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Contrairement à ce qui avait été annoncé dans les années 1970 où l’on prévoyait une prévalence de l’image sur l’écrit, les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont contribué à transformer les modes d’écriture et à accroître l’utilisation de l’écrit. L’arrivée de ces nouveaux outils dans les classes suscite logiquement l’intérêt des équipes pédagogiques comme celui des chercheurs.

La question est alors de savoir si les outils numériques soutiennent la production d’écrits des élèves tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Pour le moment, les résultats des quelques études internationales mettent en évidence des résultats intéressants bien que contradictoires quant à l’effet de l’utilisation des outils numériques sur les productions écrites en tant que telles. Les données sur l’utilisation des tablettes à l’école primaire restent rares à ce jour.

Introduction : quels processus engagés dans l'activité d'écriture ?

Du point de vue de la psychologie cognitive, la production de textes est considérée comme une activité complexe qui nécessite d’engager un ensemble de connaissances (thématiques, linguistiques, rhétoriques) et de processus.

La littérature scientifique distingue généralement trois principaux processus mis en œuvre au cours de la production :

  • la planification permet au rédacteur de récupérer les idées stockées en mémoire à long terme (MLT) ou dans l’environnement (sources) et de les organiser ;
  • la mise en texte assure la formulation des contenus préverbaux élaborés en planification. Ce processus permet donc de transformer le contenu initialement conceptuel en unités linguistiques. Ce processus assure également l’exécution graphique à proprement parler (engageant une écriture manuscrite ou tapuscrite) ;
  • enfin, la révision permet d’évaluer la qualité du produit mis en texte et éventuellement de l’améliorer (corrections locales, correspondant aux corrections au niveau du mot, de la proposition ou de la phrase et/ou globales, correspondant aux corrections faites au niveau de la superstructure du texte).

La mise en œuvre de l’ensemble de ces composantes sollicite fortement le système cognitif, et il faut de longues années d’apprentissage pour atteindre un certain niveau d’expertise (Alamargot & Chanquoy, 2004). L’arrivée des outils numériques (ordinateur, tablette avec clavier virtuel ou stylet) dans les classes interroge sur le rôle que ces nouveaux médiums peuvent jouer sur les activités de production écrite : que permettent-ils comparativement à une tâche d’écriture classique « papier-crayon » ?

Précisément, si les modèles décrivant l’activité de production écrite soulignent l’importance de prendre en compte le médium d’écriture dans l’activité de production de texte (Hayes, 1996, 2012), la question est de savoir quel peut être l’effet de ces outils numériques sur les productions d’écrits des élèves, tant au niveau des processus engagés que de la qualité qui en résulte.

Effet du traitement de texte sur la production de textes

Les études, initiées aux États-Unis à partir des années 1980, ont surtout étudié les éventuels effets de l’utilisation de l’ordinateur sur les productions écrites des élèves. Ces recherches ont tenté de déterminer si le recours au traitement de texte est susceptible d’agir sur la motivation à écrire, ainsi que sur la mise en œuvre des processus rédactionnels et par conséquent des textes qui en découlent.

La motivation joue un rôle majeur dans la production écrite (Hayes, 1996) au moins à court et moyen termes. Sur ce point, une majorité d’études concluent à un effet positif de l’ordinateur sur les pratiques d’écriture en milieu scolaire (voir, par exemple, Grégoire & Karsenti, 2013). Inciter les élèves à publier leurs écrits sur les pages web de la classe ou sur des sites d’écriture en ligne permettait de motiver les élèves et d’améliorer leurs compétences d’écriture (Karchmer, 2001).

De plus, selon les enseignants, l’ordinateur engagerait les élèves à produire des textes plus longs, à partir du moment où l’enseignant est à même de réguler positivement l’attention et l’activité des élèves (Collin, Karsenti & Dumouchel, 2012).

