compétences et capacités saura en effet rendre à la société des avantages compétitifs évidents par une dynamique, économique autant que culturelle ou scientifique, encouragée au mieux. Le bonheur du plus grand nombre est ainsi assuré par une forme de « retour sur investissement » que les citoyens les plus performants – à l’image des « premiers de cordée » – sauront produire pour le bénéfice de tous. Et peu importe, moralement compris, qu’il puisse y avoir des laissés pour compte : tant que cet intérêt de la majorité reste préservé et accompagné. Le critère de la répartition des biens et des satisfactions entre les membres du corps social n’est donc pas intégré conceptuellement à l’éthique utilitariste – fondement philosophique d’une éthique étroitement libérale. Il n’est pas en effet contraire au bonheur de la majorité qu’une minorité puisse souffrir et rester dans le malheur.
Qu’une telle organisation puisse ou non se justifier par le mérite authentique des individus ainsi privilégiés reste alors un élément secondaire dans la cohérence argumentative d’une telle représentation sociale. A partir du moment où la fin est atteinte – à savoir le plus grand bonheur du plus grand nombre – peu importe, éthiquement parlant, que le mérite de ceux qui sont favorisés par le système soit réel ou non. Il est certes préférable qu’il le soit. Mais pour autant, si des nantis bénéficiant de situations inégales par rapport à d’autres s’avèrent efficaces dans leurs actions et utiles socialement à leurs concitoyens, personne ne peut leur contester moralement leurs jouissances et les satisfactions qu’ils tirent de ces privilèges.
Le critère qui permet alors d’identifier les désirs conformes aux intérêts collectifs est alors celui du spectateur impartial tel que Sidgwick l’a défini : « doué de pouvoir idéaux de sympathie et d’imagination, le spectateur impartial est l’individu parfaitement rationnel qui s’identifie aux désirs des autres et les vit comme s’ils étaient les siens »[6]. Il s’agit là d’une forme de vérification, de « contrôle qualité » des désirs afin de retenir ceux qui ont la plus haute valeur et sont donc susceptibles d’être portés par le législateur. Il convient en revanche d’écarter les désirs mineurs ou faiblement intenses – ou encore ceux qui ne sont recherchés que par une minorité d’individus.
Ce critère se conjugue alors très commodément avec le clientélisme politique qui consiste à donner satisfaction au plus grand nombre. Une telle vision morale conduit à une représentation strictement individualiste des relations sociales au sein de laquelle chacun est positionné comme producteur de satisfactions distinctes.
La problématique éthique se réduit alors à la distribution de droits et de devoirs, à l’allocation de moyens visant à produire une quantité comptée de plaisirs en fonction de règles collectives définies selon le critère d’une maximisation totale des satisfactions. Appliqué à l’école, un tel schéma conduit à proportionnaliser les biens scolaires – « bonnes » évaluations, diplômes, passages et orientations…– selon cette même logique individualiste au sein de laquelle les décrochages ne sont pas un mal en soi : à condition qu’ils soient légitimés par « le plus grand bonheur du plus grand nombre » des élèves restants.
Le mérite personnel est ainsi la vertu consacrée de cette éthique éducative utilitariste. Ce qui est utile à tous, c’est d’abord que chaque élève puisse accomplir l’excellence – aretê – qui lui est propre. Dans la Grèce homérique, le héros était celui qui devait tenir son rôle et l’assumer jusqu’au bout : manifestant ainsi l’éminence d’une nature et l’accomplissement d’un destin que venait clore une mort conforme à ce que l’on était. Mais si dans la société grecque l’individu n’était rien, il trouve bien entendu sa place dans la conception moderne de la méritocratie. Ce qui distingue le héros grec ou même le simple citoyen d’Athènes – potier ou agriculteur – du polytechnicien ou de l’énarque, c’est d’abord le fait d’une existence circonscrite sur elle-même. Le Grec n’avait pas d’existence ni encore moins de valeur hors de sa cité, le citoyen moderne consacré par ses vertus scolaires n’existe que pour lui-même. Et c’est en poursuivant ses intérêts propres qu’il sert, du même coup et sans avoir à le vouloir explicitement, l’intérêt collectif – c’est là la fameuse conception de la « main invisible » chère aux libéraux.
