C‘est ainsi qu’un premier robot de sol programmable a été développé pour l’apprentissage de l’algorithmie, puis que des robots à construire sont apparus pour des champs d’applications variés. Depuis lors, les avancées technologiques font que les fonctionnalités des robots s’étendent (e.g. multiplication des capteurs, intégration de synthèses vocales) tout comme leurs champs d’utilisation (e.g. développement des compétences linguistiques, mathématiques, médiation thérapeutique). Cependant la manipulation, pour permettre aux enfants d’apprendre en agissant sur leur environnement, demeure centrale pour un grand nombre de dispositifs pédagogiques.
Le fait que la manipulation se produise dans le monde réel (manipulation physique par opposition à la manipulation virtuelle) permet à l’apprenant de faire appel à ses capacités sensori-motrices et de rester dans son environnement proche. Dans cet article, nous présentons des dispositifs technologiques combinant l’utilisation de robots avec des objets physiques et parfois aussi d’autres objets numériques. Ces dispositifs ont une finalité pédagogique en cherchant à favoriser les apprentissages par la manipulation d’objets du réel. La numérisation permet d’enrichir les retours sur les manipulations tout en rendant concrets et perceptibles des concepts abstraits via l’animation de robots. Autrement dit, nous présentons ici quelques exemples de dispositifs exploitant la tangibilité en robotique pédagogique.
Manipuler pour matérialiser ses raisonnements algorithmiques
En 2013, des chercheurs américains, Sullivan, Kazakoff et Bers ont conçu un dispositif expérimental pour permettre aux élèves d’acquérir la maîtrise de concepts algorithmiques utiles en informatique. Ils ont pour cela demandé à 37 élèves de 5 ans de construire puis de définir le comportement d’un robot à l’aide de briques programmables. Cinq séances de 2 heures par jour se sont succédées au cours d’une semaine. L’objectif de l’activité annoncé aux élèves était de construire un robot facilitant le recyclage des déchets. La programmation est réalisée en CHERP, un langage de programmation tangible en ce sens qu’il permet aux élèves de coder les déplacements et autres actions des robots via l’association de cubes sur lesquels figurent des symboles représentant les instructions de programmation.
Les élèves peuvent ainsi manipuler physiquement et aisément les éléments de codage et les aligner visuellement suivant leurs raisonnements. Le comportement du robot fournit alors un retour immédiat dans le réel sur le fonctionnement de l’algorithme ainsi créé. La manipulation n’empêche cependant pas la survenue de frustrations dans l’activité. Pour les pallier, les chercheurs pilotent les séances en suivant un processus itératif d’identification des problèmes, de recherche d’idées, de développement, de test et de partage des solutions. Ce processus est introduit lors de la première séance à travers des jeux, dont des briques de construction. La robotique n’intervient qu’aux séances suivantes au cours desquelles les élèves apprennent ce qu’est un robot et en construisent un sous forme de véhicule (séances 2 et 3). Ils l’adaptent ensuite à la fonction souhaitée, ici le recyclage (séance 4). In fine, une présentation de leur travail par chacun des 11 groupes est faite aux élèves d’une autre école (séance 5). 8 des 37 élèves impliqués et leurs 3 enseignants ont été interrogés en début et en fin d’expérimentation par les chercheurs.
Les élèves l’ont été au cours d’entretiens oraux alors que les enseignants ont eu à répondre anonymement à des questionnaires écrits. Les informations recueillies ont été analysées conjointement aux observations des séances. Les retours montrent que les élèves ont développé des connaissances en programmation. Ils ont aussi amélioré leur compréhension du métier d’ingénieur et de la robotique tout en mettant en pratique, et sans que cela ne soit explicitement prescrit, des compétences mathématiques (comptage de déplacements, identification de formes géométriques, etc.).
Le développement de ces dernières compétences peut toutefois aussi être l’objectif visé dans l’utilisation de robots comme nous le montrons à présent.
Manipuler pour extérioriser ses stratégies en calcul
Le projet de recherche OCINAEE (Objets Connectés et Interfaces Numériques pour l'Apprentissage à l'Ecole Elémentaire), financé par le programme des Investissements d’Avenir et associant différents partenaires industriels et publics (Digischool, Awabot, IFE, Erasme), constitue donc un autre exemple de robotique pédagogique. Le robot est cette fois intégré à des scénarios de jeux en mathématiques. « Le Nombre Cible » est l’un de ces jeux. Une première version est décrite par Sonia Mandin et ses collègues (Mandin et al, à paraître). Le jeu consiste à faire sélectionner par l’élève 3 cartes parmi 6 dont la somme est égale à un nombre cible proposé par le robot via un smartphone clipsé dessus (voir illustration ci-dessous). Le robot se déplace alors sur un plateau imprimé. Ses différents points d’arrêt possibles (personnages) dépendent de l’infériorité/supériorité et de la proximité/éloignement de la combinaison par rapport au nombre cible à atteindre (cabanon). Les points d’arrêt sont alignés de sorte à représenter une ligne numérique passant par le centre du plateau, emplacement du nombre cible à atteindre.