Enfin, les tâches d’écriture sur ordinateur rendraient la tâche des élèves en difficultés plus stimulante et leur permettraient d’être plus attentifs et d’investir plus d’efforts sur la tâche d’écriture en tant que telle (Christmann & Badgett, 2003 ; Graham & MacArthur, 1988 ; Quinlan, 2004 ; Sturm & Rankin-Erickson, 2002). Ainsi, le traitement de texte semble engager davantage les élèves dans la tâche en cours. La question du maintien de la motivation à long terme est en revanche à étudier.

S’intéresser aux effets du traitement de texte sur l’écrit implique de porter une attention particulière aux fonctions que le traitement de texte peut offrir aux scripteurs, en cherchant à savoir si ces fonctions soutiennent la compétence à écrire et de quelle façon elles agissent sur le processus de production. Les logiciels de traitement de texte mettent en effet à disposition de l’utilisateur des aides à la correction, à la mise en texte (correcteur orthographique, dictionnaire de synonymes) ou encore à la planification (couper/coller, ajouts ou suppression de mots ou de segments verbaux facilités). Mais est-ce que le processus de rédaction est affecté par ces fonctionnalités ? Qu’en est-il des produits finis ?

Certaines recherches ont montré que ces aides permettaient une amélioration de l’orthographe et de la syntaxe en langue seconde (Barbier, Piolat, & Roussey, 1998). Pour d’autres cependant, les effets favorables de ces aides ne semblent pas faire l’unanimité (Piolat, Isnard, & Della Valle, 1993). Il semble que l’amélioration des textes se limite à l’orthographe lexicale mais que les autres aspects évalués (conjugaison, emploi des temps verbaux, accord du groupe nominal, construction syntaxique, négation, emploi des virgules, points et de la majuscule) ne se soient pas significativement améliorés avec l’usage du traitement de texte (Collin et al., 2012).

De plus, il faut pondérer la fiabilité des correcteurs orthographiques (Collin et al., 2012, p.117). Par leurs suggestions erronées et non pertinentes, ils peuvent conduire l’utilisateur à des erreurs supplémentaires ou à se poser des questions superflues. Ainsi, le correcteur orthographique a ses limites, et ne corrigeraient qu’une partie des erreurs produites (37 % chez des élèves ayant des problèmes d’orthographe selon MacArthur, Graham, Haynes & et De La Paz, 1996). Il est également possible que les élèves ne reconnaissent pas l’orthographe correcte dans la liste de suggestions.

Enfin, le traitement de texte favoriserait des corrections d’erreurs locales, c’est-à-dire au niveau du mot et de la proposition mais pas du paragraphe ou du texte dans son ensemble (Nicolet, Genevay & Gervaix, 1992). De plus, dans le cadre d’une tâche de rédaction d’une annonce dans un journal, il semble que l’utilisation seule de l’ordinateur soit moins efficace que lorsque l’utilisation de l’ordinateur est complétée avec des phases d’écriture sur papier. En effet, l’alternance entre ces deux médiums d’écriture permettrait notamment d’introduire une distance entre l’élève et sa production, et une révision portant davantage sur le sens. De plus, Piolat, Roussey et Thunin (1997) ont ainsi observé que la présentation d’un texte sur l’écran influe sur les phénomènes de relecture et de réécriture des productions écrites : comparativement à une présentation page par page, un texte présenté en continu génère moins de corrections globales. D’autres expériences ont montré que la lecture à partir d’un écran est plus lente. Cette difficulté constitue un frein à la perception globale du processus d’écriture ainsi qu’aux démarches d’autocorrection des utilisateurs (Bérard, 1997).

Clavier et maîtrise de geste d'écriture

Concernant l’exécution graphique à proprement parler, à première vue, les contraintes motrices sur clavier semblent limitées comparativement à la rédaction avec un crayon, puisque le scripteur est déchargé de certaines tâches comme gérer l’orientation gauche droite, le sens de rotation,ou encore la tenue du crayon.

Certains chercheurs ont d’ailleurs mis en évidence une écriture plus rapide au clavier comparée à l’écriture manuscrite chez des élèves de CM1 à la 5e (Alstad et al., 2015) et de 6e (Pleau & Lavoie, 2016). Cependant l’apprentissage sur clavier constitue tout de même une forme complexe d’apprentissage spatial.

