Alors que le marché mondial de l'or noir connaît des variations rythmées par les conflits, les guerres commerciales, ou la spéculation, la poursuite de l'utilisation massive de cette matière première (et d'autres) fait débat tant sur l'impact économique de la raréfaction de la ressource que sur les effets de son utilisation déraisonnable (accumulation de gaz à effet de serre, pollution par les déchets en matières plastique...).
La dépendance au pétrole et à ses dérivés est d'autant plus prégnante que leur remplacement, timide, fait face à des problèmes techniques ou aux effets délétères des solutions de substitution sur l'environnement. Les résistances sociologiques limitent aussi les perspectives d'une réduction significative de leurs usages dans les pays développés comme dans les grandes puissances émergentes faute d'une gouvernance mondiale consensuelle.
« Préhistoire » et histoire du pétrole et des ses usages
Les premiers usages du pétrole datent de l'Antiquité dans des régions du globe où « huile de roche » affleure naturellement à sa surface ou dans des puits forés pour extraire de l'eau potable ou de la saumure. En Mésopotamie, en Egypte, en Grèce, en Chine, en Roumanie... on extrait du pétrole qui est utilisé pour l'éclairage, le calfatage des bateau ou pour d'hypothétiques propriétés médicinales. D'autres extractions et usages ponctuels sont rapportés en Iran, en Italie, en Pologne et en Amérique du Nord.
L'intérêt pour le pétrole et sa recherche méthodique émerge à partir de 1850 alors que l'huile de baleine, qui sert à l'éclairage, vient à manquer. Les premières industries pétrolières voient le jour en Roumanie puis en Allemagne. C'est par la technique de forage qu'il a inventé que Drake donnera le coup d'envoi de l'exploitation aux États-Unis, en Pennsylvanie puis dans d'autres états, et d'autres pays : outre la Pennsylvanie la ruée vers l'or noir touche aussi l'Alberta, la Californie, et de l'autre coté de l'Atlantique, la Transylvanie, la Pologne et Azerbaïdjan.
Le marché est principalement représenté par l'éclairage (pétrole lampant) et par quelques usages traditionnels comme l'étanchéité (goudrons) et les lubrifiants dont la demande croit avec l'avènement de la mécanisation de l'industrie. Face à cette demande de faible élasticité, les hausses de productions par la mise en service de nouveaux gisements provoquent les premières fluctuations de prix de grande amplitude.
L'extraction le transport et le raffinage du pétrole a vu émerger des acteurs puissants comme la Standard Oil de J. Rockfeller aux Etats Unis, les britanniques BP en Iran et Shell sur le marché asiatique ainsi que la Royal Dutch néerlandaise à Sumatra. Dans dernier quart du XIXème siècle le pétrole est aussi activement exploité dans l'empire russe, à Bakou, où les frères Nobel investissent suivis par les Rothschild.
L'invention de l'éclairage électrique donne un coup de frein au développement de la production et de la transformation mais le déclin sera de courte durée car de nouveaux marchés apparaissent. Les navires à vapeur remplacent le charbon par du fuel, moins volumineux et plus pratique. A l'aube du XXème siècle l'automobile et sa production de masse, prélude du consumérisme moderne, entraînera la progression fulgurante de la production mondiale de pétrole qui passe de 200 tonnes à plus de 4.500 millions de tonnes entre 1858 et 2018.
Si les transports représentent la majeure partie des débouchés des produits pétroliers (60 % en 2015) on ne saurait oublier
-la multitude de produits qu'il permet de fabriquer, produits qui sont devenus omniprésents dans notre vie quotidienne (matières plastiques, textiles, caoutchouc synthétique, colorants),
-les engrais de synthèse, et les produits phytosanitaires utilisés dans l'agriculture,
-les produits intermédiaires pour les industries chimiques et pharmaceutiques.
Pétrole enjeu politique et économique mondial
Dès le début du XXème siècle le pétrole devient une matière première stratégique. Le contrôle de gisement et des voies d'acheminement donnent le « La » de la géopolitique du pétrole sous tutelle européenne puis américaine jusqu'à la fin des années 60.
