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La curiosité est définie comme « un désir de savoir, de voir ou d’expérimenter qui motive un comportement exploratoire orienté vers l’acquisition de nouvelles informations » (Litman, 2005). Il s’agit d’un facteur important qui améliore la faculté de prendre en charge des activités complexes (Von Stumm et al., 2011), de s’engager dans un apprentissage (Metz, 2008), ou encore de mieux mémoriser de nouvelles informations (Jepma et al., 2012).

En effet, notre cerveau apprend et mémorise mieux l’information lorsqu’on la cherche et la trouve tout seul, en posant des questions ou en explorant l’environnement par exemple, et non pas en la recevant passivement (Bulgren et al., 2011).

Malgré cette importance, plusieurs études montrent que les contenus pédagogiques d’aujourd’hui encouragent très peu les enfants à être curieux (Engel et al., 2011 ; Engel et al., 2006 ; Fortus, 2014), les réduisant généralement à une seule bonne réponse et ne les incitant pas à poser des questions, expression principale de la curiosité épistémique. Pour cela, plusieurs travaux se sont intéressés à l’étude de la curiosité dans les salles de classe, dans le but de concevoir des interventions pédagogiques qui peuvent améliorer cette capacité chez les jeunes apprenants. Leurs observations montrent qu’il s’agit, en effet, d’une compétence malléable (Jirout, Vitiello, Zumbrunn, 2018) qui peut être suscitée par des signaux verbaux et non verbaux [tels que la confrontation avec des dilemmes, l’encouragement à l’autoréflexion, etc. (Ceha et al., 2019 ; Gordon et al., 2015 ; Alaimi et al., 2020)], afin de favoriser le confort avec l’incertitude et d’encourager le questionnement et l’exploration pour la résoudre. 

Dans ce contexte, nous proposons avec cet article de présenter, dans un premier temps, les obstacles qui peuvent empêcher les élèves d’adopter des apprentissages dirigés par la curiosité épistémique et les interventions pédagogiques qui peuvent y remédier. Dans un deuxième temps, nous parlons du rôle du numérique pour faciliter l’implémentation de telles interventions et renforcer leur efficacité.

Curiosité en apprentissage : quels sont les principaux freins et comment y remédier ?

Bien que l’apprentissage basé sur le questionnement soit à l’avant-garde de l’éducation moderne(Kuhlthau et al., 2015), plusieurs études montrent que la curiosité diminue avec la scolarité formelle (Engel, 2011).

Plus particulièrement, les comportements de questionnement basés sur la curiosité s’avèrent presque absents des salles de classe d’aujourd’hui : les questions des élèves sont très souvent des questions de mémoire ne nécessitant pas beaucoup de travail cognitifet de raisonnement profond (Humphries, Ness, 2015 ; Graesser, Person, 1994), ce qui contribue très peu à accroître leur curiosité (Bjork, 2017).

Plusieurs facteurs peuvent en être responsables, par exemple les obstacles linguistiques (Humphries, Ness, 2015) (i.e. les élèves n’ont pas les capacités linguistiques pour formuler des questions complexes), la peur du jugement social des camarades de classe (Post, Walma van der Molen, 2019) (i.e. perception négative de la curiosité et du fait de poser des questions en classe), la tendance des enseignants à poser les questions en classe et laisser aux élèves la partie réponse, etc.

Plus important encore, un des facteurs qui freine la curiosité des individus est ce qu’on appelle « l’illusion de la connaissance » :

Il s’agit de la tendance des élèves à surestimer leurs niveaux de connaissance et ne pas être conscients des informations qui leur manquent, aussi appelés des knowledge gaps (Loewenstein, 1994), ce qui les empêche d’adopter des comportements de recherche d’information ou des comportements curieux. Ce problème provient principalement de leur manque de réflexion sur leurs propres apprentissages et de leur incapacité à évaluer leurs niveaux de connaissance, justement. 

Cette capacité d’auto-évaluation et la conscience des knowledge gaps sont des facteurs très importants pour stimuler la curiosité de l’individu car quand on se rend compte qu’il nous manque une information ou que nos connaissances ne correspondent pas à celles nécessaires pour comprendre l’environnement, un objectif de connaissance à acquérir va apparaître. Cet objectif est généralement motivateur d’un comportement dirigé par la curiosité — comme la génération d’une question —, qui est initié afin de pouvoir compenser le knowledge gap identifié et acquérir la connaissance manquante (Berlyne, 1978). 

