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Agir comme un lobby, avoir une attitude de lobby, n’est pas mauvais ni détestable a priori. Ce n’est pas honteux non plus. Je mets, pour ma part, deux conditions pourtant pour accorder à leur égard un peu de bienveillance à ces entreprises idéologiques, politiques ou économiques, c’est selon : ne pas sacrifier le bien ou l’intérêt général — d’aucuns parleraient de bien commun — au profit de son intérêt particulier, d’une part, enfin d’autre part ne pas user pour argumenter d’allégations fallacieuses ou de mensonges éhontés.

Depuis un bon moment déjà, avec d’autres, la Société informatique de France exerce un lobbying constant et un peu trop visible pour l’enseignement de l’informatique.

Attention !, il ne s’agit pas d’enseigner l’informatique à l’Université ou dans des formations professionnelles, non, ça, c’est déjà fait, il s’agit d’enseigner l’informatique à l’école, au collège et au lycée, comme une discipline scientifique spécifique, enseignement assuré par des professeurs d’informatique recrutés par un CAPES et une agrégation d’informatique.

Depuis quelques années, depuis beaucoup plus longtemps pour le groupuscule qui les assiste, l’EPI — les anciens de l’EPI ont renoncé à comprendre dans quels travers obscurantistes est tombée cette association si puissante et si éclairée jadis —, ces gens-là font le tour des cabinets, dans les ministères, auprès des parlementaires ou de leurs assistants, auprès de toutes les institutions qui peuvent porter leur projet. Cela leur fait un deuxième travail à plein temps. Ils ont la vie dure mais la couenne imperméable. C’est d’autant plus méritoire qu’après être passés par de nombreux et flatteurs succès, ils subissent ces derniers temps nombre d’échecs ! Dont certains plutôt cuisants…

Un peu d’histoire en quelques dates repères — merci à l’EPI pour l’archivage :

  • 1981 : création d’une option informatique en lycée, option supprimée partiellement dix ans après puis, définitivement, en 1997 après le constat de son échec ;
  • 1997  : interrogée par un sénateur sur l’enseignement de l’informatique, Ségolène Royal, alors ministre, répond que la création d’une discipline spécifique pourrait même avoir un effet contraire au but visé en déssaisissant les autres disciplines de la prise en compte de ces enjeux ;
  • septembre 2012 : ouverture d’une option, réservée aux seuls élèves de terminale S, appelée « Informatique et sciences du numérique », qui ne concerne, en 2014, que moins d’un lycée sur deux, faute de professeurs qualifiés et compétents ;
  • mai 2013 : sortie du rapport de l’Académie des sciences « L’enseignement de l’informatique en France, il est urgent de ne plus attendre » qui a reçu un accueil plutôt circonspect ; à noter que ce rapport n’est pas le seul de cette noble et haute institution à subir les critiques, le précédent « L’enfant et les écrans » ayant montré l’incapacité de ses auteurs à se faire comprendre et à discerner la différence entre les interfaces et les contenus qui les traversent ;
  • juin 2014 : présentation du premier projet de nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture par le Conseil supérieur des programmes, première version, qui évoque que l’élève « sait que les équipements informatiques utilisent une information codée et [qu’] il est initié au fonctionnement, au processus et aux règles des langages informatiques ; [qu’]il est capable de réaliser de petites applications utilisant des algorithmes simples » ; une phrase suffisamment sibylline pour que la SIF, l’EPI et la PEEP se lancent à crier victoire ensemble dans un communiqué drôle et décalé ;
  • 1er septembre 2014 : conférence de presse de Najat Vallaud-Belkacem qui rappelle que l’éducation aux médias et à l’information doit intégrer dans les disciplines les nouvelles compétences de littératie numérique indispensables à la formation du futur citoyen ;
  • 3 octobre 2014 : sortie du rapport du Conseil national du numérique, rapport qui reçoit un accueil mitigé, notamment à cause de son point 1 intitulé, devinez !, « Enseigner l’informatique : une exigence » rédigé de la même main que celui de l’Académie des sciences car on y relit exactement les mêmes phrases ; ce rapport a été très contesté en interne dans tous les corps de l’Éducation nationale ; tout récemment encore, après bien d’autres critiques, on peut lire, parmi d’autres, la réaction de l’union des professeurs de sciences et techniques industrielles ;
  • 4 décembre 2014 : Najat Vallaud-Belkacem annonce la création d’une option informatique au CAPES de mathématiques.

Enfin, les lobbyistes en chef de la SIF, se fendent, le 8 décembre dernier, d’un papier très drôle dans Slate.fr, où ils ont manifestement leurs entrées, dans lequel ils font part de leur rancœur et réexpliquent pourquoi et comment il faut enseigner l’informatique. Contrairement à mes habitudes, je vous ai mis le lien pour que vous puissiez vous rendre compte…

mg2Premier constat, tout le monde leur en veut :

