Article publié dans les Di@logues stratégiques (Véronique Anger-de Friberg)
C’est en décembre 2009, lors des négociations sur le climat qui se déroulaient à Copenhague, que j’ai eu le déclic. Nous étions des centaines de blogueurs du monde entier réunis au « Fresh Air Center » pour couvrir à notre manière un sommet des Nations censé faire sens dans l’histoire…
Tous en prise avec ce « maintenant tenant en main le monde »
Passant d’un centre de négociations officiel de la ville à un lieu de contestation alter en croisant tantôt Naomi Klein, Rajandra Pachauri (dans le métro) ou des figures de proues de la société civile mondialisée comme Avaaz ou les Yes Men, nous étions portés par la sensation de vivre un moment historique. Avec une conviction commune forte : l’urgence du changement n’appelait que l’enthousiasme d’un engagement massif et plus que symbolique de nos dirigeants.
Au lieu de cela, Obama nous offrait une première grande déception. Nous n’avions même pas l’ombre d’un symbole. Je me souviens de trois choses alors : l’état de fatigue et de lassitude dans lequel nous étions. La tête des ministres de Tuvalu. Et ces pancartes incitant à « remplacer le partage du monde par un monde de partage » qui me trottaient en tête depuis la grand manif organisée dans la capitale danoise quelques jours avant la fin des négociations.
D’un partage du monde à un monde de partage…
Une fois rentrée en France, je m’intéressais de plus près au sens de cette formule, alors que chaque conférence ou colloque « durables » où je me rendais depuis plusieurs années incitait à une plus grande « coopération pour changer le monde » sans jamais donner de recette pour y arriver.
Persuadée désormais que le changement serait issu du local plus que du global, portée par le « pouvoir d’agir » offert par le numérique et convaincue du besoin de s’allier vite et bien pour assurer un avenir vivable aux générations futures, mes recherches me conduirent vers les notions de « radical collaboration » promue par les Américains James W. Tamm et Ronald J. Luyet vers la « co-opportunité » du britannique John Grant et vers les questions de coopétition, de consommation collaborative et de co-création.
Suite au travail mené pendant deux ans en Aquitaine, via le réseau des Entrepreneurs d’Avenir que j’animais alors, nous avons approfondi la possibilité de promouvoir une autre économie sur les territoires. L’ensemble des lectures ou recherches effectuées à cette époque m’ont alors aidé à comprendre l’une des évolutions majeures de nos sociétés actuelles : la CoRévolution.
En effet, portée par l’essor du numérique, par un contexte de crise économique, écologique et social, et par la capacité à s’auto-organiser entre particuliers, nous nous dirigeons dans une transition remplie d’inconnues et d’opportunités qui nous incitent à changer de lunettes pour mieux entrevoir la suite.
Ce qu’il faut jeter du XXème siècle
A l’image de la « petite poucette » chère à Michel Serres, nous sommes désormais tous en prise avec ce « maintenant tenant en main le monde ». Armés de doudous numériques, nous sommes en capacité d’inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et de distribution. Le peer-to-peer sort des écrans et entraîne avec lui des habitudes prises en quelques années d’internet. Nous avons appris à prendre la parole et à partager de l’information ? Nous allons apprendre à échanger des biens, des services et des compétences. Nous avons signé des pétitions et râlé sur les forums ? Nous allons favoriser la coopération entre ONG et entreprises, mais aussi co-créer avec elles de nouveaux produits. Nous avons souffert de longues chaîne d’approvisionnement alimentaires ou d’autres excès de nos modes d’échanges commerciaux actuels ? Nous allons raccourcir les périples, modifier les pratiques, produire à la maison et/ou personnaliser nos consommations. Dans nos organisations, nous ne serons plus rappelés à l’ordre sur la manière dont nous devons conduire notre travail, mais on facilitera nos travaux en nous incitant à nous rappeler pourquoi nous les avons entrepris...
Dans cette ère nouvelle où l’usage prévaut sur la propriété, et où le renouveau des pratiques de don, échanges, location ou revente reviennent en force, la réussite passe par le capital confiance et la réputation numérique, par les communautés de partage de pratiques et d’intérêt, et par le sentiment qu’il ne sert à rien d’attendre d’en haut – ou presque.
Dans cette société en devenir, les citoyens s’allient à des codeurs pour inventer des applications qui répondent à leurs soucis quotidiens, à l’image de ce que proposent des initiatives comme Fix my Street ou Code for America, aux Etats-Unis. Ensemble, ils redonnent un début de sens à la notion de démocratie (numérique).
Dans cette économie en devenir, les entrepreneurs sociaux co-créent de nouveaux modèles et inventent des profits valeureux, à l’image de ce que promeut Ashoka depuis plus de 25 ans déjà.
Dans cet environnement réinventé, les logiques de circularité et de fonctionnalité sont au cœur du système, avec le souci de préserver les ressources, d’opérer à l’infini et de lutter enfin contre l’obsolescence programmée en inventant des modèles où l’usage et le service sont au cœur de l’expérience proposées aux co(n)sommateurs. Des entreprises comme Malongo, Dyson, Patagonia, Lea Nature ou encore Eqosphere font partie de celles dont les leaders ont d’ores et déjà tout compris.
Forcément, cette nouvelle ère ne pourra plus s’apprécier et se valoriser de la même manière. Le PIB et la croissance devront laisser de l’espace à d’autres indicateurs, à de nouveaux critères et - somme toute, à une humanité riche de ces faiblesses et de son désir de préserver l’avenir.
Anne-Sophie Novel, journaliste, docteur en économie, auteur de "La Vie Share, mode d’emploi" (Éds. Alternatives, 2013). Mai 2014)
Pour aller plus loin :
- Ses blogs : Locavore spririt et Même pas mal (partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise).
- Son site site web personnel : De moins en mieux.
Retrouvez également Anne-Sophie Novel le 22 mai prochain aux côtés de Joël de Rosnay et de Véronique Anger-de Friberg, invités des Rendez-Vous du Futur pour une émission spéciale « 2ème édition du Forum Changer d’Ère ». À suivre en direct depuis les studios du Cube à Issy-Les-Moulineaux ou en vidéostreaming sur internet sur : www.rendezvousdufutur.com pour tout savoir sur le Forum Changer d’Ère #2.
Dernière modification le vendredi, 03 octobre 2014