Qu’il pourra très légitimement et très utilement le faire à d’autres moments, s’il le souhaite, mais en ayant clairement à l’esprit que cette question ni les réponses qu’il saura y apporter ne lui permettront de faire de la machine un usage meilleur (plus complet). Tandis qu’à l’école, quand nous demandons à un enfant d’apprendre un poème, nous voudrions non seulement qu’il le comprenne mais qu’il soit capable de l’expliquer.
Célestin Freinet écrit (dans Les Dits de Mathieu) : "Soyons francs : si on laissait aux pédagogues le soin exclusif d’initier les enfants à la manœuvre de la bicyclette, nous n’aurions pas beaucoup de cyclistes. Il faudrait, en effet, avant d’enfourcher le vélo, le connaître, n’est-ce pas, c’est élémentaire, détailler les pièces qui le composent et avoir fait avec succès de nombreux exercices sur les principes mécaniques de la transmission et de l’équilibre. Après, mais après seulement, l’enfant serait autorisé à monter en vélo."
Ce qui n’est pas d’abord de l’ordre du langage, le fonctionnement d’une bicyclette, par exemple, il nous semble que nous le comprendrons quand nous serons capables de l’expliquer avec des mots. Pour autant, que nous nous trouvions incapables de le faire ne nous surprend pas vraiment, nous en prenons notre parti. D’autres ont fourni cette explication ou le feront à notre place. Tandis qu’il nous semble que ce qui est fait avec des mots, un poème, par exemple, à moins d’être stupides, nous devrions pouvoir le comprendre et l’expliquer.
Ceux qui lisent un poème s’efforcent dans tous les cas de le comprendre, c’est-à-dire de se représenter ce qu’il dit, c’est inévitable, tandis que personne (ou presque), à moins d’y être contraint, ne se préoccupe de l’expliquer. Précisons que pour le comprendre (se représenter ce qu’il dit), il n’y a rien à dire (à ajouter), tandis que pour l’expliquer, ce serait nécessaire.
L’enfant monté pour la première fois sur une bicyclette hésite à l’instant de s’élancer. Il n’est pas certain de bien comprendre alors comment cela fonctionne, comment cela est possible. Mais une fois qu’il est parti, qu’il a un peu pédalé puis qu’il est revenu sans tomber, qu’il met pied à terre à l’issue de son premier tour de bicyclette, on lui voit sur le visage un sourire de satisfaction qui indique qu’il a compris. Il ne lui viendrait pas l’idée de donner ni de demander alors aucune explication. De rien dire. Cela se passe de mots. Son corps a compris. Et de même pour l’enfant qui vient de reconstituer oralement un poème devant un écran de Moulin à paroles (m@p). Il n’ajoute rien mais son visage marque une franche satisfaction. Parce que, cette fois enfin, il a la certitude tranquille d’avoir compris le poème en question. Il le sait.
Un poème n’est pas fait pour être expliqué mais pour être compris, et un enfant l’a compris quand il est capable de le reconstituer dans son entier comme il le fait devant le dernier écran d’un m@p.
Sur tel écran après l’autre du m@p, l’élève peut se trouver arrêté et avoir besoin d’explications concernant la signification d’un mot. Son professeur peut les lui fournir ou il peut les rechercher lui-même sur la Toile. Mais une fois que, parvenu au dernier écran, il est capable de reconstituer le texte dans son entier, il n’y a rien à ajouter. Le tour est joué.
Christian JACOMINO
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