Cependant, diverses clauses complémentaires du texte d'origine sont progressivement venues restreindre la stricte application de ce droit :
- "Il (le candidat) doit pouvoir, s'il le désire, être inscrit en fonction des formations existantes dans un établissement ayant son siège dans le ressort de l'académie où il a obtenu le baccalauréat ou son équivalent". En d'autres termes, ce droit d'accès automatique s'estompe dès lors que la candidature porte vers une université située hors de son académie d'origine.
- "Lorsque l'effectif des candidatures excède les capacités d'accueil d'un établissement, constatées par l'autorité administrative, les inscriptions sont prononcées, après avis du Président de cet établissement, par le Recteur chancelier, selon la règlementation établie par le ministre chargé de l'enseignement supérieur, en fonction du domicile, de la situation de famille du candidat, et des préférences exprimées par celui-ci". Autrement dit, l'accès à de telles licences "à capacités d'accueil inférieures au nombre des candidats" peut faire l'objet d'une restriction du droit d'accès automatique.
Toutefois, ce texte législatif ajoute que "les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations (universitaires) excluent toute sélection (...)", sauf dans le cas des établissements dont le statut autorise à procéder ainsi. Parmi les formations universitaires de premier cycle, le texte cite une liste des établissements universitaires autorisés à user de pratiques sélectives à leur entrée : les Instituts universitaires de technologie, les "grands établissements", les instituts et écoles universitaires divers, et par extension, toute formation universitaire autorisée à pratiquer à ses recrutements d 'étudiants par procédure de sélection (bi licences, classes préparatoires universitaires, etc.).
1. Une liberté en partie remise en cause par la loi "orientation et réussite des étudiants" , N° 2018-166 du 8 mars 2018 (loi ORE), venue modifier l'article L 612-3 du Code de l'éducation.
Concernant l'enseignement supérieur, la campagne électorale en vue des élections présidentielles de 2017 avait été marquée par un débat portant sur deux sujets importants :
- Comment significativement réduire les trop importants taux d' échec constatés dans les premiers cycles universitaires non sélectifs (notamment en première année) ? Force est de constater que la liberté d'admission automatique dans nombre de premiers cycles universitaires non sélectifs s'accompagne de taux d'échec insupportables : d'après les informations diffusées par l'édition de 2018 de "Repères et références statistiques" (édité par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance" du Ministère de l'Education nationale) seuls 15% à 40% (selon les spécialités) des étudiants admis en première année d'un premier cycle universitaire non sélectif parviennent à entrer en deuxième année en un an pile ! Et si on considère le taux moyen d'accès au diplôme de licence en trois, quatre ou cinq ans, on observe que pour les licences non sélectives il n'est que de l'ordre de 45%, moins de 25% y parvenant en trois ans pile. A quoi bon préserver le droit d'accès automatique si c'est pour aboutir à de tels taux d'échec ?
- Comment, sans rompre avec le principe du libre accès de tout bachelier (ou équivalent) à une première année de premier cycle universitaire non sélectif, "réguler les flux d'entrée", lorsque les capacités d'accueil sont inférieures au nombre des candidats. A l'époque de la procédure télématique "APB" (admission postbac) on procédait par tirages au sort (ce fut le cas jusqu'en 2017) ! Cette pratique fit l'objet de vives critiques, ainsi que d'une multiplication des recours judiciaires suivis de très nombreuses décisions des Tribunaux administratifs, en faveur des familles. Sur ce point, le Président MACRON commentant la loi ORE a déclaré que ce texte "tourne la page d'un système absurde : la sélection par le tirage au sort". Il ajoute que désormais "ce sont les équipes pédagogiques des universités qui analyseront les dossiers des candidats (...) quand il y a plus de candidats que de places, c'est un processus qualitatif qui adviendra".
Par ces mots, le Chef de l'Etat a ouvert le chemin qui conduit vers une forme de régulation des flux d'entrée en premier cycle des études universitaires officiellement non sélectives. De fait, la loi ORE permet désormais à chaque université de recruter ses étudiants en tenant compte des informations (notes, appréciations qualitatives, avis, présentation d'un "projet motivé" (lettre de motivation) contenues dans les dossiers que les candidats transmettent via la plateforme Parcoursup. Désormais, on compare les profils des candidats aux "attendus" (liste de connaissances et compétences requises) que chaque formation doit désormais faire connaître avant que les lycéens n'expriment leurs demandes d'admission, et servent de critère fondamental pour classer l'ensemble des candidats, du meilleur au moins bon.
2. Il existe désormais trois catégories de formations universitaires de premier cycle :
Concernant les premiers cycles universitaires, on peut constater qu' il existe aujourd'hui trois catégories de formations de premier cycle : celles qui sont sélectives, celles qui ne le sont strictement pas, et celles qui tout en étant officiellement non sélectives sont contraintes de trier leurs candidats faute de disposer de capacités d'accueil suffisantes pour les accueillir tous.
