Alors comment dire l’indicible ?
L’art et la poésie furent pour certains un moyen de témoigner, permettant de transmettre de terribles souvenirs afin de se prémunir contre toute récidive de tels crimes abjects, en d’autres lieux, en d’autres temps. Les deux poèmes lus cette semaine traitent la question du difficile retour à la vie des Déportés, de leur rôle de « passeurs de mémoire » nous transmettant peu à peu le relais, à nous les générations d’après.
Le poème « Lorsque tu es rentré » est lu par Jean-Baptiste BLASSELLE et celui intitulé « Devenir » par Aure-Anne CARRERE-LOUSTAUNAU, élèves du Lycée Sainte-Catherine à Villeneuve sur Lot.
Lorsque tu es rentré
Poème d'André Migdal, Déporté rescapé de Neuengamme
Lorsque lu es rentré
Tu n'as pas pu pleurer
Ton cœur était trop sec
Et tes tourments trop vifs
Pourtant Tu n'étais plus captif
Tes cheveux étaient ras
Tes yeux si creux
Percé jusqu'aux abîmes
Et ton ventre douloureux
Frémissant
A chaque goutte de sang
Ton corps usé jusqu'à la corde
Et tes pensées exacerbées
Tu étais tout cela
Lorsque tu es rentré
Il y avait un siècle
Sous les pieds
Tout était distendu.
Le pavé déchaussé
Le prisme des rues
Exigu balayé
Par une nuit de folie
Une nuit où des hommes avaient
Renié l'humanité
Lorsque tu es rentré
Les autres t’expliquaient
En de savants messages
Ce qu'étaient les combats
Ce qu'étaient les carnages
Et leurs péroraisons
Aussi vides que leurs hommages
Lorsque tu es rentré
Il n'y avait plus d'images
Pour toi
Plus d'air plus de sourire
Plus de terre plus de surprise
Rien qu'un peu de clair et combien
Pétrifiée
Lorsque lu es rentré
Souviens-toi
Les promesses
La fausse tendresse
Les discours les questions
Les honneurs à perdre
La raison
Lorsque tu es rentré
Tu n'as pas pu pleurer
Ta Mère n'était plus là
Pour le comprendre
Pour te consoler
Lorsque tu es rentré
Tu respirais encore
C'est vrai
Mais cela suffisait-il
Après tout ?
Personne n'a jamais su
Que tu portais ce mal irréparable
Imprimé tout au long
De la nuit
Celle peur où la peur
Et la mort
Avaient fleuri ton corps
Lorsque lu es rentré
Il fallait réapprendre
À marcher
À manger
À dormir
À aimer
À sourire
Devenir
Poème de Jacques Grebol, Déporté Résistant à Sachsenhausen, Buchenwald et Flossenbürg
Les années ont passé,
Bien trop ont oublié,
Déjà certains s'avancent,
Disant « c'est des romances ».
Bien peu sont revenus.
Il n'y en a presque plus,
Perdus dans les mouvances
De ce monde en démence.
Pourtant, il y a des camps,
Et des bourreaux dedans
Qui perpétuent l'espèce
Des sinistres SS
Pourtant il y a des tyrans,
Qui clament à tous les vents,
Dans la démagogie,
Leurs idéologies.
Le décor est planté,
Et ils sont fin prêts
Pour d'autres homicides,
D'autres génocides.
Et pour les sacrifiés,
Il y a d'autres charniers.
Et d'autres crématoires
Cracheront peut-être un jour
encore leurs fumées noires.
Assez de leurs délires !
Nous voulons vivre libres !
Il faut être tolérant,
Mais surtout vigilant.
La liberté si chère,
Sinon, ne sera qu'un rêve,
Ou rien qu'un fol espoir,
Dans la nuit, le brouillard
Les années ont passé.
Il est temps d'écouter,
Si vous voulez m'en croire
La leçon de l'histoire.