Le soutien de ces élèves au Québec n’est qu’à ses balbutiements, mais il y a tout lieu d’espérer voir naître de nouveaux programmes à leur intention en raison notamment des demandes de plus en plus pressantes des parents qui cherchent des écoles capables de répondre aux besoins de leur jeune allumé.
Les difficiles débuts de la recherche au Québec
Si les études sur les enfants surdoués ou précoces en France et doués [gifted child] aux États-Unis datent de plus d’un siècle, il en va tout autrement au Québec. Le professeur émérite de l’UQAM et père du mot « douance » (1980), Françoys Gagné, est à l’origine du modèle différenciateur de la douance et du talent [MDDT](1) (1983, 2003, 2020) reconnue internationalement. Son modèle présente les domaines mentaux et physiques de la douance qui, pour qu’ils se manifestent, doivent être stimulés par des catalyseurs (déclencheurs) environnementaux ou intrapersonnels.
Dans ce même tableau, Gagné (2003) distingue les deux concepts - douance et talent - par les définitions suivantes :
La douance désigne la possession et l’utilisation d’habiletés naturelles remarquables, appelées aptitudes, dans au moins un domaine d’habileté (intellectuel, créatif, social, perceptuel ou moteur), à un degré tel qu’elles situent l’individu au moins parmi les 10 % supérieurs de ses pairs en âge.
Le terme talent désigne la maîtrise remarquable d’habiletés systématiquement développées appelées compétences (connaissances et habiletés pratiques), dans au moins un champ de l’activité humaine (scolaire, arts, sports, etc.), à un niveau tel que l’individu se situe parmi les 10 % supérieurs de ses pairs en âge, actifs ou ayant été actifs dans ce champ. (2)
Le professeur Gagné a connu une brillante carrière à l’étranger au détriment de l’accueil sévère que les syndicats, la CEQ en tête, lui ont réservé lors du premier colloque international sur la douance tenu à Montréal dans les années 80. Il s’est fait objecter que les enseignant.e.s avaient assez de s’occuper des élèves à besoins particuliers sans devoir s’occuper des privilégiés de la société. Il ne fallait vraiment pas comprendre les enjeux d’apprentissage de ces élèves pour invoquer un tel cliché.
Heureusement, depuis près d’une dizaine d’années le Québec a vu naître des associations telles que l’Association québécoise pour la douance, Haut potentiel Québec, le CIDDT (Centre Intégré de Développement de la Douance et du Talent).
L’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), sous la direction de la professeure Line Massé, a développé un MOOC sur l’éducation des élèves doués et le CADRE 21(Centre d’animation, de développement et de recherche en éducation pour le 21e siècle) offre aussi une autoformation en ligne intitulée Engager l’apprenant à haut potentiel.
Des stéréotypes persistants
Les stéréotypes sont persistants quand il est question de douance. D’aucuns s’imaginent des jeunes à lunettes, les cheveux ébouriffés, plongés dans leurs livres ou leur ordinateur, coupés de toutes relations sociales, provenant de milieux aisés et performants à l’école. Des petits Einstein, quoi ! Pourtant, il n’y a rien de plus faux.
« La seule chose que les enfants doués ont en commun est leur grande capacité à saisir les concepts et à établir des liens », explique Mary Slade, professeure au Département d’enseignement aux élèves ayant des besoins particuliers de l’Université James Madison, en Virginie. « À part ça, ces élèves sont aussi différents les uns des autres que dans n’importe quel autre groupe d’enfants » (3) precise-t-elle.
Françoys Gagné abonde dans le même sens en soulignant des nuances importantes sur le plan scolaire.
« Le signe le plus distinctif de la présence de douance est la facilité, donc la rapidité à apprendre, quel que soit le domaine. Dans le contexte scolaire, les élèves doués et talentueux sont ceux qui possèdent des compétences dans une ou plusieurs matières généralement maîtrisées par les élèves plus âgés qu’eux d’au moins deux ans. (4)
Loin d’être un cadeau [gift] la douance soulève un lot de défis quant à la façon d’aider ces élèves comme le souligne la neuropsychologue pédiatrique Carine Doucet de l’Association québécoise des neuropsychologues.