L’éthique méritocratique peut ainsi être entendue comme une forme nouvelle de vertu qui pousse les meilleurs à accomplir l’excellence de leurs capacités propres – livrant les autres à des rôles subalternes justifiés par le manque de ces qualités distinctives et compensées par la manifestation d’autres types de compétences à accompagner. Le tri sélectif des élèves trouve donc écho et justification dans une vision du monde à la fois individualiste – le « chacun pour soi » des mérites personnels et des performances comparatives – et globalisante : avec l’effet vertueux de la « main invisible » qui transmue des bénéfices personnels en gains collectifs. Les meilleurs élèves consacrés par l’école servent, par l’expression sociale de leurs talents et les effets collectivisés de leurs performances, un intérêt collectif qui maximise ainsi le bonheur du plus grand nombre.
3 – L’égalitarisme et le contractualisme éducatif
Tout autre est bien évidemment le schéma argumentatif dans lequel peut éthiquement se concevoir une vision égalitariste de l’école. Les fins assignées sont alors radicalement autres : non pas former les meilleurs aux plus hautes compétences, mais éduquer tous les élèves au niveau minimal de capacités exigées – c’est le droit opposable du « socle commun de connaissances et de compétences » – tout en les accompagnant vers la réussite éducative correspondant à leurs profils et à leurs projets.
Le paradigme éthique qui permet d’intégrer l’égalitarisme républicain est alors celui du contractualisme.
Il part de l’idée – bien entendu purement théorique et à seule vocation générique – selon laquelle l’école est le produit d’une entente préalable entre les familles sur la base d’un contrat éducatif initial. Il s’agit là bien évidemment d’une pure hypothèse intellectuelle qui ne renvoie à aucune période historique, ni davantage à une quelconque modalité législative : c’est ce que Kant appelle une idée de la raison ou un concept régulateur nous permettant de saisir de manière générique les éléments constitutifs de l’obligation républicaine.
Afin d’établir les fondements de ce paradigme, nous nous réfèrerons ici au penseur contemporain qui a le mieux théorisé ses principes, à savoir le philosophe américain John Rawls, en donnant notamment à la représentation du contrat un critère intuitif de validation sous la forme du « voile d’ignorance ».
Le postulat de départ de toute théorie du contrat est comme on l’a vu celui de la situation originelle selon laquelle les individus sont considérés comme rationnels et capables de choisir au mieux de leurs intérêts. Ils sont donc mus, comme dans toute société humaine moderne, par une forme d’égoïsme bien compris qui vise, non à vouloir s’approprier indument tous les biens – ce qui relèverait de la pléonexia et ne serait donc pas raisonnablement acceptable –, mais à envisager le plus grand bien possible pour eux-mêmes sans que cela ne porte préjudice à quiconque – ce qui en retour serait susceptible de leur valoir des problèmes et serait donc contraire à leur intérêt bien compris.
Chacun cherche donc à maximiser cet « intérêt bien compris » sans que cela se fasse aux dépens d’autrui.
Mais comment établir alors les critères et la bonne mesure de cet intérêt raisonnable ? C’est là sans doute la question fondamentale de toutes les théories classiques du contrat. La réponse de Rousseau[7], à titre d’illustration de ce propos, fut celle de la volonté générale comprise comme « somme des différences ». S’inspirant du calcul infinitésimal développé par Leibniz à la même période, il conçut très abstraitement la volonté raisonnable comme étant celle qui intègre – au sens mathématique – la différence marginale d’intérêt de chaque citoyen qui veut son bien tout en restant à sa place. La somme « intégrale » des différences infinitésimales se différencie ainsi de deux modalités iniques d’expression de la volonté générale : la règle de la majorité qui lèse la minorité, la règle de l’unanimité qui constitue une violation des libertés individuelles et du pluralisme. On voit combien cette réponse est, tout comme d’ailleurs ses devancières, abstraite et inopérante.
Le grand mérite de John Rawls a alors été de donner à ce problème fondamental du contractualisme une réponse à la fois simple et convaincante. Pour établir le juste critère de chaque volonté personnelle dans le cadre d’un contrat social, il convient de penser tous les individus pris dans la situation – bien entendu fictive – d’un voile d’ignorance. En effet : « nous devons d’une façon ou d’une autre invalider les effets des contingences particulières qui opposent les hommes les uns aux autres et leur inspire la tentation d’utiliser les circonstances sociales et naturelles à leur avantage personnel »[8]. Avec l’hypothèse du voile d’ignorance, les hommes « ne savent pas comment les différentes possibilités affecteront leur propre cas particulier et ils sont obligés de juger les principes sur la seule base de considérations générales ».