Pour remédier à ces problèmes, plusieurs travaux de recherche encouragent les enseignants à mettre en place des entraînements spécifiques pour familiariser les élèves avec les notions d’auto-évaluation, de questionnement et les aider à être plus à l’aise face à leurs incertitudes (Jirout, Vitiello, Zumbrunn, 2018 ; Cranton, 2016). Cependant, de tels ateliers peuvent être difficiles à mettre en place car cela demande aux enseignants de trouver du matériel pédagogique spécifique pour chaque composante de connaissance (i.e. des aides linguistiques pour faciliter le questionnement curieux, des familiarisations avec les stratégies d’apprentissage basées sur la curiosité, etc.) ; ce qui peut être une tâche particulièrement chronophage. Dans ce cadre, un nouveau corps de la recherche s’est donc intéressé au rôle du numérique et à la façon de profiter de ses avantages pour faciliter l’implémentation d’entraînements pédagogiques à la curiosité.

Applications numériques pour entrainer les apprentissages dirigés par la curiosité chez les enfants

Comme mentionné ci-dessus, les environnements sociaux ont une influence primordiale sur les comportements curieux exploratoires des enfants et leur motivation à apprendre (Engel, 2011).

Pour cela, plusieurs études ont examiné la possibilité d’utiliser des agents artificiels sociaux pour stimuler la curiosité des enfants vu leur attractivité.

Dans l’étude de Ceha et al. (2019) par exemple, les auteurs ont implémenté un robot social qui exprime de la curiosité (en posant des questions et simulant des auto-réflexions à haute voix) et ont étudié si les élèves vont essayer d’imiter ces comportements. Le robot jouait le rôle d’un partenaire curieux d’apprentissage durant un cours sur les propriétés physiques des roches. Leurs résultats ont montré que, effectivement, les élèves étaient sensibles à ces comportements curieux du robot et qu’ils les ont adoptés dans leurs propres stratégies d’apprentissage durant les tâches suivantes. De plus, dans le travail de Sher et al. (2019), les participants ont utilisé une application web qui encourageait les comportements d’exploration autonomes pour comprendre le contenu d’un cours, via un agent virtuel.

Leurs résultats ont montré une exploration plus longue et un meilleur apprentissage des connaissances par rapport aux élèves qui ont suivi un parcours traditionnel basé sur le fait de donner des instructions directes sur le cours, suggérant ainsi que l’exploration améliore l’apprentissage autonome.

Par ailleurs, les travaux de Abdelghani et al. (2022) ont proposé d’utiliser les agents conversationnels virtuels pour aider les enfants à être plus conscients de leurs knowledge gaps et à savoir les poursuivre en utilisant les outils linguistiques adéquats.

Pour cela, ils ont proposé une plateforme web qui propose trois entraînements différents :

1) savoir faire de l’auto-réflexion pour pouvoir identifier des incertitudes en encourageant l’auto-évaluation explicite des compétences,

2) savoir poursuivre ces incertitudes en donnant des aides linguistiques et sémantiques pour poser les questions curieuses adéquates

et 3) savoir utiliser la capacité d’auto-questionnement pour faire plus d’explorations des ressources et gagner des nouvelles compétences en autonomie. Leurs résultats ont montré l’efficacité de telles interventions et, plus particulièrement que, plus les élèves ont pu faire de l’auto-réflexion, plus ils ont posé des questions curieuses et exploré différentes informations, et plus ils ont progressé (voir Figure 1).

 

Illustration de la collaboration élève-agent conversationnel durant les 3 étapes de l’entraînement à la curiosité – Abdelghani et al. (2022).

Enfin, et dans une autre série d’études proposant des technologies éducatives curieuses, Clement B. (2018) a développé un algorithme de personnalisation des exercices proposés à l’élève selon son état de curiosité :

L’exercice qui est proposé à un moment précis correspond à celui qui a le plus de probabilité de susciter la curiosité de l’élève et de l’amener à faire le plus de progrès d’apprentissage. L’utilisation de tels algorithmes de personnalisation basés sur la curiosité a montré que les élèves étaient significativement plus motivés pour apprendre que lorsque les séquences d’apprentissage étaient prédéfinies à la main et identiques pour tous les élèves.

Conclusion

Les comportements dirigés par la curiosité demandent une prise de conscience de ses propres points forts et limites de compétences. Ces facteurs peuvent être incités et améliorés avec l’aide des technologies éducatives : à travers l’imitation d’un agent virtuel curieux, la collaboration avec un agent pour résoudre une tâche, etc. Les études travaillant sur ces interventions montrent aussi que ces comportements curieux ont un impact positif direct sur les progrès d’apprentissage que les élèves peuvent réaliser. Ces différents résultats viennent consolider l’importance des pédagogies dites « actives » qui encouragent les élèves à réfléchir sur leurs propres actions et à résoudre des problèmes de manière indépendante (Hohmann et al., 1995).

Les résultats de ces travaux motivent la mise en œuvre de telles approches à la fois dans les salles de classe et dans les environnements d’apprentissage en ligne.

Auteur : Rania Abdelghani, doctorante en technologies de l’éducation, INRIA de l’Université de Bordeaux,
Article publié sur le site : Curiosité, apprentissage et numérique. Que dit la recherche ? - Réseau Canopé (reseau-canope.fr)

 

Dernière modification le mercredi, 17 mai 2023
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