En 1970, la production de pétrole des États-Unis atteint un « pic de production», prédit par le géophysicien Marion King Hubbert. Importateurs nets de pétrole depuis 1949, les Etats-Unis voient leur production diminuer pour la première fois, et doivent d'importer des quantités inhabituelles de pétrole. La même année les États unis décident de mettre fin à la convertibilité du dollar en or ce qui affaiblit le dollar et dégrade les revenus des autres pays producteurs dont les échanges sont libellés dans cette monnaie. La guerre du Kippour leur fournira l'occasion de réduire leurs productions et d'augmenter leurs prix brutalement. Le monde « encaisse » le premier choc pétrolier en 1973. La révolution iranienne et la guerre Irak-Iran conduira au deuxième choc de 1979. La crainte de manquer de pétrole incite les pays occidentaux à réduire la consommation d'un produit importé dont le coût impacte leur balance commerciale. C'est le début des économies d'énergie et, en France, du programme électro-nucléaire lui donnant une indépendance énergétique relative sur fond de contestation récurrente.
Le pétrole cher ne le restera pas longtemps car, voyant que l'URSS devient le premier producteur mondial, les États-Unis prennent conscience que c'est leur principal ennemi qui profite de la flambée des cours. En 1983 ils arrivent à convaincre l'Arabie Saoudite et le Koweït de relever le niveau de leurs productions ce qui entraînera l'augmentation des productions des autres pays qui craignent de perdre leur part de marché. La surproduction mondiale qui en résulte déclenchera le contre-choc pétrolier de 1986.
Au cours des trente dernières années l'histoire pétrolière, mouvementée, s'est traduit par une augmentation de la production et de la consommation mondiales. Les prix du baril ont suivi un mouvement yoyo, rythmés par l'invasion du Koweït par l'Irak en 1990, la crise asiatique de 1997, la crise du Proche Orient et les troubles sociaux du Venezuela en 2004, la crise mondiale de 2008, le conflit Libyen en 2011 et le ralentissement de l'économie depuis 2015. Pendant ce temps la production continue de croître avec un poids relatifs des acteurs du « camp » des producteurs qui évolue (États-Unis, Canada, Venezuela, Angola, Brésil) alors que les consommations croissantes de la Chine et de l'Inde masquent les réductions de consommation d'autres « gros » consommateurs et impactent les variation de prix.
L'action des puissances occidentales, principalement, pour contrôler les ressources en or noir, autant que les effets des conflits ou des crises (conjugués à ceux de la spéculation) sur le prix de cette ressource naturelle montrent qu'elle est un enjeu planétaire majeur.
Pic ou pas, pour quand ?
La théorie du pic développée fois par Marion King Hubert en 1956 part du principe que lorsque la consommation d'une ressource non renouvelable dépasse les quantité découvertes cela se traduit par un pic de production. Cette théorie s'est momentanément avérée exacte en 1970 pour être ensuite infirmée après la découverte de nouveaux gisements exploitables dans le Golfe de Mexique , en Alaska, etc.
Quoi qu'il en soit, prédire la date d'un épuisement des ressources est un exercice difficile, à renouveler régulièrement. Les réserves de pétrole « accessible » dépendent des techniques mises en œuvres pour les exploiter et, finalement, du prix du pétrole qui conditionne leur rentabilité. Avec un prix de pétrole au dessus de 50-60 $ (selon les gisements) l'exploitation du pétrole « non conventionnels » (pétrole de schiste, ... ) est possible. C'est ce qui a permis au États-Unis de retrouver la place de premier producteur mondial, avec 571millions de tonnes en 2018. Le coût élevé de l'or noir incite aussi à la recherche de ressources énergétiques de substitution qu'elles soient « propres » ou non. En 2018 le pétrole représente 34 % de l'énergie primaire consommée dans le monde (46,2 % en 1973).
Face à la théorie discutée du pic de production apparaît l'idée que la demande de cette ressource va cesser de croître (Peak Oil demand) à une date qu'il tout aussi difficile de prédire. Toutefois la pénétration, encore balbutiante, du marché automobile par des véhicules électriques (qui pose d'autres problèmes de ressources : métaux, lithium, terres rares...), et la batterie d'initiatives prises pour lutter contre le réchauffement climatique impacteront progressivement la consommation d'or noir.
Le défi n'est plus technologique mais politique car c'est le comportement de l'homme qui doit changer avec de profondes modifications de sa consommation tant sur le plan qualitatif que sur le plan quantitatif. En 2005, Sheikh Zaki Yamani, alors ministre saoudien du pétrole déclarait : "L'Âge de Pierre ne s'est par terminé faute de pierres, et l'Âge du pétrole se terminera bien avant que le monde ne manque de pétrole". La question est quand !
Dernière modification le jeudi, 23 mai 2024