Et là bien sûr l’angoisse.
Celle qu’ils ne profitent pas de ce cadeau. Celle de voir leur attention s’éparpiller.
Et puis l’observation et la collecte.
Lionel donne et montre plein d’exemples de la culture du remix en reliant chacun d’entre eux à un point juridique précis (exceptions, fair-use, etc.). Et les étudiants "partagent" ces exemples sur leurs comptes (FB et Twitter principalement), tout en assurant une prise de note informatique. En parallèle du "cours" et des conversations et questions "en présentiel", s’instaure doucement un nouvel espace "d’échange" : et vas-y que je te like le clip dont le prof vient de parler, et vas-y que je t’ajoute en commentaire la raison pour laquelle il en a parlé, et vas-y que j’en profite pour noter que ce cours où on mate du Beastie Boys, et des mash-ups et ben "il est cool", "surtout pour un vendredi". Bref, ça papote mais l’attention, d’aussi loin que je puisse en juger, reste au moins équivalente à celle d’un cours "normal", sans ordinateurs et sans matériau multimédia.
Et à la périphérie de cette attention et de ces pratiques, s’installe alors et se supperpose un nouvel espace de discours et d’appropriation : les "amis" des étudiants qui relaient des morceaux du cours sur Facebook ou les "followers" de leur compte Twitter qui commencent aussi parfois à interagir. S’ouvre une externalité supplémentaire : au-delà des 15 étudiants de la promo présents physiquement et sur les réseaux, c’est un collectif impalpable qui apprend plein de trucs : par exemple que si la durée des vidéos Vine est limitée à 6 secondes, c’est suite à un procès à l’encontre d’un morceau des Beastie Boys qui avaient "cité" 3 notes de flûte tournant en boucle pendant 6 secondes et venant de la crétion d’un autre compositeur, lequel les avait donc attaqué en justice, et les Beastie Boys ayant fait jouer un argument "a minimalis" : la justice n’a pas à s’occuper de choses "insignifiantes", en l’occurence les fameuses 6 secondes. Et les créateurs de Vine qui disent avoir cette jusrisprudence en tête quand il leur faut choisir la durée de leur vidéo. Le genre de truc qui cumulé à plein d’autres, fait que vous auriez vraiment tort de ne pas embaucher votre futur community manager dans cette licence, parce qu’il ne sera pas que capable de compter des like et de les corréler au reach de vos posts dans une matrice excel, il/elle aura une vraie culture des réseaux. Bref.
So What ?
J’avoue être perplexe et n’avoir plus aucune position dogmatique sur l’opportunité d’autoriser ou d’interdire les ordinateurs connectés en cours. J’ai simplement constaté ce vendredi que cela pouvait aussi être l’occasion d’un partage, d’une transmission au-delà des seuls murs de la salle de cours, l’occasion également de nouvelles formes de documentations académiques et personnelles, les infos du cours (académique) étant reproduites et documentant les profils (personnels) des étudiants. On observe également que ces pratiques sont un "prétexte" et une amorce à la remise en circulation de contenus documentaires inattendus, sous une forme proche d’une remobilisation des connaissances.
Exemple concret :
On est ici dans le groupe Facebook (privé) des étudiants de la licence, à l’intérieur duquel l’une d’entre elles exhume un ancien cours de droit qu’elle remet donc, à l’occasion du cours d’aujourd’hui, à la disposition de ses camarades. Entre "prétexte" (pré-textes) et postface(book)s, l’espace de la médiation du cours s’installe.
Documentation également rétrospective et égotiste pour l’intervenant du jour qui dans son train de retour, pourra constater à quel point il a mis "dans le mille" et réussi à intéresser et à mobiliser une attention de nature certes différente et plus diffuse que celle d’un cours "classique" mis peut-être également, en la matière, plus féconde.
Et là vous me dites, "oui mais s’il avait été mauvais prof et s’il avait parlé de trucs chiants hein ? Du coup ils auraient fait rien qu’à twitter des âneries et des infos sans aucun rapport avec le cours. Et de toute façon, même là, je suis sûr que y’en a qui ont fait tout autre chose que de l’écouter." Oui ben vous avez raison. Y’en a qui. Y’en aura toujours qui. Mais y’a aussi les autres. Quand même.
Légitimer les participations périphériques. #oupas.
Au-delà de ce qui n’est qu’un exemple, qu’une expérience trop marquée par un contexte donné lui même soumis à trop de biais (le bon intervenant, le bon sujet, etc.), je suis de plus en plus intimement convaincu que l’avenir de l’enseignement universitaire, bien davantage que par les Moocs, passera par notre capacité à catalyser, à capitaliser et à rationnaliser l’émergence de ces nouvelles documentations périphériques dans le cadre d’une attention qui pour en être plus diffuse et plus flottante, moins "adressée", n’en est pas pour autant moins légitime ou que nous ne devons en tout cas pas faire l’erreur de percevoir comme délégitimante. Bref, trouver les moyens d’un apprentissage qui légitime les participations périphériques. Rien de neuf sous le soleil.
