Twitter répond-il à leur besoin ou au mien ? Pour entrer dans un tel projet, il m’apparaît que j’ai du me l’approprier puis le dévoluer avec certaines contraintes telles que tout milieu didactique l’impose ( Brousseau, 1990). Mais ces contraintes, les 140 caractères et l’orthographe en particulier me semblaient évidentes en termes d’objectifs dans l’acquisition de la langue écrite et dans le but de communiquer avec autrui. Qu’allais-je modifier, créer, ouvrir avec cet outil ?
En fait, je me trompais dans mon questionnement. Un affrontement a eu lieu car ce qui les dérange n’est nullement la taille de l’écrit ou l’orthographe, c’est tout simplement le fait de partager une information, un résultat, une compétence, un fait divers qui viennent de leur être de chair et de sang à travers des mots. Ces mots laissent un passage de leur existence, une trace. Cette trace d’eux est lisible, par eux et par d’autres. Le Je entre en jeu. Terrible pour ces jeunes qui ont tant de peines à verbaliser leurs ressentis. Ce Je si confrontant à leur propre perception de vie qu’ils ne ressentent que peu. Je vais devoir parler de MOI, écrire en mon nom, signé un message que j’ai écrit issu de ma propre pensée. En suis capable ? Mais surtout, quelles en sont les implications personnelles ?
Le contexte scolaire est une autre des contraintes qui m’a interrogée. Autant s’envoyer des milliers de Whats’app ou facebooker est sans soucis dans la vie privée, autant, en milieu scolaire, poser les doigts sur les touches du clavier de l’Ipad ou de l’écran provoque en eux des angoisses très fortes et étonnantes. Il faut alors que je twitte en alternance, qu’ils me dictent leur twitt ou que je twitte avec eux pour qu’ils osent appuyer sur les touches ou effleurer l’écran. Ils ont entre 13 et 16 ans et le seul fait d’entrer en scène dans un contexte scolaire ravivent leurs douleurs profondes.
Certains ont téléchargé l’application en secret : ai-je reçu une réponse ? est-ce que quelqu’un a retweeté ? est-ce que j’existe ??? Autant de questions propres à leurs troubles si prégnants, mais ô combien facilité par l’usage de twitter : on ne peut lire les émotions de ses pairs à travers des mots, aucun visage, aucun regard qui pourrait être intrusif. JE suis seul face à ce clavier, JE suis maître à bord de mes pensées et de mes écrits. JE peux effacer, supprimer. Quelle réassurance !
ô miroir, mon beau miroir ! Toi seul peux me lire et me refléter, cet écran que je pense contrôler, tu ne m’auras pas.
Jusqu’à ce qu’un twitt me parvienne en retour…. ! Comment gérer le fait qu’un Autre me réponde ?
Le besoin n’existait pas en tant que tel, certes, certains ne connaissaient même pas cet outil. Je l’ai donc suscité…ils se le sont appropriés inconsciemment, il s’est immiscé dans la relation. Et il devient réel, presque réalité. Que vont-ils en faire maintenant ?…..On verra à la rentrée avec les 5 élèves qui poursuivent leur scolarité dans la classe. Les 7 autres nouveaux élèves seront ils conquis ?… à suivre….
Anne Andrist
Anne andrist pratique la pédagogie Freinet et la PI depuis 18 ans, fut membre du groupe départemental de l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne de Seine Maritime (ICEM) en France pendant de nombreuses années. Maternelle, Primaire, Segpa, Clis, IME, 18 ans de ZEP en tant que titulaire ou brigade départementaleet enseigne à Lausanne au sein d’une fondation d’enseignement spécialisé depuis 2007.
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Dernière modification le vendredi, 03 octobre 2014