Les égoïsmes personnels sont donc en quelques sortes désactivés par cette ignorance initiale des conditions spécifiques d’existence personnelle. Chacun choisit ainsi les règles générales sans savoir s’il est riche ou pauvre, nanti d’un capital culturel ou non, possesseur de tel ou tel bien, de tel ou tel privilège… L’intérêt personnel reste le point de vue adopté par tous, mais cet intérêt est globalisé, non inscrit dans une logique partisane ou une préservation de tel ou tel avantage concurrentiel. Le voile d’ignorance dépsychologise ainsi toute analyse personnelle, condamne chacun à prendre en compte le seul intérêt particulier compatible avec l’intérêt général. Je pense à moi, oui, mais à travers une collectivisation de mes intérêts et de mes points de vue qui sont à ce stade totalement interchangeables avec ceux des autres.
La perspective ainsi dégagée est à la fois particulière dans sa nature et universelle dans sa destination. Les partenaires de ce contrat social sont par ailleurs supposés connaître les principes politiques et économiques qui régissent toute société démocratique ; mais également l’ensemble des faits généraux et des problèmes auxquels une organisation sociale conforme devra apporter une solution. Chaque citoyen est donc à la fois éclairé et désincarné : tout en restant cependant soucieux de ses intérêts personnels. Et le fondement éthique de cette représentation est finalement celui d’une absolue égalité entre tous les contractants – raison pour laquelle John Rawls définit une telle représentation éthique en parlant de la « justice comme équité ».
C’est alors ce schéma explicatif qu’il convient d’appliquer à l’école afin de déterminer quelle pourrait être l’organisation scolaire la plus juste : c’est-à-dire, en ce sens très précis, la plus équitable.
Par opposition avec l’approche utilitariste, les personnes soumises au voile d’ignorance ne pourraient choisir librement l’option « du plus grand bonheur du plus grand nombre ». A partir du moment où chaque élève ou famille ignore en effet quel serait son destin scolaire, il ne peut pas courir le risque pour lui-même de faire partie des « laissés pour compte ».
La théorie contractualiste oblige ainsi à prendre en considération le sort des plus fragiles. Dans un tel cadre conceptuel, toute personne estimerait que les inégalités socio-économiques ou scolaires ne seraient justes que si elles produisaient en compensation des avantages pour les plus défavorisés. Le changement de perspective est donc bien radical : le point de référence n’est plus l’excellence des meilleurs élèves mais la fragilité des plus faibles.
Partant d’un principe d’équité, le contractualisme vise ainsi à réaliser dans la société et dans l’école la plus grande équité correctrice des inégalités scolaires. Que ceci se fasse ou non aux dépens du plus grand bonheur pour le plus grand nombre n’est pas un élément à prendre en considération. Contre l’utilitarisme, les inégalités scolaires ne se justifient pas par un plus grand bien global, mais par le plus grand bien relatif à destination des plus défavorisés. On retrouve ici les bases conceptuelles d’une discrimination positive selon laquelle il s’agit de maximiser les chances de ceux qui ont le moins d’avantages au départ – en vertu du principe du « voile d’ignorance » qui inclut potentiellement chaque élève dans le risque hypothétique du décrochage.
Ce faisant, l’organisation sociale et scolaire défavorise donc tendanciellement ceux qui possèdent davantage de biens, compétences ou ressources propres en consacrant plus de moyens aux autres. La justice consiste alors à corriger par l’action publique ce que les circonstances et les situations ont posé : davantage et mieux instruire ceux qui n’ont pas de capital culturel, davantage accompagner ceux qui ne peuvent subvenir à leurs besoins éducatifs. Une telle approche compromet inévitablement la logique inverse de l’excellence : si l’on donne moins aux meilleurs, ils excelleront nécessairement moins bien dans un système qui ne leur serait plus dédié.
Et les termes du contrat éducatif ne peuvent recevoir la moindre ambiguïté : ne sachant pas quel type d’élève ils seront, ni quel type d’enfant ils auront, chaque parent ou chaque élève ne peut soutenir une organisation scolaire qui l’exclurait potentiellement et le priverait de tout bien. Et puisque le bien-être de chacun est le produit d’une coopération de tous, y compris des défavorisés, la répartition des avantages ne doit léser personne, y compris les plus défavorisés. Car c’est alors le contrat initial qui se trouverait de facto rompu. Je ne peux contribuer par moi-même, par mon travail et mes efforts à un ordre social qui exclut mes enfants de tout avantage et bénéfice partagé.
