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En cette situation complexe et inédite, outre la peur du virus, inutile de dire que ce qui marquera les esprits pour longtemps sera le confinement et cette privation de mouvement, cette diminution de nos espaces physiques. Nous vivons ce moment dans des conditions plus ou moins faciles et, si pour ma part j'avoue que j'ai de la chance, c'est quand même en cette période que je regrette profondément de ne pas m'être endetté sur 40000 ans en ayant acheté un château de 120 pièces, 53 chambres et son parc de 80 hectares avec bois et plans d'eau. Nul doute que je ne saurais ce qu'être confiné veut dire.

 

Notre espace se rétrécit tel un sablier en son centre jusqu'à cet infime point où peu de sable passe.

Ce n'est pas nouveau et il n'a pas fallu attendre le confinement pour que notre espace physique se rétrécisse virtuellement.

Certes on peut voyager, se déplacer mais le compositeur Raymond Murray Schafer déplorait déjà en 1977 dans son ouvrage "Le paysage sonore : le monde comme musique" que pratiquement aucun territoire sur notre planète n'avait été épargné par la pollution sonore. Ne serait-ce que le seul passage d'un avion fait de territoires vierges des espaces désormais souillés. Bref, plus grand-chose à découvrir, à explorer et l'on pourrait avoir la tentation de se réfugier dans des mondes imaginaires. J'avoue avoir replongé après avoir fouillé dans ma cinémathèque dans quelques vieux téléfilms relatant les aventures des Ewoks, ces compagnons de bataille des héros de la saga Star Wars. À moi les planètes inconnues et leur lot de paysages et créatures fantastiques !

Les livres et films d'aventure sont bien souvent les compagnons de l'enfance. Les jeux de type RPG (Role Playing Game) font recette. Les ventes d'ouvrages d'explorateurs ou d'aventuriers tels Mike Horn, Sylvain Tesson, Jean-Louis Etienne ou Sarah Marquis se portent plutôt bien montrant notre soif d'ailleurs.

Et nous sommes confinés avec pour ma part, les premiers jours, cette impression d'avoir les fesses coincées dans cette cuvette du sablier.

Mais la bonne nouvelle c'est qu'il y a une sortie et, en me tortillant bien, j'ai fini par passer de l'autre coté.

Comment ?

C'est là que le numérique intervient.

Exit les statuts Facebook, les fils Twitter, les quelques sites phares et stars que nous présentent inlassablement les moteurs de recherche, exit ces quelques plateformes qui semblent monopoliser le web.

Que savons-nous des milliards de téra-octets qui constituent le contenu de notre réseau favori ? En fait, pas grand-chose...

J'avooue que cela m'attriste (et m'agace profondément) quand je reçois des résultats de requête avec la mention "manque le terme : XXXX". Hé ! Cher moteur de recherche, je ne te demande pas de réfléchir et de me servir ce que tu penses être la bonne réponse parce que des millions de consommateurs ont choisi ce site. Je ne te demande rien de standardisé mais juste la bonne réponse, quitte à sombrer sous une avalanche de résultats dans lesquels je plongerai avec délices tel Picsou dans les milliards de pièces que contient son coffre (ceci reflétant une partie de mes lectures actuelles).

Bref, l'explorateur tout court est coincé chez lui mais l'explorateur numérique se glisse à travers l'orifice du sablier et peut alors se faire archiviste, archéologue, élargir son univers pas seulement dans les méandres de Wikipédia déjà bien vastes mais plutôt dans des contrées peu explorées.

Envie de voyager ? Google Earth et son célèbre "Street View" qui référence parfois des lieux insoupçonnés.

Il y a ces millions de vidéos qui cumulent très peu de vues et attendent un regard amical et curieux, la caverne d'Ali Baba que constitue le site Internet Archive dont connaît parfaitement l'entrée mais dont on peine à trouver la sortie.

Il y a ces moteurs de recherche comme Shodan qui donnent accès à des millions d'objets connectés, ces autres moteurs qui ne cherchent pas à vous influencer ou à vous proposer du contenu mais à vous ouvrir les portes du web comme DuckDuckGo ou Startpage.

Il y a ces techniques qui vous permettent de détourner le fonctionnement des outils numériques comme le Google Hacking, véritable sport d'exploration des URLs. Certes, la plupart des médias mettent en avant le coté "sensible" des données mais bien avant cela le Google Hacking peut être perçu non comme un outil d'intrusion mais un moyen de faire de l'archéologie du web. On peut certes chercher des mots de passe mais aussi des textes, des poèmes, des images, des livres... Et même des webcams révélant ainsi nombre de dispositifs que leurs utilisateurs ont oublié de sécuriser derrière un réseau privé, laissant ainsi l'accès libre à tout un chacun. Qu'on se rassure : si l'on imagine immédiatement les atteintes à la vie privée possible via ce biais, la réalité sera plus poétique vous dévoilant des commerces, des épiceries, des ports, des halls d'hôtel, des jardins... Rien de répréhensible.

Et les urls alors ? Les sites des musées fourmillent d'images de leurs collections dont on peut récupérer l'URL en faisant un clic droit sur l'image et en choisissant "Enregistrer l'adresse de l'image", par exemple cette adresse factice "https://musee-education-educavox.fr/images/DSC0564.jpg".

Vous êtes-vous jamais demandé quel serait le résultat si vous modifiez le chiffre dans l'url ? Que va nous offrir "DSC0565" par exemple ? Et "DSC0566" ou "DSC0001" ? Je me suis fabriqué ainsi récemment une petite visionneuse d'images issues de plusieurs musées grâce à cette technique, une sorte de visite virtuelle jouant beaucoup sur le hasard. De nouveau, rien de répréhensible là-dedans, ces contenus étant accessibles sur le web. Nous ne faisons que modifier la méthode pour y accéder.

Je suis donc tombé de l'autre côté du sablier et cela se passe plutôt bien. Il y a tant à découvrir, tant à apprendre que le risque cette fois serait de vouloir tout savoir, tout apprendre. Mais ce n'est pas un grand risque. Au delà de l'image que les médias s'évertuent à fabriquer, le hacking représente à mes yeux avant tout cette dose de curiosité que sert la technique et la poésie qui l'accompagne.

Bref, on est confinés. Ce n'est pas drôle pour les explorateurs que nous sommes mais cela pourrait être pire. Regardez votre écran, oubliez les plateformes classiques et tendez la main. Peut-être que tel qu'avec le miroir d'Alice celui-ci plongera dedans.

Dernière modification le lundi, 27 avril 2020
Cauche Jean-François

Docteur en Histoire Médiévale et Sciences de l’Information. Consultant-formateur-animateur en usages innovants. Membre du Conseil d'Administration de l'An@é.