Ainsi, l’utilisateur doit partager son attention entre deux espaces de travail, le clavier et l’écran, et doit se représenter mentalement le clavier et la disposition des lettres. De plus, écrire sur un clavier requiert une discrimination visuelle des différentes lettres pour aboutir à une sélection adéquate. Cette démarche demande aux non-initiés un haut niveau d’attention et a donc un fort coût cognitif, ce qui rendrait l’écriture sur le clavier moins efficace qu’à la main (Connelly, Gee & Walsh, 2007). Cette difficulté dans l’utilisation du clavier aurait un impact négatif sur la qualité des textes produits (Connelly et al., 2007).

Nouveaux outils, nouveaux effets ?

Plus récemment, l’ordinateur a laissé en partie sa place à la tablette tactile dans les classes, offrant à son tour de nouvelles fonctionnalités et particularités pour étayer la production écrite. Le clavier virtuel (utilisation du/des doigts) ou le stylet viennent remplacer le clavier de l’ordinateur. Il semblerait que l’utilisation du clavier tactile de la tablette fluidifie le geste d’écriture (Berninger, Nagy, Tanimoto, Thompson et Abbott, 2015). Jolly et Gentaz (2013) ont également montré un effet bénéfique de la tablette tactile sur la fluidité des tracés des lettres cursives, comparativement à une situation papier-crayon chez des enfants de CP présentant des difficultés à tracer des lettres.

De plus, la saisie intuitive (ou prédictive) est une spécificité de la tablette tactile que l’ordinateur ne propose pas. De la même façon que le smartphone, la tablette propose au rédacteur des mots pendant la production, sur la base de quelques lettres déjà écrites. Cette fonctionnalité peut sembler positive de prime abord. Elle pourrait faciliter la révision du texte au cours de sa production, certains mots sont corrigés avant même d’avoir été totalement écrits. Le rédacteur pourrait alors investir moins de ressources à l’orthographe et se focaliser sur des processus de plus haut niveau, au bénéfice de la qualité des textes.

En réalité, cette « aide » pourrait constituer une entrave pour les élèves faibles en orthographe ou n’ayant pas confiance en eux (en début d’apprentissage). Les résultats d’une étude exploratoire menée par Nogry et Beauvais (2019) confirment le caractère possiblement gênant de la saisie prédictive. Des observations menées dans 8 écoles, auprès d’élèves du CP au CM2, ont permis de relever que l’écriture prédictive peut être considérée comme une ressource (prise en compte de la réponse correcte proposée, réflexion sur la faute commise ou non prise en compte lorsqu’elle n’est pas adéquate) ou une contrainte par les élèves, interrompant la rédaction (source d’interférence, propositions de réponses erronées à des élèves ayant peu confiance en leur compétences orthographiques).

Conclusion

Pour résumer, les différents résultats expérimentaux disponibles dans la littérature sont contradictoires. D’un côté, les outils numériques paraissent pouvoir soutenir la production de texte. Dans les faits, il semble qu’une maîtrise de ces différents outils soit une condition nécessaire pour en tirer profit au moment de l’écriture (Crinon & Legros, 2000).

Caroline Beauvais, Maître de conférérences en psychologie du développement, Université Paris 8, laboratoire Paragraphe

Laetitia Boulc’h,  Maître de conférérences en sciences de l’éducation, Université Paris-Descartes, laboratoire EDA

https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/produire-un-texte-avec-une-tablette-tactile-a-lecole-primaire.html

Recommandations

  • Entraîner les élèves à l’utilisation des claviers car l’augmentation de la vitesse d’écriture pourrait avoir une incidence sur la qualité des productions écrites.
  • Familiariser les élèves avec les fonctionnalités et les limites des ordinateurs et tablettes (dictionnaire des synonymes, correcteur orthographique, saisie prédictive, etc.) afin qu’ils deviennent une aide à la production plutôt qu’une entrave.

