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discussion sur l’usage pédagogique d’un logiciel social

Une classe pourrait se définir comme la juxtaposition de deux univers, soit celui de l’enseignant investi du mandat de suivre de manière variée la prescription d’un programme scolaire officiel et celui des étudiants composé de singularités, de solidarités, de rythmes et d’intérêts propres à chacun et à la réalité du groupe (1).
Dans ce contexte, il convient de se demander dans quelle mesure il est possible au fil du temps d’assurer l’harmonisation de ces deux mondes dans un objectif de cohésion et de communication humaine efficace.
 
Dans le cas du présent article, nous essaierons de mieux comprendre le rôle que peut y jouer un média social comme Facebook. Notez que nous avons choisi ce logiciel parce que son utilisation s’inscrit déjà dans la culture informatique de plus d’un milliard d’utilisateurs (2), réduisant ainsi l’obligation d’enseigner un nouvel outil de travail aux étudiants, ce qui nous permet par conséquent de centrer notre attention sur des aspects technopédagogiques comme l’apprentissage d’une langue à l’aide du média social, l’animation de groupe, ou encore les parcours d’apprentissage et d’enseignement.
 
Nous ne prétendons pas du tout à l’exhaustivité, mais avons plutôt choisi d’ouvrir la porte au dialogue à partir de l’état actuel de nos récentes expériences terrain et l’élaboration d’une vision encore partielle de la place du média social en L2.
 
 
1- Utilisation libre, spontanée et éducative d’un compte Facebook
 
D’entrée de jeu, nous avons voulu éviter la « dénaturalisation » du média (3)par la transformation de celui-ci en communautés d’apprentissage strictes et en « machine » à transmission d’exercices en ligne, considérant que des Learning Management System (LMS) répondent déjà à de tels besoins. Adoptant plutôt le vieux principe mcluhanien selon lequel les médias constitueraient des prolongements de l’être humain (4), nous avons laissé libre cours à la dimension sociale du média et cru que Facebook révélerait d’intéressantes caractéristiques propres aux membres d’un groupe et au fonctionnement de ce dernier.
 
Conscients toutefois de la cohabitation de plusieurs styles d’apprentissage dans une classe et désireux de rehausser le taux de participation des étudiants dans la communauté virtuelle, nous y avons tout de même injecté des éléments éducatifs plus formels ; et ce, aussi bien suivant des approches pédagogiques traditionnelles que socioconstructivistes dans une vision éclectique.
 
Voici une brève typologie de l’utilisation de Facebook et quelques exemples d’interventions, d’activités ou de formules pédagogiques possibles dans une classe de langue seconde (L2).
 
a) Ludique : Abécédaire collectif sur un thème du cours comme les médias ou la santé ; rallye Internet sur des artistes avec hyperliens vers des chansons et les paroles de celles-ci ; hyperliens vers des vidéos humoristiques, des blagues, etc.

b) Interpersonnel / social : Echanges spontanés entre les étudiants et marquage de photos d’anniversaire et de fêtes de groupes ou de sorties éducatives ; interventions sociales des étudiants comprenant des pensées et des réflexions personnelles (5), des efforts de gestion de conflits interpersonnels ; des encouragements à la persévérance et marques d’appréciation à l’égard de ses pairs ou de l’enseignant, etc. ;

c) Partage de ressources  : les étudiants sont fortement invités à rechercher de l’information ou des ressources audiovisuelles et à les partager à avec la communauté virtuelle ;

d) Utilitaire / organisationnel : Informations sur le cours comme les horaires des présentations orales ou rappel d’autres dates importantes ; échanges entre les étudiants pour la préparation de travaux en équipe ; aide visuelle lors de présentations orales en classe, etc. ; 

e) Projet de classe / interclasse : journal étudiant, radio étudiante, photoroman, outil de jumelage (discussion sur un blogue, etc.), contact interclasse et interniveau, etc. ;

f) Accès à l’information éducative et révision de leçons : liste des hyperliens des exercices de systématisation de points de langues ou des vidéos de YouTube vus pendant la journée ; feuilles de routes comprenant les numéros des pages du manuel scolaire à étudier ou rappel des exercices imprimés à réviser ; ajout de complément d’informations socioculturelles, sous forme de textes ou de vidéos ; etc. ;

