Belle performance pour les libéraux qui ont su habilement profiter de l’apathie de l’opposition dans ce domaine. Comme je l’écrivais dans un de mes billets sur Educavox, on porte des banderoles pour des postes mais pas pour les finalités, les programmes et les pratiques. Le désastreux pilotage par les résultats apparents, la contractualisation sans moyens, le développement de l’autoritarisme avec la perte de confiance qu’il a générée, la mastérisation, l’évaluationnite et la déshumanisation, etc l’ont bien mise à mal.
Avec l’alternance, elle a refait surface, elle est même régulièrement invoquée dans les discours officiels, sans jamais être réellement un objet de réflexion, de débat, avec l’ensemble des citoyens. Pas un discours ministériel sans que son importance ne soit soulignée… mais il ne s’agit que de mots et de lieux communs. Dans la mesure où les contenus précédents et les pratiques sont maintenus et imposés avec la même autorité qu’auparavant, dans la mesure où l’université donne comme par le passé la priorité aux contenus disciplinaires dans une formation rétablie mais non repensée fondamentalement, dans la mesure où le fonctionnement pyramidal se renforce réduisant les possibilités d’innovation et d’horizontalité, dans la mesure où les enseignants eux-mêmes sont toujours en souffrance et sont résignés en grande majorité, il faudra attendre encore des années pour assister à un véritable réveil de la pédagogie qui sera un facteur majeur de la réussite de la refondation.
Dans ce contexte, il fallait refaire le point sur les concepts clés de la pédagogie. Philippe Meirieu le fait dans un ouvrage intéressant, clair, accessible à tous (enseignants ou non) : « Pédagogie. Des lieux communs aux concepts clés ». ESF, 182 pages, 13,90 euros. Il traite cinq lieux communs :
1. les méthodes actives, du bricolage à l’opération mentale
2. La motivation : de l’attentisme à l’exigence.
3. L’individualisation : de « l’école sur mesure » à la pédagogie différenciée.
4. Le respect de l’enfant : de l’expression spontanée à l’élaboration de belles contraintes.
5. l’éducation à la liberté : de l’abstention éducative à l’imputation. Sa conclusion souligne une évidence pour les progressistes : « La pédagogie n’est pas un luxe ».
Dans une annexe, il traite le problème médical en éducation « Une société qui renvoie tous ses problèmes à la médecine est une société malade » (page 161). On connaît bien les dérives du modèle médical. Un médecin n’est pas un spécialiste des apprentissages. On connaît les dégâts produits par les sirènes de certaines « écoles » de neurosciences qui renforcent les déterminismes sociaux. L’alerte est d’autant plus utile que le ministère actuel semble aussi tenté par la généralisation de « méthodes miracles » pour l’apprentissage de la lecture, créées par une équipe médicale influente, qu’un syndicat d’enseignants a récemment dénoncée.
Encore un livre utile, intéressant, indispensable pour la formation des enseignants et l’information des parents et des éducateurs.
Reste à essayer de comprendre pourquoi ces concepts clés, inscrits dans l’histoire, portés par les plus importants pédagogues, expérimentés et éprouvés par les mouvements pédagogiques, aussi lumineux et enthousiasmants pour les enseignants de l’école du futur ont pu être galvaudés, oubliés, caricaturés, et pourquoi la refondation de l’école ne leur a pas fait une place d’emblée pour provoquer les ruptures nécessaires au progrès, et a laissé s’installer de manière qui va devenir irréversible, les pratiques désastreuses du système précédent.
Dans son introduction, Philippe Meirieu déclare que la pédagogie est un sport de combat. « Malgré quelques accalmies médiatiques où leurs adversaires semblent un peu s’essouffler, les pédagogues ont toujours le sentiment d’être « au front ». Et ils le sont en permanence. (…) Contre toutes les formes de fatalisme et de renoncement, contre l’obsession classificatoire de nos sociétés, contre l’enfermement systématique des sujets dans des « grilles » par des institutions qui se contentent de « gérer des flux », ils sont porteurs d’une « insurrection fondatrice » qui les place toujours, plus ou moins, en position de combat et les fait apparaître comme des « empêcheurs d’enseigner en rond ».
Heureusement qu’ils sont là pour maintenir l’espoir d’une autre école et pour éclairer les voies de l’éducation du futur.
Merci à Philippe Meirieu de ne jamais se décourager malgré les déceptions et les agressions , de poursuivre ce beau combat pour une école démocratique, moderne, humaine, généreuse, émancipatrice dont la société a le plus grand besoin.