Voilà trois semaines que nous travaillons "numérique", les 30 élèves de Première L et moi, et déjà quelques constats :
- annoncer dès le début d’année comme une évidence qu’on utilisera les outils numériques est bien plus efficace qu’après une certaine période que l’on aurait tendance à vouloir laisser passer pour connaître les élèves et "oser".
- la plupart des élèves ont créé une adresse mail "professionnelle" (c’est-à-dire avec prénom et nom) et tous sauf 1 m’ont envoyé leur fiche de rentrée par mail.
- une remarque à propos des mails : on nous bassine les oreilles avec le langage SMS, il me semble que leur façon d’utiliser le mail est plus préoccupante et intéressante. Ils semblent le considérer comme un outil de partage seulement et non, aussi, de communication : presque tous les mails reçus comportant un devoir étaient muets (pas un mot), ne figurait que la PJ. Donc, du travail de ce côté-là.
- c’est la troisième année que je fais utiliser Twitter, pour la première fois ils ont pour les 2/3 d’entre eux déjà un compte. Auparavant, les élèves avaient découvert ce réseau social lorsque je le leur ai présenté. Cela amène une vraie évolution : auparavant, je leur faisais créer un compte d’élève qu’ils n’utilisaient que pour nos activités pédagogiques. A présent, ils utilisent leur propre compte pour poster aussi des tweets dans le cadre de travaux de français. Nous voyons donc apparaître des noms de comptes et des photos de profil que l’on qualifiera de farfelus. La prof de français est ravie : nous expérimentons in situ les problématiques de la situation d’énonciation : qui suis-je quand je tweete cela ? est-ce que je m’autorise à publier des travaux d’école alors que ma TL est habituée à me voir tweeter dans un autre registre ?
- Une précision d’importance : je m’interdis de lire leur TL (sauf au tout début où j’ai lu quelquestweets de deux d’entre eux pour évaluer sommairement s’ils tweetaient beaucoup ou non). Il me semble qu’il faudra que soit notée quelque part la déontologie du professeur qui publie sur les réseaux sociaux. J’ai pu voir des pratiques que je trouve malsaines : profiter de son aura de prof pour établir une forme de communication mi-sérieuse mi-cool avec ses élèves - cette ambiguïté me déplaît fortement. Il faut coûte que coûte maintenir la ligne rouge dans notre communication avec nos élèves, tant qu’ils sont nos élèves. A défaut, nous manquons à notre devoir de les éduquer et nous empiétons sur des espaces qui ne sont pas les nôtres (espaces de relations amicales ou familiales).
- je leur ai créé une page Facebook de classe, uniquement pour relayer les infos du blog et surtout pour qu’ils puissent retrouver son adresse qui n’est pas des plus simples (http://blog.crdp-versailles.fr/lsaintex) ; cela m’a amenée à leur demander qui avait un compte FB et qui était sur ce réseau vers 22h. Il a fallu que je précise que je n’étais pas leur maman et qu’ils pouvaient me le dire pour qu’une armée de bras se lève. D’accord, c’est noté ;-)
- ils ont donc un carnet d’écrivain qui leur sert, pour l’instant, à prendre des notes et à écrire leurs premiers jets. Sur le blog sont postés les textes étudiés et les remarques auxquelles nous sommes arrivés. Pour l’instant, je leur en distribue une version sur papier car ils ont du mal à lire sur écran. Cependant, ils n’annotent pas beaucoup leur version texte, le texte affiché au TNI étant annoté par la classe de façon collective puis publié via une capture d’écran sur le blog. Les activités d’écriture créative ont été postées sur Twitter, mais je vais leur faire utiliser davantage leur carnet.
- Fracture numérique ? de ce que je vois de mes élèves (cela n’a donc rien de scientifique), elle existe bel et bien aux deux niveaux financier et intellectuel. De l’importance d’équiper les établissements, mais aussi les élèves (et les profs). Je les ai fait tweeter en classe sur leur smartphone à deux reprises (environ une bonne moitié en a un, en tout cas l’a sorti) : la première fois ils ont utilisé leur forfait, mais la seconde ils ont demandé à pouvoir se connecter au réseau : ah, problème...Du coup, on a tweeté avec le compte de la classe vidéo-projeté grâce à mon iPad (très pratique, le clavier occupant la moitié du tableau numérique, on peut écrire depuis le TNI et/ou la tablette).
- Je leur ai créé un compte individuel sur le blog pour qu’ils puissent y écrire. Pour l’instant ils disposent des droits minimum. J’espère leur donner de plus en plus de droits (notamment le droit de publier). Ils ont écrit une synthèse d’une activité menée en classe, et ont pu constater l’intérêt du traitement de texte (sommaire) de l’interface. La construction des paragraphes commence à être comprise. Le copier-coller est un vrai bonheur (j’ai remarqué comme les élèves ont tendance à gommer leur brouillon pour écrire le cours à la place : ce doit être une période révolue, tout faire pour que cela n’arrive plus).
- Je leur ai demandé d’installer un logiciel de carte heuristique chez eux, il nous servira non seulement à organiser les idées mais aussi à prendre des notes pour faire des fiches (pour l’instant, ils pratiquent la fiche selon la réduction : une page de manuel devient...une mini-page de manuel).
- Cela n’a pas de lien avec le numérique de prime abord mais en réalité, si : j’ai décidé d’évaluer leur devoir à l’aide d’un code couleur (explications ici) en leur expliquant qu’il s’agissait pour eux et moi d’évaluer leur travail, leurs progrès et leurs difficultés, que ce qui compte c’est la direction et non le pseudo objectif d’atteindre la sacré 10/20. Le numérique avait permis de me camper dans une posture de pédagogue (au sens étymologique : celui qui est en chemin avec son troupeau, non pas tout devant mais au milieu pour faire avancer tout seuls les uns et attendre et encourager les retardataires) : le numérique - qui me permet de m’assoir à côté de mes élèves en salle informatique, ce qui est loin d’être anecdotique, vrai compagnonnage - le numérique, donc, en changeant ma posture, a permis de faire comprendre et accepter cette forme d’évaluation (je revois encore le visage angoissé d’une élève apprenant que je ramassais leurs travaux, elle qui n’avait fait "qu’un brouillon".) L’idée est aussi qu’ils prennent conscience de ce qu’ils sont en train de faire par rapport à ce que je leur demande : un premier jet, un devoir organisé, auquel il faut apporter plus de soin et de temps, etc.
- Et de mon côté ? passer du temps et de l’énergie à préparer les activités de cours est très stimulant et passionnant. Ce qui me semble particulièrement chronophage, en revanche, c’est la tenue du cahier de textes car elle demande une régularité très forte. Lorsque l’on voit ses élèves du jour au lendemain, difficile de s’astreindre le soir du premier jour à poster les devoirs pour le suivant. Comment font les professeurs qui ont quatre classes en français ?
- à suivre...