g) Publicité / Marketing : sondage de satisfaction de cours et encouragement à y répondre ; offre de services professionnels et promotion d’articles, etc.
Cette typologie non-exhaustive de l’usage de Facebook en L2 illustre bien notre propos. Alors que les deux premières catégories correspondent beaucoup aux habitudes des amateurs des médias sociaux, on peut voir dans les cinq suivantes des intentions beaucoup plus reliées à l’acquisition de stratégies d’apprentissage d’une langue et d’intégration socioprofessionnelle. Le pédagogue peut y lire également une vision éclectique de l’application des approches éducatives. Nous notons que les points a, b et f ont joué un rôle majeur dans la vitalité des membres de la communauté virtuelle. 
 
2- Utilisation complémentaire ou compensatoire à la classe : vers une formule hybride
 
De cette manière Facebook, comme média social au service d’une communauté d’apprenants, répond à de multiples besoins éducatifs.
 
a) Rapprochement entre la culture organisationnelle et le groupe : l’usage de Facebook permet à l’enseignant de mieux connaître la réalité de ses étudiants et de se rapprocher d’eux en y assumant divers rôles normalement attribués au tutorat dans la formation en ligne (6), lesquels oscillent entre diverses formes d’interventionnisme et le non-interventionnisme : animation, modération, facilitation d’apprentissage, observation, etc. Le média social comme Facebook s’impose alors comme outil d’aide à l’harmonisation des cultures de l’enseignant, responsable du programme, et de celle des étudiants, compte tenu de la pluralité des instants d’intervention et de la nature des échanges entre les protagonistes. 

b) Altération de l’espace – temps éducatif : D’une part, les individus, les équipes et même le groupe entier se servent de la communauté dans des tâches situées aux extrêmes de l’approche communicative : la préparation à des activités en classe et le transfert des apprentissages dans leur vie quotidienne (7). L’outil facilite l’établissement de liens entre les activités hors-classe et celles en classe. Il y a, pourrait-on dire, disparition des murs réels entre la salle de classe (8) et les lieux d’apprentissage informels, ce qui augmente d’autant la qualité de l’autoapprentissage des étudiants (9). D’autre part, plusieurs étudiants souhaitent un maintien des liens entre eux après la fin du cours, aussi bien à des fins interpersonnelles que dans la poursuite de leur apprentissage de la langue. La vitalité des participants dans la communauté Facebook se traduit également par une augmentation substantielle du nombre d’heures consacrées par soi-même à l’apprentissage de la L2.

c) Transformation de l’expérience éducative : Nous pourrions assister à l’élimination des devoirs et des leçons au profit de tâches éducatives additionnelles plus signifiantes ou motivantes et mieux négociées avec l’enseignant, souvent enrichies par le dialogue interculturel et intergénérationnel (10) et par le renforcement de la pratique du réseautage. Par ailleurs, nous sommes d’avis que l’usage du média social assure la continuité dans l’apprentissage de la langue, ce qui peut contribuer à la lutte contre le décrochage. En cas d’absence en classe, l’étudiant dispose non seulement de ressources en ligne en lien avec les notions abordées durant le cours, mais aussi du soutien du groupe, lui permettant de faire ainsi du rattrapage et d’être au même niveau que les autres lors de son retour. La force d’attraction exercée par le groupe est telle que des étudiants réfractaires au départ à l’usage du Web 2.0 peuvent au fil du temps s’y initier et cultiver en eux une nouvelle passion.

d) Des parcours d’apprentissage aux parcours d’enseignement : Alors que de leur côté, les étudiants en L2 disposent de « parcours d’apprentissage » construits graduellement au fil du temps par le post de ressources, le même contenu dote l’enseignant des « parcours d’enseignement », en lien avec un programme scolaire précis et une banque de ressources éducatives bonifiées des trouvailles et initiatives des étudiants. En voici quelques exemples : des vidéos sur le toilettage pour animaux ou l’ouverture de salon de coiffure, le fonctionnement d’un moteur d’automobile, de nouvelles règles sur les soins de santé, etc.

e) Riche partage entre professeurs des parcours d’enseignement : Les enseignants se dotent de contenus plus riches par ces parcours d’enseignement qu’ils peuvent réutiliser et bonifier au fil du temps. On peut aussi dire que si deux professeurs ou une communauté de professeurs décident de mettre leur matériel en commun, en plus de tout ce que les étudiants ont pu apporter au contenu de l’enseignant, cela pourrait donner lieu à un contenu assez époustouflant qu’il serait très difficile d’égaler en travaillant seul.
 