La question clé est aujourd’hui celle de "l’adressage" d’un cours.
A qui s’adresse-t-on réellement ? S’il ne s’agit que des étudiants physiquement présents, sauf cas particulier, je suis de plus en plus convaincu des arguments signalés chez Jean-Michel Salaun, et serais donc partisan - à l’inverse de ce que j’écrivais pourtant ici - de ne pas autoriser les ordinateurs / tablettes ou, idéalement, de pouvoir les restreindre, les "adresser" vers - par exemple - un outil de prise de note collaboratif en ligne explicitement intégré au dispositif du cours. Car tous les cours, à l’inverse de celui que j’ai pris en exemple ne se prêtent pas à une résonance sociale, loin s’en faut.
Oui mais bon quand même, c’est plus compliqué que ça.
Car cette première question en soulève une seconde : quel est aujourd’hui le sens d’un cours qui ne s’adresserait qu’aux personnes physiquement présentes ? Et comment organiser les temporalités et les périphéries de la simple transmission de connaissances d’une part, et du partage, de l’appropriation et de la documentation enrichie des mêmes connaissances d’autre part ? Le numérique nous a installé dans une synchronisation d’activités jadis nécessairement distinctes (en l’occurrence la prise de note, l’assiduité attentionnelle pendant un cours, la révision et l’assimilation du cours, le partage ou la réappropriation du cours, la documentation du cours, etc.). Le numérique, les NTIC NTAD (Nouvelles Technologies de l’Attention et de la Distraction), postulent que les activités d’écoute, de publication, de partage, d’indexation peuvent être synchrones. Plus que jamais un cours est d’abord une manière de briser cette synchronie pour définir et mettre en place des activités cognitives d’apprentissage capables de s’abstraire de celle imposée par les outils et les pratiques plutôt que de s’y soumettre aveuglément. Mais installer de l’a-synchronie ne veut pas dire refuser toute synchronicité, plutôt tenter d’en proposer de nouvelles.
"Faire" ou "donner" un cours ??
Et la troisième question est d’ordre purement sémantique. On "prépare un cours". Ensuite on "fait cours". En réalité on "dit" un cours davantage qu’on ne "fait" un cours, mais tout en déposant quelques bougies sur l’autel de la performativité on invoque le mantra d’Austin ("quand dire c’est faire"). Et la plupart du temps on se contente de "donner un cours". Pardon de faire un instant dans l’analyse sémantique à 2 francs 6 sous, mais "donner un cours" n’est pas une expression neutre. Il y a réellement quelque chose dans cette activité qui relève de l’économie du don. De l’autre côté de la barrière attentionnelle (les étudiants donc), on "va en cours", on "assiste à un cours". Et parfois certains d’entre eux, certains étudiants, "assistent un cours", ils le complètent, le documentent, y contribuent de manière synchrone ou asynchrone. Et 1 fois sur 100, au-delà du cours, du prof et des étudiants devant lui, un truc étrange se produit : une sorte "d’intelligence assistée." Et tout le monde est content.
#justforfun or #justforfreak
Quand nous aurons trouvé la réponse à cette question de savoir s’il faut ou non, et comment, autoriser la présence d’ordinateurs connectés dans les amphis, il sera de toute façon trop tard. Trop tard car de nouveaux dispositifs seront apparus, dans le cadre de l’essor du quantified self et des objets connectés. Lesquels dispositifs permettront de disposer de métriques attentionnelles en temps-réel et que ces métriques pourront être directement associées à la validation (ou non validation) du cours. Et il nous faudra alors répondre à de bien plus embarassantes questions.
A noter : Qu’est-ce que l’identité numérique ? par Olivier Ertzscheid
Dernière modification le mercredi, 03 septembre 2014
On est ici dans le groupe Facebook (privé) des étudiants de la licence, à l’intérieur duquel l’une d’entre elles exhume un ancien cours de droit qu’elle remet donc, à l’occasion du cours d’aujourd’hui, à la disposition de ses camarades. Entre "prétexte" (pré-textes) et postface(book)s, l’espace de la médiation du cours s’installe.
Documentation également rétrospective et égotiste pour l’intervenant du jour qui dans son train de retour, pourra constater à quel point il a mis "dans le mille" et réussi à intéresser et à mobiliser une attention de nature certes différente et plus diffuse que celle d’un cours "classique" mis peut-être également, en la matière, plus féconde.
