L’appel de Delphine Riccio
Delphine Riccio est Psy-EN dans l’académie d’Orléans-Tours. Elle est également vice-présidente de l’Apsyen (Association des psychologues et de psychologie dans l’Éducation nationale ; spécialité éducation, développement et conseil en orientation) qui prend la suite de l’ACOP-F. Elle écrit régulièrement dans la revue Questions d’orientation et a publié également sur le site des Cahiers pédagogiques[2].
En conclusion de cette tribune, elle écrit : « Il s’avère indispensable d’accompagner les jeunes à pouvoir conduire la société dans une direction qui fasse sens. Lieu de construction de la citoyenneté, l’école est propice à être un lieu d’apprentissage du débat et de l’altérité si nous souhaitons allier vie démocratique et transformations sociétales. Ces espaces réflexifs favoriseraient le travail de deuil du « paradis perdu ». Parce que construire un monde habitable et respectueux du vivant fait sens, il est temps aujourd’hui d’adopter une démarche en orientation humaniste qui favorise l’élaboration d’un rapport « Je-Nous », entre individualités et collectif. »
Cette opposition entre les deux intérêts ont traversé de multiples débats dans le cours historique de l’orientation tels qu’ils se sont développés en France. On peut signaler quelques exemples.
Tensions historiques
L’organisation de l’orientation professionnelle s’est articulée sur cette question : l’avis d’orientation fut imposé pour la signature du contrat afin d’éviter les risques tant individuels que collectifs résultants d’une mauvaise orientation. Mais s’il était obligatoire, seul les contre-indications devaient être respectées. La liberté du choix professionnel individuel ( ou parental) devait être préservé.
Cette tension entre l’individu et la société est résolue très tôt, en particulier par Hippolyte Luc dans ses conférences qu’il prononce dans les années 30. Jérôme Martin en fait le rappel[3] :
«En vertu des principes du solidarisme, il n’y a pas de contradiction entre l’individu et la société car l’orientation permet de créer un ordre social juste reposant sur la science. C’est donc du côté des valeurs fondatrices de l’école primaire qu’il convient de rechercher les soubassements de l’orientation. L’affirmation réitérée d’une possible et nécessaire harmonie entre le choix individuel d’un métier et les effets sociaux bénéfiques qui en résultent puise aux fondements de la morale laïque qui repose sur l’idée que le juste est défini comme ce qui est conforme au bien collectif, à celui de la société sacralisée (Gautherin, 2002). Dans cette perspective, il incombe à l’État, au nom de l’intérêt de la société et de l’individu, de guider les individus vers les métiers, mais sans pour autant totalement étatiser les services d’orientation qui doivent être investis par les acteurs socioéconomiques afin d’en accroître l’efficacité. »
Plus près de nous, cette tension s’est à nouveau manifestée lors de l’introduction de l’éducation à l’orientation dans les établissements par le ministère de l’Éducation nationale. L’une des critiques faisait références aux risques d’une trop grande influence possible des intérêts collectifs (objectifs de l’État ou intérêts des entreprises) sur les élèves. S’y jouait également la préservation de la conception professionnelle du conseiller comme expert face à l’organisation collective des actions d’éducation à l’orientation.
Un nouvel angle d’attaque
Delphine Riccio relance le débat à partir d’un autre problème. Après avoir évoqué toute une série de difficultés dans le fonctionnement de l’orientation, elle aborde le point central.
« Chaque jour, nous voyons un paradoxe agir. Alors que l’urgence climatique vient interroger notre surconsommation, lorsqu’on parle orientation et projection dans l’avenir, il s’agit avant tout d’une rêverie individuelle, celle d’un bon métier où l’on gagne de l’argent pour assurer une consommation qui ne manquerait de rien. Or, les ressources naturelles sont limitées. »
Ainsi, l’aide à l’orientation centrée sur la réalisation du projet personnel parait contre-productive au regard d’une vision générale.
Orientation, écologie, éthique, devront se joindre. Retour au solidarisme !
Mais
Mais cette proposition peut-elle être entendue aujourd’hui par les personnels de l’éducation nationale ? Côté enseignants, même si cette proposition peut avoir quelque écho pour certains d’entre eux, on doit malheureusement regretter que l’organisation individualiste du métier ne facilite pas sa réalisation car ce type d’objectif suppose beaucoup de coordination.
Et côté conseillers d’orientation, ou plutôt PsyEN, ce nouveau statut a engagé ces personnels dans des préoccupations psychologiques. L’orientation scolaire et/ou professionnelle, n’est plus au centre de leurs activités, et certains porteurs du projet de ce statut de PsyEN voulaient clairement l’engager vers un objectif de santé.
Espérons que cette proposition ne vient pas trop tard ?
Bernard Desclaux
[1] https://www.lemonde.fr/education/article/2021/10/12/du-reve-individuel-au-projet-de-societe-l-accompagnement-a-l-orientation-doit-evoluer_6097993_1473685.html
[2] Qui dois-je sacrifier? Article publié le 12 novembre 2020, https://www.cahiers-pedagogiques.com/qui-dois-je-sacrifier/
[3] Jérôme Martin, « Henri Piéron, Hippolyte Luc, Antoine Léon et Maurice Reuchlin : quatre figures de l’histoire de l’éducation et de l’orientation », L’orientation scolaire et professionnelle [Online], 48/2 | 2019, Online since 01 June 2021, connection on 14 October 2021. URL : http://journals.openedition.org/osp/10786 ; DOI : https://doi.org/10.4000/osp.10786
Dernière modification le jeudi, 03 novembre 2022