Conclusion
 
Exploitée en contexte scolaire, la dimension sociale attribuée à Facebook peut servir la cause de l’harmonisation des cultures de l’enseignant, représentant d’une organisation officielle donnée, et celle de la classe. En L2, l’usage du logiciel social peut favoriser aussi la mise en place d’une formule d’apprentissage hybride, optimisant le plaisir d’apprendre à l’extérieur de la classe dans un contexte d’autoformation. Nous y voyons aussi des avantages en termes de conception de parcours d’apprentissage, mais aussi de parcours d’enseignement ; et pourquoi pas de formation de communauté de pratique élargie à l’international (11) , un volet qui nous intéresse beaucoup et sur lequel nous reviendrons éventuellement.
 
Il est clair toutefois que les avantages présentés dans notre article dépendent de plusieurs facteurs comme la vitalité des interventions des participants et du temps investi par l’enseignant (ou ses aides) dans l’animation de la communauté virtuelle, ce qui n’est pas sans soulever la question de la nécessaire séparation ou non des mondes du travail et du privé* qui alimente bien des débats actuels en psychologie. Tel que mentionné au début de notre article, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité, mais avons plutôt cherché l’ouverture d’un dialogue portant sur l’usage du logiciel social en L2.
 
* Sur la photo : Rachel Malo (à gauche) et Luc Renaud (à droite). Entre les deux, quelques membres de la communauté "virtuelle"... en un lieu bien "réel".
 
Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation, technopédagogue
Collaboration : Rachel Malo, professeure de français langue seconde, spécialiste en linguistique et en évaluation
Photo : Luis Alfredo Rodriguez Martinez
 
 
Références
(1) Groupe Eyrolles, Les clés du fonctionnement d’un groupe,www.didactibook.com/extract/show/10029
(2) Facebook franchit la barre du milliard d’utilisateurs, dans Le monde.fr, 4 octobre 2012http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/10/04/facebook-franchit-la-barre-du-milliard-d-utilisateurs_1770255_651865.html
(3) Luc Renaud (4 mars 2012), Conférence de Marie-Josée Gagnon : Le web 2.0 au service de l’entreprise sociale, dans L’éduc-acteur, le blogue de Luc Renaud http://www.bloguedelucrenaud.com/article-conference-de-marie-josee-gagnon-le-web-2-0-au-service-de-l-entreprise-sociale-100650091.html
(4) Marshall McLuhan (1977) Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, Seuil (v.f. originale en 1968)
(5) Luc Renaud (4 février 2013), Au-delà de l’image et des expressions personnelles, dans L’éduc-acteur : le blogue de Luc Renaud http://www.bloguedelucrenaud.com/article-au-dela-de-l-image-et-des-expressions-visuelles-114963675.html
(6) Élise Garrot-Lavoué, Sébastien George, Patrick Prévôt, Rôles du tuteur, Université de Lyon, INSA Lyon http://liris.cnrs.fr/ elavoue/Workshop_EIAH_Garrot-Lavoue_2009.pdf
(7) L’approche communicative et l’approche par compétences dans l’enseignement du français et des langues, www.editionsdidier.com/files/media_file_3728.pdf
(8) Luc Renaud (10 juin 2012) Baladodiffusion, réalité augmentée, etc. : la mort des salles de classe ? dans Educavox http://www.educavox.fr/innovation/dispositifs/article/baladodiffusion-realite-augmentee
(9) Luc Renaud et Rachel Malo (le 21 janvier 2013) Le Web 2.0 dans une perspective interculturelle et intergénérationnelle, dans Educavox http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/le-web-2-0-dans-une-perspective
(10) Luc Renaud (4 mars 2012), Pédagogie ouverte : autoformation et collaboration, dans Educavox,http://www.educavox.fr/formation/analyses-27/Pedagogie-ouverte-autoformation-et
(11) Luc Renaud (1 mai 2012), Vers la création, par la base, de méthodes d’enseignement et d’apprentissage, dans Educavox http://www.educavox.fr/formation/analyses-27/article/vers-la-creation-par-la-base-de
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)