  • la création d’une option informatique au CAPES de mathématiques est un sévère camouflet ! Voilà plus de vingt ans que ces universitaires informaticiens essaient de faire comprendre à leurs collègues mathématiciens et scientifiques qu’ils ne sont pas leurs porte-faix !
  • l’inspection générale est défavorable à l’enseignement de l’informatique et le fait savoir haut et fort ;
  • la ministre et son cabinet — ce n’est pas faute pourtant d’avoir essuyé ses parquets — ne veulent pas d’une nouvelle discipline informatique et privilégient une littératie numérique globale.
  • Premier argument : nous serions, en France, des ringards attardés « Les pays autour de nous font le choix de former au numérique par l’enseignement de l’informatique ». C’est faux, tout simplement. Le paysage est beaucoup plus complexe — un panorama mondial nous a été présenté encore tout récemment à Cenon Bordeaux à l’occasion des Boussoles du numérique. Partout on tente de mettre en accord les enseignements avec la société numérique, ce qui n’est pas toujours aisé. Et même si, dans certains pays, l’école numérique a plus vite avancé qu’en France, il n’est nulle part question d’enseigner l’informatique en tant que discipline, comme seul substitut à un enseignement du numérique. Nulle part ! Premier mensonge.

    Deuxième argument : l’entreprise aurait le soutien de l’Académie des sciences et du Conseil national du numérique — normal, le rédacteur des deux rapports était le même lobbyiste — mais aussi du Conseil supérieur des programmes ! Ça, c’est encore vraiment faux. Si, dans le projet présenté au ministre, certaines lignes évoquent l’informatique, c’est toujours dans le cadre plus général de l’accès de tous les élèves à une culture numérique globale. Il n’est jamais question d’un nouvel enseignement, encore moins d’une nouvelle discipline.

    Troisième argument : si le ministère s’oppose à l’enseignement de l’informatique, c’est que, je cite car on atteint des sommets dans le burlesque, « cela fâcherait les autres disciplines et qu’il faudrait un courage politique extraordinaire pour décider d’enlever des heures ailleurs ». Et de faire une proposition en prenant une heure par mois à chaque discipline de collège, en français, en mathématiques… en éducation physique et sportive pour permettre d’enseigner trois heures, oui trois heures par semaine d’informatique !

    Et d’expliquer que l’enseignement de l’informatique est une nécessité car, je cite encore « les professeurs de technologie seront débarrassé (sic) de l’enseignement des technologies numériques, qu’ils aiment rarement enseigner et pourront ainsi se concentrer sur le cœur de leur métier ». Les professeurs de technologie apprécieront.

    Comment dire ? Ces gens-là ne sont pas sérieux. Nous avons besoin d’informaticiens sérieux. L’école a besoin d’informaticiens sérieux.

    Il convient d’abord de rappeler que certains éléments d’informatique sont déjà enseignés, depuis 1985 dans des ateliers ou des clubs scolaires ou périscolaires, au collège dans les programmes de technologie, au lycée dans l’option ISN en terminale S, dans les programmes de STI 2D enfin, contrairement à ce que pense le Conseil national du numérique.

    Peut-être convient-il de dire ensuite, je vous l’accorde sans que cela me coûte, que tout cela ne suffit pas et que l’informatique, la science informatique, n’ont pas la place qu’elles méritent à l’école.

    Ce dont cette dernière a besoin, et c’est semble-t-il le chemin qu’elle semble prendre, en vagabondant, certes, c’est de programmes disciplinaires rénovés qui s’éclairent d’une littératie numérique globale (1). C’est ce que tout le monde attend et espère d’un Conseil supérieur des programmes en prise avec son temps. Au-delà des programmes et des modalités d’enseigner, c’est aussi une culture numérique humaniste qui doit irriguer ces programmes et être enseignée en formation initiale.

    On aura alors tout simplement besoin d’apprendre à programmer à l’école du premier degré pour tel ou tel projet robotique, d’apprendre le fonctionnement des machines et des réseaux en technologie au collège, d’acquérir les compétences nécessaires pour publier en français, de construire quelques algorithmes simples en mathématiques, de déchiffrer les messages d’information en documentation, etc., de continuer tout cela au lycée dans toutes les disciplines jusqu’à la généralisation de l’option ISN à toutes les classes de terminale.

    Et l’école aura alors besoin d’informaticiens sérieux pour former tous les jeunes professeurs, à tous les niveaux, dans toutes les disciplines, qui s’engageront dans ces nouveaux programmes rénovés. Et de former les cadres, inspecteurs et chefs d’établissement.

    Comme elle aura aussi besoin d’informaticiens compétents et sérieux pour former les techniciens qui seront chargés par les collectivités de la maintenance des matériels… Comme elle aura enfin besoin des mêmes informaticiens pour former les administrateurs des parcs informatiques des écoles, collèges et lycées, à même de comprendre les besoins spécifiques de l’école.

    Mais, franchement, elle peut se passer de tous ceux qui veulent enseigner l’informatique sans ordinateurs et sans connexion — oui, oui, c’est au programme de nos lobbyistes —, comme elle peut se passer et se passera de ceux qui n’ont toujours pas compris que le numérique imposait un regard transversal et que, dans ce cadre, il était particulièrement et curieusement incongru et rétrograde de réclamer à cors et à cris une nouvelle discipline informatique !

    Michel Guillou @michelguillou

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    Crédit photo : coofdy et emilio di fabio via photopin cc

    1. Pour une littératie numérique qui traverse et éclaire les disciplines scolaires http://www.culture-numerique.fr/?p=869

 

Dernière modification le dimanche, 21 décembre 2014
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.