Et là vous me dites, "oui mais s’il avait été mauvais prof et s’il avait parlé de trucs chiants hein ? Du coup ils auraient fait rien qu’à twitter des âneries et des infos sans aucun rapport avec le cours. Et de toute façon, même là, je suis sûr que y’en a qui ont fait tout autre chose que de l’écouter." Oui ben vous avez raison. Y’en a qui. Y’en aura toujours qui. Mais y’a aussi les autres. Quand même.
Légitimer les participations périphériques. #oupas.
Au-delà de ce qui n’est qu’un exemple, qu’une expérience trop marquée par un contexte donné lui même soumis à trop de biais (le bon intervenant, le bon sujet, etc.), je suis de plus en plus intimement convaincu que l’avenir de l’enseignement universitaire, bien davantage que par les Moocs, passera par notre capacité à catalyser, à capitaliser et à rationnaliser l’émergence de ces nouvelles documentations périphériques dans le cadre d’une attention qui pour en être plus diffuse et plus flottante, moins "adressée", n’en est pas pour autant moins légitime ou que nous ne devons en tout cas pas faire l’erreur de percevoir comme délégitimante. Bref, trouver les moyens d’un apprentissage qui légitime les participations périphériques. Rien de neuf sous le soleil.
La question clé est aujourd’hui celle de "l’adressage" d’un cours.
A qui s’adresse-t-on réellement ? S’il ne s’agit que des étudiants physiquement présents, sauf cas particulier, je suis de plus en plus convaincu des arguments signalés chez Jean-Michel Salaun, et serais donc partisan - à l’inverse de ce que j’écrivais pourtant ici - de ne pas autoriser les ordinateurs / tablettes ou, idéalement, de pouvoir les restreindre, les "adresser" vers - par exemple - un outil de prise de note collaboratif en ligne explicitement intégré au dispositif du cours. Car tous les cours, à l’inverse de celui que j’ai pris en exemple ne se prêtent pas à une résonance sociale, loin s’en faut.
Oui mais bon quand même, c’est plus compliqué que ça.
Car cette première question en soulève une seconde : quel est aujourd’hui le sens d’un cours qui ne s’adresserait qu’aux personnes physiquement présentes ? Et comment organiser les temporalités et les périphéries de la simple transmission de connaissances d’une part, et du partage, de l’appropriation et de la documentation enrichie des mêmes connaissances d’autre part ? Le numérique nous a installé dans une synchronisation d’activités jadis nécessairement distinctes (en l’occurrence la prise de note, l’assiduité attentionnelle pendant un cours, la révision et l’assimilation du cours, le partage ou la réappropriation du cours, la documentation du cours, etc.). Le numérique, les NTIC NTAD (Nouvelles Technologies de l’Attention et de la Distraction), postulent que les activités d’écoute, de publication, de partage, d’indexation peuvent être synchrones. Plus que jamais un cours est d’abord une manière de briser cette synchronie pour définir et mettre en place des activités cognitives d’apprentissage capables de s’abstraire de celle imposée par les outils et les pratiques plutôt que de s’y soumettre aveuglément. Mais installer de l’a-synchronie ne veut pas dire refuser toute synchronicité, plutôt tenter d’en proposer de nouvelles.
"Faire" ou "donner" un cours ??
Et la troisième question est d’ordre purement sémantique. On "prépare un cours". Ensuite on "fait cours". En réalité on "dit" un cours davantage qu’on ne "fait" un cours, mais tout en déposant quelques bougies sur l’autel de la performativité on invoque le mantra d’Austin ("quand dire c’est faire"). Et la plupart du temps on se contente de "donner un cours". Pardon de faire un instant dans l’analyse sémantique à 2 francs 6 sous, mais "donner un cours" n’est pas une expression neutre. Il y a réellement quelque chose dans cette activité qui relève de l’économie du don. De l’autre côté de la barrière attentionnelle (les étudiants donc), on "va en cours", on "assiste à un cours". Et parfois certains d’entre eux, certains étudiants, "assistent un cours", ils le complètent, le documentent, y contribuent de manière synchrone ou asynchrone. Et 1 fois sur 100, au-delà du cours, du prof et des étudiants devant lui, un truc étrange se produit : une sorte "d’intelligence assistée." Et tout le monde est content.
#justforfun or #justforfreak
Quand nous aurons trouvé la réponse à cette question de savoir s’il faut ou non, et comment, autoriser la présence d’ordinateurs connectés dans les amphis, il sera de toute façon trop tard. Trop tard car de nouveaux dispositifs seront apparus, dans le cadre de l’essor du quantified self et des objets connectés. Lesquels dispositifs permettront de disposer de métriques attentionnelles en temps-réel et que ces métriques pourront être directement associées à la validation (ou non validation) du cours. Et il nous faudra alors répondre à de bien plus embarassantes questions.
A noter : Qu’est-ce que l’identité numérique ? par Olivier Ertzscheid