De même, en 2011, un article de Corinne Courtin-Chaudun et Françoise Desmaison intitulé « Industrialisation et qualité du tutorat » est paru dans la revue Tutorales (cf. http://jacques.rodet.free.fr/tutoral8.pdf). Les progrès actuellement réalisés par l’intelligence artificielle réactive la question.
Il semble bien que ce soit la recherche d’économies pour certains, le fantasme à vouloir extirper toute présence humaine du processus de formation pour d’autres, qui provoque la réapparition périodique de ce sujet.
Alors que tous les enseignants et formateurs sont loin d’intervenir à distance en soutien aux apprenants, soit parce qu’ils n’interviennent dans aucun digital learning, soit parce qu’ils rencontrent des difficultés à investir la posture tutorale, l’intelligence artificielle ne risque-elle pas de préempter les fonctions d’accompagnement ? Serait-elle la solution de remplacement face à des enseignants et des formateurs ne voulant pas évoluer vers l’intégration du numérique dans leurs pratiques ?
Pour apporter quelques éléments de réponses à ces questions, j’évoquerai tout d’abord un article récemment paru traitant d’une expérience de recours à une intelligence artificielle pour apporter des réponses à des étudiants. Dans un second temps, j’examinerai les interventions tutorales qui peuvent actuellement être automatisées et confiées à des robots et celles qui ne le sont pas.
Un exemple de recours à l’IA en soutien aux apprenants
L’article intitulé « Et si votre tuteur scolaire était en réalité… un robot ! » paru le 10 mai 2016 sur le site humanoides.fr (cf. https://humanoides.fr/et-si-votre-tuteur-scolaire-etait-en-realite-un-robot/) a attiré mon attention. Il est précisé que « L’expérience a été menée à l’Université Georgia Tech. Jill Watson a été présentée aux élèves du professeur comme leur assistant pédagogique, une fonction très courante aux Etats-Unis, qui s’apparente à celle d’un tuteur, poste généralement occupé par de jeunes diplômés ou en fin d’études. Sa mission consistait donc à assurer toutes les tâches habituelles d’un tuteur : communication des dates d’examens, de rendus de devoirs, aide pédagogique et administrative… »
Il est indiqué que le robot n’a pu répondre à certaines questions, les plus complexes, que parce que celles-ci étaient déjà apparues lors de sessions précédentes et que des tuteurs humains y avaient répondu préalablement. De plus, les tuteurs humains ont été sollicités pour permettre au robot d’acquérir progressivement l'autonomie recherchée dans la formulation de ses réponses.
Cette expérience se révèle donc prometteuse pour les interventions réactives sur le plan cognitif que la plupart des tuteurs à distance estiment correspondre à environ à un quart à un tiers de l'ensemble des interventions qu'ils réalisent. C'est donc loin d'être négligeable.
Pour les interventions proactives comme le rappel des échéances, l'intérêt du recours à un robot me parait moindre. Un planning et le paramétrage d'envois de mails automatiques dans le LMS remplissent parfaitement ces tâches.
Pour intéressante qu’elle soit, cette expérience a nécessité quelques prérequis : i) l’existence d’une banque importante de questions d'étudiants auxquelles des tuteurs humains avaient préalablement répondu, ii) La mobilisation des tuteurs humains pour guider l'apprentissage du robot.
Par ailleurs, le fait que l'expérience ait été menée par un professeur en intelligence artificielle dans un cours d'intelligence artificielle n'est pas anodin. La transposition de cette expérience à un autre domaine reste à expérimenter et posera inévitablement la question des compétences nécessaires à un enseignant ou un formateur pour programmer et manipuler un robot de ce type.
Je remarque également que le robot ne pouvant répondre de manière pertinente à des questions qui n'ont pas été traitées lors des précédentes sessions, le contenu de la formation doit être particulièrement stable. Ceci est de moins en moins vrai dans de nombreux domaines tant le rythme d’apparition et de disparition des connaissances s’accélère. Les ressources d’une formation demandent régulièrement et fréquemment des mises à jour sur lesquelles le robot devra se former avec l’aide de tuteurs humains. En fait, tout dépend de la capacité du robot à apprendre en autonomie, ce sur quoi l’article ne nous renseigne pas.
Dès lors, il est naturel de se demander si le retour sur investissement est réel ou non. Outre les coûts fixes de développement du robot, il existe des frais variables liés aux ressources humaines qui le guident dans son apprentissage. Est-ce que le travail alors fourni par le robot a une valeur financière supérieure aux coûts engagés ? Il est probable que cela ne soit rentable que dans les dispositifs qui rassemblent un nombre massif d’étudiants. C’est donc potentiellement une piste pour les moocs dont l’immense majorité, c’est le moins que l’on puisse dire, ne brille pas encore par la qualité du soutien apporté à leurs participants.
Quelles interventions tutorales peuvent-elles être confiées à un robot ?
Dans l’exemple ci-dessus, il apparaît, et c’est peut-être un biais ou une limite du périmètre de l’expérience elle-même, que les interventions tutorales assurées par le robot relèvent uniquement du plan cognitif pour les fonctions tutorales suivantes : accueil et orientation, organisationnelle, pédagogique, technique et évaluation. La fonction tutorale socio-affective et motivationnelle tout comme métacognitive ne sont pas investies. De même, les plans de support à l’apprentissage socio-affectif, motivationnel et métacognitif ne sont investis pour aucune des fonctions tutorales.
En partant de ma matrice des interventions tutorales qui croisent les fonctions tutorales et les plans de support à l’apprentissage (cf. http://blogdetad.blogspot.fr/2012/06/des-fonctions-et-des-plans-de-support.html), et à partir de l’expérience présentée plus haut, je projette que certaines interventions peuvent effectivement être assumées par un robot, certaines nécessitent des actions coordonnées d’un robot et d’un tuteur humain, tandis que d’autres ne peuvent être réellement réalisées de manière efficace pour les apprenants que par un tuteur humain.
Pour l'instant, les interventions tutorales pouvant être confiées à un robot seul, bien que non négligeables, sont peu nombreuses. Celles nécessitant des actions coordonnées entre un robot et des tuteurs humains le sont davantage. Dans ce cas, la répartition, du qui fait quoi, dépend fortement des capacités du robot. Dans bien des cas, le robot n'agira qu'en complément du tuteur humain qui conservera une vraie plus-value. Enfin, nombre d'interventions tutorales restent du domaine exclusif des tuteurs humains dans la mesure où elles demandent une compréhension sensible et émotionnelle du besoin de soutien de l'apprenant.
Bien évidemment, les avancées en matière d’intelligence artificielle risquent fort dans les prochaines années de modifier les couleurs affectées à telle ou telle cellule de cette matrice. Toutefois, attendre celles-ci pour ne pas investir dans le tutorat à distance et la constitution d’équipe de tuteurs humains amènerait les attentistes à voir les taux d’abandon dans leurs digital learning se maintenir à un niveau si élevé qu’il remettrait en cause l’existence même de leur offre de formation.
Les robots et l'intelligence artificielle sont donc encore loin de pouvoir préempter les fonctions d'accompagnement des apprenants d'un digital learning. Le recours à des tuteurs humains apparaît encore indispensable pour répondre à l'ensemble des besoins de soutien des apprenants. Les formateurs et les enseignants sont dans la nécessité de se former aux usages numériques et à l'évolution de leur posture professionnelle : de la transmission vers l'accompagnement et le soutien.
Article initialement publié sur le site : http://blogdetad.blogspot.fr/
Jacques RODET