4 – Les termes du contrat éducatif
Dans le cadre de cette logique contractualiste, le critère de la justice est alors celui de la délibération dans la situation du contrat social. C’est celui du choix rationnel pris individuellement par chaque famille et chaque élève (à condition qu’il soit théoriquement posé comme rationnel et raisonnable : donc en fait déjà « élève vers » la citoyenneté) dans le contexte d’un « voile d’ignorance » qui les oblige à ne prendre en compte que leur intérêt personnel dépourvu de tout avantage proprement égoïste : à potentiellement s’identifier aux plus défavorisés. Dans une telle situation, quels pourraient alors être les choix des partenaires d’un tel contrat éducatif ? Et quels sont très précisément les termes de ce contrat ?
Chaque famille placée dans la situation originelle fait en effet le raisonnement suivant : j’accepte de déléguer et de partager mon autorité parentale à l’institution scolaire, de soumettre mon autorité à la sienne, à condition que chacun fasse de même et que l’école assure en retour une éducation de qualité optimale tout en garantissant la sécurité de mes enfants.
Ce contrat est donc bien, comme tout engagement, réciproque et conditionnel. Il ne peut être considéré comme valable que si chacune des parties respecte ses engagements. Pour les familles, le renoncement est celui de la socialisation des enfants.
Chacun doit passer d’une autorité parentale à une autorité sociale. La première forme d’autorité est en effet celle de la famille : l’enfant respecte ses parents et se soumet à eux par amour et lien affectif. C’est ici le sentiment qui gouverne, l’affection qui dicte ses lois. Cette forme d’autorité ne peut constituer les bases des relations sociales où les hommes coexistent sans nécessairement s’aimer et s’apprécier.
L’école est donc d’abord le lieu où les enfants deviennent des citoyens : dans le sens très précis où ils apprennent une forme d’autorité différente de celle des liens familiaux qui est celle du respect impersonnel – ce que Weber appelle l’autorité rationnelle-légale. Le contrat éducatif fonde donc initialement sa légitimité sur la subordination de l’autorité parentale-affective à cette autorité rationnelle-légale. Chaque élève doit respecter les autres et les règles, non parce qu’il les aime ou lui sont proches, mais parce qu’il faut les respecter en elles-mêmes et quelles que soient les personnes qui les incarnent transitoirement. Cette modalité de l’autorité constitue le socle du contrat éducatif : toute violation de ce fondement conduit donc de facto autant que de jure à anéantir l’accord moral passé entre l’école et les parents.
Mais quels peuvent alors être, au-delà de cette assise de légitimité, les éléments du contrat éducatif ?
Chaque famille délègue à l’école l’exercice de son droit à éduquer ses enfants.
Et l’institution – le tiers institué – se doit en retour d’assurer une mission de service public qui est d’abord fondatrice du lien de citoyenneté. Seule l’école peut construire en chaque enfant l’idée d’une autorité rationnelle-légale indépendante du lien familial. Mais bien au-delà, elle doit instruire et éduquer tout en assurant à l’élève un climat de sécurité et d’épanouissement personnel. Partant de cette situation initiale de conflits d’intérêts que nous avions évoquée, l’institution doit d’abord aux parents la mise en sûreté des élèves : c’est là le préalable à toute autre forme d’entreprise éducative. La première composante de ce contrat éducatif doit donc être, en toute cohérence, cette « paix civile » que les établissements doivent faire prévaloir contre toutes les indisciplines et les rapports de force. La question du harcèlement – nous aurons l’occasion d’y revenir –, devenu fléau national, donne aujourd’hui à cette exigence une acuité inédite.
Les partenaires de l’école attendent d’elle qu’elle assure d’abord dans l’institution scolaire l’ordre républicain qu’elle a pour charge d’inculquer dans l’esprit et les consciences des élèves. Le premier des droits offerts par le contrat éducatif est ainsi celui de la sécurité par l’instauration de l’autorité et de la discipline – lorsque cette autorité se trouve déniée.
Ce préalable était posé, la finalité de l’enseignement est d’abord celle de l’instruction. L’exigence éducative, la qualité des enseignements dispensés, la rigueur dans la transmission des savoirs et des compétences s’affirme comme la seconde priorité légitimement attendue par les familles à l’égard de l’institution. Celle-ci doit garantir la validité et la valeur des connaissances, la capacité des enseignants à les expliquer et à les restituer aux élèves. Cette exigence est donc à la fois tournée vers les savoirs enseignés et vers la manière de les transmettre. La pédagogie rejoint ici la valeur intrinsèque des enseignements pour une mission de service public qui pour objectif majeur d’éclairer les consciences et l’éveiller les intelligences naissantes au monde qui les attend.
