Le TP – un lien entre deux mondes
Cédric d’Ham, chercheur à l’UGA de Grenoble sur ces sujets rappelle que les TP permettent un aller retour entre le « monde des théories et des modèles » et le « monde des objets et des événements ». Ces allers-retours prennent des formes différentes suivant les objectifs d’un TP et le domaine considéré.
Parmi les objectifs, dont certains peuvent se combiner, citons :
- L’explication d’un phénomène ou la validation d’un modèle physique. L’aller-retour se décline alors par un cycle expérimental ( définir le problème – proposer des hypothèses – concevoir l’expérience – réaliser l’expérience et collecter des données – traiter les données – interpréter les résultats – diffuser les résultats). Cette démarche se construit classiquement en laboratoire, mais avec la généralisation du smartphone (et des cartes Arduino ou Raspberry) la mesure devient possible n’importe où, chez soi, en ville ou à la campagne, en amphi … comme nous l’a explique Ulysse Delabre de l’université de Bordeaux.
- Le développement d’un dispositif, d’un programme qui interagit avec le monde réel. Éric Tanguy, de l’université de Nantes propose à ses étudiants qui développent un programme à distance de régler les interrupteurs d’une carte électronique, de filmer le résultat et de vérifier que le comportement est correct.
- Le développement ou la pratique d’un geste professionnel. Dans les métiers de sciences expérimentales, on reprendra le cycle expérimental en mettant l’accès sur la manipulation des équipements, sur les pratiques de sécurité, … En sciences de la santé, il y aura la construction d’un geste professionnel correct et adapté. Dans ce dernier cas, Yann Le Faou, de l’IFPEK de Rennes, insiste sur la correction du geste et sur l’analyse réflexive de celui-ci.
- La familiarisation avec un équipement « lourd ». Laurent Dairaine, de l’ISAE Toulouse propose l’accès à des vidéos correspondant au paramétrages proposés par les étudiants.
Le TP – une interaction privilégiée avec l’enseignant
L’enseignant est disponible pour aider, pour répondre aux questions, et dans le cas d’une pratique professionnelle en tant qu’expert garant de la qualité du geste. Dans le cas de la mise à distance, un canal de communication est donc mis en place, au travers d’un chat ou de salles de groupes dans un système de visio-web qui permet aux étudiants de travailler ensemble et de discuter avec l’enseignant.
Le TP – un travail d’équipe
Classiquement, le travail en TP se fait à plusieurs. Le passage à distance, le numérique amènent à clarifier des rôles dans cette équipe : l’un peut coordonner l’expérience, l’autre peut prendre des notes dans un cahier d’expérimentation ou faire l’interprétation des résultats. Dans le cadre de la santé, trois rôles sont proposés : le patient, le masseur, et l’observateur qui fait une analyse réflexive.
La répartition de l’équipe peut alors être hybride, certains étant en présence de l’expérience, d’autres à distance. Se pose alors la question de filmer l’expérience, de commenter de manière explicite le geste professionnel, des échanges implicites deviennent des médiations explicites et peuvent ainsi même enrichir l’expérience.
Le TP – une expérience vécue
L’expérience s’ancre dans le monde réel. Être sur place renforce a priori l’authenticité de l’expérience. Elle n’est pas pour autant forcément indispensable pour le vécu ressenti, si l’interaction est correctement assurée par une autre forme de médiation. Citons ici les alternatives relevées :
- L’expérience est menée sur l’équipement réel par une personne spécifique selon un protocole défini par l’équipe d’étudiants. Cette personne peut être l’enseignant si le laboratoire est inaccessible ou par un nombre limité d’étudiants qui profitent de l’expérience sans surcharger les laboratoires, si l’accès est restreint. Le lien avec le reste des équipes peut se faire par visio, films, téléphone, nous sommes maintenant habitués à échanger à distance. Le résultat de l’expérience peut également être un objet tangible (usinage en atelier ou en fablab) qui pourra être remis aux étudiants.
- L’expérience est menée hors les murs du laboratoire, avec un smartphone (ou un équipement bon marché comme un Arduino ou un Raspberry). Comme nous l’explique Ulysse Delabre, de l’université de Bordeaux, un smartphone permet de faire des mesures, de les stocker et de les partager. L’étudiant peut construire et améliorer son protocole de mesure chez soi, organiser des mesures à plusieurs de manière coordonnée, et les mesures peuvent même être partagées collectivement, par exemple en amphi. On gagne en simplicité, en créativité, mais on perd le coté professionnel du laboratoire. Cette démarche est donc complémentaire et offre de nouvelles opportunités.
- Le prêt de matériel (petit robot, carte électronique, …) est aussi une pratique courante.
- L’expérience est déportée, Le projet Go-Lab proposait ainsi des connexions à distance à des équipements rares qui n’étaient disponibles que dans quelques endroits. Le site LabsLand permet de mettre à disposition de nombreuses expériences. En microélectronique, le GIP CNFM propose la mutualisation des moyens entre universités.
- L’expérience dans le monde réel est filmée, et les résultats sont mis à disposition des étudiants. Ce film peut être unique, ou décliné en multiples versions suivant une cartographie paramétrique de l’expérience.
- L’expérience est simulée, et donc accessible simplement, permet des démarches plus inductives basée sur des essais-erreurs. Ce qui se perd en termes de lien avec le réel se compense par une plus grande flexibilité. Les expériences virtuelles permettent ainsi de s’affranchir de difficultés de mesure, ou de changer de point de vue (investiguer dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand par exemple). En se concentrant sur le phénomène, on s’affranchit de toutes les difficultés de mise en œuvre d’une expérience.
- Ces objets simulés peuvent aussi s’intégrer dans des environnements virtuels pour plus d’immersion dans l’environnement du dispositif expérimental, et peuvent ainsi réifier le protocole expérimental.
La numérisation des activités du TP
Il existe de nombreuses solutions utilisables sur un ordinateur pour traiter des données, du tableur à l’environnement complet d’analyse de données, en passant par les notebooks. La captation et le montage de films sont aussi maintenant courants, et utilisables par des étudiants. Et tout cela avec des logiciels en licence libre qui fonctionnent de manière efficace.
Si dans la solution proposée par Eric Tanguy de développer à distance un montage à plusieurs sur un PC déporté semblait encore perfectible, il existe maintenant dans de nombreux cas des outils collaboratifs, qui permettent de travailler à plusieurs sur le même objet informatique (texte, dessin, programme, …)
Mais pour aller au-delà, des logiciels dédiés permettent de travailler sur des activités spécifiques aux TP. Cédric d’Ham est ainsi à l’origine de titrAB, qui permet de construire des protocoles de mesure pour des titrages acide base d’une part et de LabNBook qui est un cahier de laboratoire numérique et collaboratif, couvrant le cycle expérimental, paramétrable sous forme de missions, pour un meilleur accompagnement par les enseignants. Et le tout sous forme de logiciel libre.
Des ressources ouvertes en ligne
Dans le cadre du groupe, nous avons collecté de nombreuses références, d’autres ont été apportées pendant le webinaire, et certaines sont même venues après, comme les rediffusions de webinaires sur le sujet des TP à distance proposés par l’université d’Aix-Marseille. Tout est regroupé dans une page de références. N’hésitez pas à consulter, à compléter et à faire savoir. Les solutions existent, nous devons passer au temps de l’appropriation.
Et pour bien finir, un schéma récapitulant le cycle de l’investigation en 8 étapes (je n’ai plus la source, désolé)
https://tipes.wordpress.com/2021/01/21/retours-dexperiences-sur-les-tp-hybrides-et-a-distance/?
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