« Pour être doué, il ne s’agit pas uniquement d’avoir un QI élevé. L’enfant doué traite les stimuli différemment, ressent les choses avec intensité et réfléchit selon un mode différent de la moyenne des gens. Considérant que ses façons d’être et de penser soient différentes de la majorité, l’enfant doué demeure à risque de développer des difficultés d’adaptation, un manque de motivation scolaire, des symptômes anxio-dépressif, un manque d’attention. » (5)
Le grand malheur des élèves doués (et de leurs parents) se manifeste souvent au moment de la rentrée scolaire.
Rapidement surgit un sentiment de décalage avec les pairs de la classe qui apprennent moins vite, qui ne font pas les connexions entre les apprentissages, qui ne partagent pas les mêmes intérêts. Le décalage cognitif entraîne souvent de l’ennui voire de l’aversion envers l’école. Combien d’enfants manifestent à leurs parents leur soif d’apprendre qui n’est pas assouvie à l’école ? Ils ne sont pas rares les enfants qui font des crises pour rester à la maison et qui pleurent au retour de l’école, parce qu’ils ont l’impression d’y perdre leur temps.
Pourquoi différencier ?
Les élèves doués, bien que différents les uns des autres, partagent certaines caractéristiques facilement observables à la maison ou en classe. Les principales manifestations (12) qu’un parent ou un enseignant.e pourrait observer sont la curiosité, l'intensité, une grande sensibilité, la créativité, un grand engagement, de même qu’une grande concentration, une grande mémoire, une pensée abstraite, des apprentissages rapides, un sentiment de décalage avec les pairs, une pensée en arborescence et un sentiment d’ennui à l’école.
Ces élèves ne partagent pas toutes ces caractéristiques et ne vivent pas tous leur douance avec la même intensité. Ainsi, l’élève qui réussit bien (type brillant) s’adapte mieux à l’école en autant que sa douance et sa curiosité soient stimulées; alors que l’élève avec un profil de décrocheur ne trouvera pas sa place en classe. Pour accompagner ce dernier, il importera de travailler son engagement à l’école et d’insister sur le sens de ses apprentissages afin de stimuler sa motivation. Si le premier a besoin de différenciation d’ordre cognitif, il sera essentiel d’investir l’aspect affectif du second.
Les chercheurs Betts et Neilhart (2010) ont élaboré une typologie des élèves à haut potentiel selon six grands regroupements. Cette typologie permet de mieux saisir l’élève qui est devant nous.
Maintenant, comment négocier avec les élèves doués qui remettent en cause les consignes de l’enseignant.e ou qui ne cessent de questionner le pourquoi des réponses qu’on lui fournit ?
Ces élèves au profil provocateur indisposent souvent les enseignant.e.s, mobilisent beaucoup de temps en classe et peuvent même perturber le climat du groupe. Comment différencier son enseignement pour répondre aux besoins d’un tel élève ? Il faudra engager cet élève dans des défis ou des projets où il aura l’occasion de creuser les sujets qui le passionnent. Ce jeune ne se contente pas du « par cœur », car il a une grande soif d’apprendre et d’aller en profondeur dans ses apprentissages. Il importe donc de connaître les sujets qui le passionnent pour développer sa motivation et sa grande curiosité; autrement il perdra le désir de travailler.
Cela c’est sans parler des élèves doués doublement exceptionnels (2E), c.-à-d. des élèves qui affichent un profil de douance tout en ayant un trouble d’apprentissage ou de comportement.
Ce type d’élève pose son lot de défis, car le trouble peut être tel qu’il masquera le profil de douance. Un jeune avec un TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec/sans Hyperactivité) ou encore un problème des fonctions exécutives sera pris en charge pour développer des stratégies afin d’aider sa concentration ou son organisation : ce qui est très bien. En revanche, si le profil de douance est ignoré, il sera plus difficile de remarquer des progrès significatifs chez l’élève. L’inverse est tout aussi vrai pour l’élève qui manifeste clairement un profil de douance au point de camoufler un trouble d’apprentissage. Cet élève réussira plus ou moins bien à cheminer dans ses études selon l’intensité de son trouble associé et les stratégies d’évitement, souvent inconsciemment développées, pour contrer les difficultés. Le repérage de la double exceptionnalité relève de spécialistes formés en sciences neurodéveloppementales de l’apprentissage, comme les psychologues et les neuropsychologues.
Pour sa part, Joseph Renzulli, professeur émérite de l’Université de Connecticut et théoricien de la douance, préconise une pédagogie basée sur l’investigation plutôt qu’une pédagogie traditionnelle pour stimuler le plein développement des élèves doués.