Mais tous les élèves n’ont pas la même aptitude à suivre et à comprendre les enseignements dispensés. Et dans cette logique contractualiste, par opposition au strict utilitarisme, les familles attendent de l’école qu’elle s’intéresse équitablement à tous les enfants : ce qui implique en l’occurrence qu’elle accorde une attention supplémentaire aux plus fragiles. L’accompagnement personnalisé doit donc se conjuguer avec une exigence de discrimination positive aux profits des élèves en difficulté ou en situation de décrochage. C’est sur le fondement de cette troisième priorité que se définit aujourd’hui la thématique devenue centrale de l’école inclusive.
L’institution scolaire est et doit être également un lieu où les élèves vivent et grandissent harmonieusement, développent des qualités à la fois intellectuelles et sociales, s’ouvrent au monde et à la pratique de multiples activités. Leur autonomie doit être soutenue et encadrée au plus près de leur curiosité et dans la recherche de leur épanouissement personnel. Les familles attendent donc de l’école qu’elle offre un cadre à cette liberté en devenir, qu’elle garantisse à ses modalités d’expression encore hésitantes et parfois maladroites des bornes et des outils d’expression.
La formation du citoyen implique nécessairement une éducation à l’autonomie, un apprentissage des règles et des normes sociales de l’action collective que l’institution scolaire a pour charge d’inculquer aux enfants. Il existe donc une exigence de démocratie scolaire, de liberté des élèves et d’accomplissement partiel de leurs aspirations citoyennes.
Enfin, un tel contrat éducatif ne peut simplement se fonder sur la seule confiance des familles vis-à-vis de l’école.
Cette dernière se doit de rendre compte de son action, de communiquer avec les parents dans un esprit de transparence et d’objectivité. Bien plus, la délégation consentie par les partenaires initiaux ne doit pas être absolue : les familles ont plus qu’un droit de regard sur l’institution scolaire, ils sont nécessairement des partenaires de son action éducative parce qu’ils en sont, de fait autant que de droit, co-auteurs. L’implication des parents, leur droit de participer à la vie des établissements et à être informé de ce qui s’y passe est donc inscrit dans le pacte originel qui les lie à l’institution. La délégation de droit implique en retour un droit de contribution et de regard.
Tout non-respect de l’autorité de l’école par les parents, comme tout défaut d’information ou d’implication des parents par l’école, constituent les actes symétriques et inverses d’une rupture de ce lien de confiance autant que d’engagement par lequel seul le contrat éducatif peut être considéré comme légitime.
Au final donc, les familles délèguent à l’institution scolaire leur droit à éduquer leurs enfants, soumettant ainsi leur autorité parentale à l’autorité instituée, en contrepartie de cinq exigences : la sécurité des élèves et l’inculcation des règles communes, la transmission des savoirs dans une exigence de maximisation des compétences, l’accompagnement personnalisé de chaque élève et la discrimination positive des plus fragiles, l’épanouissement de chaque enfant et l’apprentissage de l’autonomie, l’implication et l’information des parents dans la vie comme dans la gestion des établissements
5 – Paradigme contractualiste, paradigme utilitariste
Afin de mieux saisir les implications et la portée d’une éthique éducative de type contractualiste, seule à même selon nous de donner des bases solides aux politiques éducatives contemporaines et en phase avec les nouvelles exigences sociales, il convient pour clore ce chapitre de systématiser l’analyse comparative entre les paradigmes antagonistes de l’utilitarisme et du contractualisme.
L’un comme l’autre, tout d’abord, proposent des conditions d’analyse permettant clairement d’évaluer moralement toute décision éducative pertinente. L’utilitarisme de Sidgwick, en proposant cette hypothèse interprétative du « spectateur impartial », permet ainsi de discriminer les désirs socialement recevables – en termes d’intensité de satisfaction, de généralisation des attentes… – de ceux qui ne le sont pas. Avec la fiction du voile d’ignorance, Rawls offre quant à lui à la pensée contractualiste ce qui lui manquait auparavant : à savoir une identification simple et réaliste de ce que peut être une volonté général conforme aux intérêts particuliers et choisie librement par eux. On peut d’ailleurs souligner la proximité conceptuelle de ces deux artifices, tant dans la forme que sur le fond : il s’agit en effet pour chacun de concevoir abstraitement une figure idéale de citoyen dégagé de ses intérêts spécifiques et de ses désirs trop particuliers.