Des observations sont encore en cours de réalisation auprès d’une quarantaine de classes de cycles 2 et 3 dans l’agglomération lyonnaise (Simone, Guillaume et Soury-Lavergne, 2016). Toutefois, une expérimentation plus spécifique à la perception du déplacement du robot par les élèves de 5 classes de CP et CE1 est décrite par Sonia Mandin et ses collègues de l’Institut Français d’Education (IFE) à l’ENS de Lyon. Les résultats ont montré que les élèves se répartissent selon deux catégories : les élèvesvérificateurs qui soumettent leur combinaison au robot quand ils ont calculé plusieurs fois la somme des cartes sélectionnées et les élèves testeurs qui délèguent au robot ce rôle.
Les élèves testeurs apparaissent être davantage représentés parmi les élèves qui cherchent à progresser, comme s’ils cherchaient à tirer un maximum de profit du jeu. Les autres sont davantage des élèves qui cherchent à éviter de montrer qu’ils peuvent commettre des erreurs ou qui cherchent au contraire à prouver leurs compétences.
Un autre point observé est qu’en cas d’erreur, les stratégies des élèves dans la modification de leur combinaison sont différentes selon que leur première réponse dépasse ou non le nombre cible. Ils remettent davantage en question la combinaison erronée quand elle est supérieure au nombre cible. Ils tendent en revanche à ne changer que la plus petite carte quand elle lui est inférieure.
Enfin, le dispositif a permis aux élèves de chaque binôme d’interagir ensemble et de s’observer mutuellement dans l’externalisation de leur réflexion par la parole comme par les gestes. Cette externalisation induite ici par la manipulation favorise les apprentissages de l’élève qui en est acteur comme de celui qui l’observe (Kani et Shahrill, 2015 ; Edwards, Radford et Arzarello, 2009). L’activité mentale est extériorisée, ce qui va aider les élèves à prendre conscience de leurs stratégies, ici en mathématiques, et aussi à négocier leurs idées. De tels dispositifs peuvent aussi être utilisés pour développer des compétences linguistiques.
Manipuler pour développer sa créativité et ses compétences narratives
Des chercheurs de l’Université de Berkeley (Ryokai et al., 2009) ont ainsi utilisé le dessin et un robot (Pleo, robot dinosaure) comme moyens susceptibles de permettre aux élèves d’entrer plus facilement dans un processus narratif oral. Ainsi, des élèves de 5 à 9 ans peuvent dessiner des passages de leurs histoires imaginées et associer des comportements du robot (e.g. jouer des sons pré-enregistrés par les enfants) à la détection du dessin par le dinosaure.
Les comportements sont programmés via une interface spécifique et intuitive fonctionnant sur tablette. Une séance d’observation avec 11 enfants a été menée par les chercheurs sus-cités, dans laquelle les enfants sont placés en binôme. Après un temps de prise en main du dispositif, les enfants peuvent jouer librement avec pour une durée maximum d’une heure. Les différents groupes ont ainsi joué au minimum 45 minutes et programmé de 4 à 10 dessins.
Les résultats montrent une utilisation aisée de l’interface de programmation du robot. Par ailleurs, le dispositif permet une bonne vision de l’enchaînement des actions narratives puisqu’à tout moment de la présentation de l’histoire, les élèves sont capables d’anticiper la suite. L’un des résultats de la recherche montre qu’en fonction des enfants, les histoires étaient enrichies soit en ajoutant de nouveaux dessins, soit en incluant de nouvelles actions devant être exécutées suite à la présentation du dessin au robot. Dans tous les cas, le dispositif favorise la négociation entre enfants sur la nature et l’organisation des actions et événements de l’histoire.
Conclusion
Ces trois exemples de dispositifs technologiques et pédagogiques incluant des robots soulignent la diversité des disciplines dans lesquelles les études sont menées mais surtout le fait que le robot ne constitue pas seul le dispositif. Nous noterons ainsi que l’intérêt du robot est qu’il maintient l’élève dans le monde réel par le feedback concret qu’il permet. De tels environnements permettent de maintenir les apprenants focalisés sur leurs tâches mais aussi de constater les effets de leurs actions directement sur le milieu dans lequel ils agissent.
Les études présentées engagent des dispositifs et un domaine spécifique (ici, la programmation, la numération et la narration). Néanmoins, chaque dispositif permet des adaptations de la part de l’enseignant. Ainsi, dans l’exemple américain pour le développement des raisonnements algorithmiques, le robot construit est lié à une action de sensibilisation au développement durable. Il pourrait tout autant l’être à une autre notion. La séquence pédagogique présentée est également expérimentale. Tout comme pour le dispositif utilisant le robot dinosaure ou pour OCINAEE, un usage différent de celui décrit pourrait être envisagé dans les classes (répartition des élèves, utilisation en remédiation, travail dans une autre langue, etc.).
La robotique pédagogique offre donc de nouveaux outils à l’aspect ludique. Toutefois, leur insertion au sein de séquences pédagogiques et le soutien aux élèves reviennent toujours aux enseignants. A ce titre, il semble important d’aller vers une formation des enseignants à de tels dispositifs afin qu’ils puissent faire leurs choix en fonction de leurs besoins et les intégrer dans leurs enseignements de façon pertinente.
* Sonia Mandin - Chercheuse en Sciences de l’éducation et consultante e-learning
Initialement publié sur le site : http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/apprendre-par-la-manipulation-physique-grace-aux-robots-100.htm