« Offrir une pédagogie inductive, d'investigation et basée sur l'investigation plutôt que la pédagogie traditionnelle. La forme d'apprentissage déductive, didactique et prescriptive est un objectif majeur des programmes d'éducation des surdoués d'aujourd'hui. L'accent est mis sur l'application des connaissances et du savoir-faire au monde réel. [Proposer des] problèmes et situations d'une manière qui modélise le modus operandi du professionnel en exercice, même si à un niveau plus junior que celui des experts adultes. Cette approche augmente la collaboration, la coopération, le développement des capacités de réflexion et de la créativité, la construction de modèles, les contributions scientifiques et artistiques et la préparation de publications et d'autres produits créatifs. (7)
Enfin, le CADRE 21 propose une pyramide des interventions à l’école pour bien intégrer les apprenants à haut potentiel en classe régulière (8).
L’autoformation présente aussi une série d’interventions et d’actions concrètes destinées au personnel enseignant pour mieux soutenir ces élèves. Il est spécifié qu’il importe d’abord de prendre connaissance du profil de l’élève et de ses besoins, afin de contribuer à identifier les moyens d’accompagnement. Les méthodes de différenciation s’avèrent essentielles avant même de recourir à d’autres stratégies qu’on inscrira dans un plan d’accompagnement (PA) ou un PI. On observe au moment d’élaborer le plan d'intervention, qu’il est souvent proposé de recourir à l’enrichissement, de compresser les apprentissages ou encore d’accélérer le parcours scolaire (saut de classe d’une matière ou saut d’une année complète).
Les élèves à haut potentiel peinent encore à trouver leur place dans le système scolaire québécois en raison, trop souvent encore, de la méconnaissance de leur singularité.
Quelques rares écoles offrent des programmes spécialement dédiés aux élèves doués, certaines proposent de l’enrichissement (programmes, activités ou mentorat), d’autres accélèrent le parcours scolaire au secondaire en l’offrant sur 4 ans au lieu de 5. Le ministère de l’Éducation du Québec a publié le fascicule « Agir pour favoriser la réussite éducative des élèves doués » pour sensibiliser les acteurs scolaires à cette réalité, mais rares sont encore les milieux où il se fait de la réelle différenciation, un réel accompagnement pour accueillir ces jeunes.
En attendant, ces élèves cherchent leur place et rêvent de pouvoir développer leur plein potentiel comme n'importe quel autre élève.
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1- Gagné, Françoys. (2020). Illustration détaillée du MDDT. LE MDDT : Au cœur de ma carrière professionnelle en développement de talents. MDDT = Modèle Différenciateur de la Douance et du Talent. Repéré à https://gagnefrancoys.wixsite.com/dmgt-mddt/le-mddt-en-fran%C3%A7ais-1
2- Gagné, Françoys. (1983). « Douance et talent : deux concepts à ne pas confondre. » Revue Apprentissage et socialisation. 6, 146-159.
3 Slate, Mary. (Cité dans) « Enseignement aux élèves doués ». Pour parler profession : La Revue de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. Repéré à https://pourparlerprofession.oeeo.ca/mars_2012/features/teaching_the_gifted.aspx#:~:text=%C2%ABLa%20seule%20chose%20que%20les,trois%20livres%20portant%20sur%20l'
4 Gagné, Françoys. (Cité dans) CSMB. « Cadre de référence de la politique des élèves doués et talentueux 2010-2011 ». Repéré à http://hautpotentielquebec.org/ressources/Cadre-de-reference-Politique-des-eleves-doues-et-talentueux.pdf
5 Doucet, Carine. Association québécoise des neuropsychologues. « Douance : dépister, comprendre et accompagner ». Repéré à https://aqnp.ca/documentation/developpemental/douance/
6 Betts, G. et Neihart, M. (2010). Profiles of the gifted, talented, creative learners. Repéré à https://uncw.edu/ed/aig/documents/2017/profiles%20of%20the%20gifted%20talented%20and%20creative.pdf
7 Renzulli, J. (2021). The Major Goals of Gifted Education And Talent Development Programs. Academia Letters, Article 2585. Repéré à https://www.academia.edu/50726152/The_Major_Goals_of_Gifted_Education_And_Talent_Development_Programs
8 CADRE 21 Apprenants à haut potentiel : Actions concrètes. (Niveau Architecte). Repéré à https://www.cadre21.org/groupe-de-cours/engager-lapprenant-a-haut-potentiel/
Dernière modification le mercredi, 14 décembre 2022