Sur la base de ces deux représentations contextualisées, les critères de ces deux visions éthiques se différencient nettement.
L’utilitarisme propose pour l’école une norme de référence qui externalise le bénéfice attendu. En effet, « le plus grand bonheur du plus grand nombre d’élèves » visant à maximiser les gains collectifs, rapporte à la société et au monde économique la charge de valider la satisfaction ultime de la réussite éducative. Est éthiquement conforme une organisation scolaire qui permet la réussite du plus grand nombre possible d’élèves en maximisant au final les ressources et les avantages induits pour tous. La collectivisation des gains attendus disqualifie toute prise en compte des « coût marginaux » payés par les élèves en échec.
A l’inverse, le critère de la logique contractualiste se centre sur ces élèves défavorisés en induisant une empathie naturelle – par le voile d’ignorance – de chaque partenaire à leur égard. Le critère éthique de ce schéma est alors celui de la réussite de tous les élèves et de la répartition la plus équitable des moyens – équité signifiant ici, non que l’on donne la même chose à tous, mais au contraire que l’on corrige par une politique de redistribution compensatoire les manques des plus défavorisés. Dans cette seconde hypothèse, on sacrifie ainsi potentiellement un gain collectif supérieur attendu à une exigence de réussite pour tous.
Les objectifs respectifs de ces deux paradigmes renvoient alors à une authentique scission historique.
Le paradigme utilitariste de l’école s’inscrit en effet très nettement dans l’esprit des origines de l’institution scolaire : lorsqu’il s’agissait de former les meilleurs à l’excellence la plus haute et lorsque l’école avait avant tout pour mission de sélectionner ces élèves les plus méritants. L’objectif était clairement ici celui de la méritocratie républicaine, ayant pour valeur l’excellence scolaire. Toute autre est la fin recherchée avec le paradigme contractualiste qui correspond à la période de la massification des publics accueillis. L’école ne doit plus servir l’utilité commune par la formation d’une élite susceptible de conduire le pays au bonheur le plus élevé dans un contexte économique de plein-emploi, elle doit éduquer tous les enfants dans l’objectif de construire une économie de la connaissance à une époque où les emplois non qualifiés tendent à disparaitre et dans un contexte de chômage de masse.
La fin recherchée est bien celle de la massification, de l’accompagnement de chaque élève et de la lutte contre tout décrochage scolaire. La valeur centrale est alors celle de l’inclusion, critère ultime de la justice scolaire : tous les enfants ont leur place dans l’école de la république, il appartient à l’institution scolaire de s’adapter aux profils et aux difficultés des élèves. Ce n’est donc plus à l’élève, à l’inverse, de s’adapter ou de s’exclure par lui-même du système, c’est bien au système éducatif qu’il incombe de prendre en charge cette variété des publics. On parle ainsi de « révolution copernicienne ».
En conclusion de cette analyse sur les fondements d’une éthique éducative, le paradigme contractualiste est donc le seul qui soit à même de garantir un cadre conceptuel compatible avec les exigences sociales et politiques de l’école contemporaine.
Tout le problème est alors de constater que l’utilitarisme continue cependant à induire ses effets par de multiples voies détournées et qu’il perdure surtout dans les mentalités et les idéologies dominantes de notre culture éducative – alors même que l’école est officiellement celle de l’inclusion.
La question centrale de notre crise scolaire est donc bien celle des écarts existants entre d’une part les attendus impliqués par le contrat éducatif et d’autre part la réalité des pratiques comme la littéralité des politiques éducatives. Cette analyse conduit ainsi à bien mesurer la nature de ces distorsions entre les objectifs proclamés d’une école inclusive et la réalité scolaire vécue par les élèves et portée par les personnels dans les établissements. C'est ainsi dans ces interstices et ces écarts que se nouent les fils multiples d'une injustice scolaire directement induite des conflits normatifs.
[1] Art L111 - 1
[2] PISA notamment
[3] John Rawls : Théorie de la justice
[4] Rawls, op. cit.
[5] Hobbes, Léviathan.
[6] Sidgwick, The methods of ethics
[7] Rousseau, Du contrat social.
[8] Rawls, Op cit.
Jean-Christophe Torres
Dernière modification le dimanche, 24 février 2019