Bibliographie

  • Alamargot D. & Chanquoy L. (2004), « Apprentissage et développement dans l’activité de rédaction de textes », in A. Piolat, écritures. Approches en sciences cognitives, Aix-en-Provence : Presses Universitaires d’Aix-en-Provence, p. 125-146.
  • Alstad Z., Sanders E., Abbott R. D., Barnett A. L., Henderson S. E., Connelly V. & Berninger V. W. (2015), “Modes of alphabet letter production during middle childhood and adolescence: Interrelationships with each other and other writing skills”, Journal of Writing Research, 6(3), p. 199-231.
  • Barbier M.-L., Piolat A. & Roussey J.-Y. (1998), « Effet du traitement de texte et des correcteurs sur la maîtrise de l’orthographe et de la grammaire en langue seconde », Revue française de pédagogie, 122, p. 83-98.
  • Bérard J.-M. (1997), « Point de vue : ordinateur et écriture », Revue de l’EPI, 87, p. 125-133.
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  • Christmann E. P., & Badgett J. L. (2003), “A Meta-Analytic Comparison of the Effects of Computer-Assisted Instruction on Elementary Students’ Academic Achievement”, Information Technology in Childhood Education Annual, 1, p. 91-104.
  • Collin S., Karsenti T. et Dumouchel G. (2012), « Apport des TIC pour la compétence et la motivation à écrire des élèves du primaire en contexte de classe-portable », in S. Boéchat-Heer et B. Wentzel (dir.), Génération connectée : quels enjeux pour l’école?, Bienne, Suisse : HEP-BEJUNE, p. 109-124.
  • Connelly V., Gee D. & Walsh E. (2007), “A comparison of keyboarded and handwritten compositions and the relationship with transcription speed”, British Journal of Educational Psychology, 77, p. 479- 492.
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  • Grégoire P. & Karsenti T. (2013), « Les TIC motivent-elles les élèves du secondaire à écrire ? », éducation et Francophonie, 41(1), p. 123-146.
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  • Hayes J. (2012), “Modeling and Remodeling Writing”, Written Communication, 29(3), p. 369-388.
  • Jolly C. & Gentaz E. (2013), « évaluation des effets d’entraînements avec tablette tactile destinés à favoriser l’écriture de lettres cursives chez des enfants de Cours Préparatoire », STICEF 20. [En ligne] Disponible sur  http://sticef.org, mis en ligne le 12/07/2013,
  • Karchmer R. A. (2001), “The journey ahead: thirteen teachers report how the internet influences literacy and literacy instruction in their K-12 classrooms”, Reading Research Quarterly, 36, p. 442-467.
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  • Nicolet M., Genevay E. & Gervaix P. (1992), Ordinateur et révision de texte. Evaluation de l’efficacité du traitement de texte pour la production écrite, Lausanne, Centre vaudois de recherches pédagogiques.
  • Nogry S. & Beauvais C. (2019), Écrire avec des tablettes à l’école élémentaire : analyse de l’activité des élèves, dans S. Nogry, L. Boulc’h & F. Villemonteix (Eds.), « Le numérique à l’école primaire. Pratiques de classe et supervision pédagogique dans les pays francophones », Presses Universitaires Septentrion, p. 33-52.
  • Piolat A., Isnard N. & Della Valle V. (1993), « Traitement de texte et stratégies rédactionnelles », Le Travail humain, 56(3), p. 79-99.  
  • Piolat A., Roussey J.-Y. & Thunin 0. (1997), “Effects of screen presentation on text reading and editing”, International Journal of Human Computer Studies, 47, p. 565-589.
  • Pleau J. & Lavoie N. (2016), « Crayon ou clavier ? Effet de l’outil d’écriture sur les performances graphomotrices et rédactionnelles d’élèves de 6e année », Revue de recherches en LMM (r2lmm.ca), vol. 3 (2016).
  • Quinlan T. (2004), “Speech recognition technology and students with writing difficulties: improving fluency”, Journal of Educational Psychology, 96(2), p. 337-346.
  • Sturm J. M. & Rankin-Erickson J. L. (2002), “Effects of hand-drawn and computer-generated concept mapping on the expository writing of middle school students with learning disabilities”, Learning Disabilities Research & Practice, 17(2), p. 124-139.
Dernière modification le samedi, 23 novembre 2019
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