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Le boom des formations universitaires de premier cycle sélectives :
C'est dans les années 1960, à l'occasion du débat concernant la création des Instituts universitaires de technologie (IUT), que fut posée pour la première fois la question de la sélection à l'entrée de certains premiers cycles universitaires. Au nom du strict respect du droit d'accès sans sélection de tout bachelier à une première année d'un premier cycle universitaire, il y eut une vive opposition à l'idée de recruter les étudiants d'IUT sur procédure de sélection à l'entrée. Christian FOUCHET - alors Ministre en charge de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur - parvint néanmoins à ses fins et obtint la publication du décret du 7 janvier 1966 créant les IUT, et stipulant que l'accès des bacheliers (ou d'un équivalent baccalauréat) à cette filière est sélective. Ce fut une première entaille au principe édicté parw le Code de l'Education.
Un peu plus tard, dans la première moitié des années 1980, le débat sur la sélection à l'entrée des universités fut relancé à l'occasion de la préparation de la "loi Savary", du nom du Ministre de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur d'alors. Dans son Titre III, ce texte législatif dresse une liste d' "établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel" disposant d'une plus large autonomie que les autres, et en particulier du droit de recruter leurs étudiants en dérogation de la règle générale, donc de pratiquer une sélection à leur entrée. C'est ainsi qu'une grande partie des écoles et instituts universitaires (d'ingénieurs, les Instituts d'études politiques ... et ce qu'il est convenu de nommer "les grands établissements") rejoignirent la liste des établissements universitaires autorisés à pratiquer une sélection à leur entrée.
Ce dispositif fut complété en 1985 par la création du statut d' "université de technologie" (Compiègne, Sochaux, Belfort...), permettant de recruter les étudiants admis en première année sur procédure de sélection. Pensant pouvoir aller plus loin, le Ministre Devaquet s'engagea alors dans un nouveau projet de loi qui incluait la possibilité de généraliser le principe de sélection à l'entrée des premiers cycles universitaires. C'était manifestement trop : les manifestations d'étudiants, de lycéens, d'enseignants du secondaire et du supérieur, et de bien d'autres, conduisirent le pouvoir d'alors à renoncer à ce projet de loi, marquant pour un temps un coup d'arrêt à la progression des pratiques sélectives à l'entrée des universités.
Par la suite, divers autres établissements universitaires tentèrent de pratiquer une forme de sélection à leur entrée. Ce fut tout particulièrement le cas emblématique de l'université de Paris-Dauphine qui commença à le faire illégalement, entraînant plusieurs recours judiciaires que cette université perdit presque systématiquement. Il en découla que les responsables de cette université demandèrent et obtinrent, le 24 février 2004, après bien des hésitations du gouvernement qui craignait une vive réaction, le statut de "grand établissement", grâce auquel ils purent légalement sélectionner les étudiants à l'entrée de la première année de leur premier cycle.
Cependant, cette façon dé déroger au principe de non sélection à l'entrée d'une université toute entière fut considéré comme ne pouvant pas trop s'étendre, menaçant de déclencher de très vives réactions hostiles. Le gouvernement préférait visiblement une ligne plus "soft", plus acceptable par le milieu universitaire, qui consistait à autoriser chaque université à créer un nombre limité de cursus sélectifs à leur entrée, prenant place aux côtés de filières demeurant majoritairement non sélectives, si bien que tout étudiant que la sélection n'autorise pas à entrer dans une formation universitaire sélective est assuré de pouvoir être admis dans la même université, dans une formation non sélective.
Les universités de droit furent à la tête de ce mouvement qui aboutit à créer, dès le début du XXIème siècle, un certain nombre "collèges de droit" et de "bi licences " (droit/langues, droit/économie, droit/histoire, droit/sociologie, droit/sciences politiques, droit/philosophie...) qui obtinrent le droit de recruter sur procédure de sélection. Par la suite, constatant le succès remporté par ces premiers cycles sélectifs (de plus en plus demandés, durant lesquels les taux de réussite sont de l'ordre de 90% ...) on assista à leur multiplication sous diverses formes : classes préparatoires universitaires aux grandes écoles, "collèges" de droit ou d'économie, bi licences de toutes sortes (on en recense plus de 400 en 2019 et leur nombre va croissant d'année en année).
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Le maintien d'une offre très majoritaire de places dans des formations universitaires strictement non sélectives :
Comme on l'a vu en début de cet article, la loi ORE permet désormais à chaque université de traiter l'ensemble des demandes d'inscription en comparant le profil de chaque candidat aux "attendus" qui sont désormais systématiquement présentés sur Parcoursup. Bien plus : elles sont obligées de les classer, du meilleur au moins bon. Toutefois, si un premier cycle licence offre des capacités d'accueil suffisantes pour y admettre l'ensemble des candidats, alors, tous sont assurés de pouvoir y être admis s'ils le veulent, y compris dans le cas où ils seraient dans les derniers classés.
Seule nuance : via Parcoursup, ces formations universitaires ne peuvent répondre que "oui" ou "oui mais". La réponse "oui" signifie que cette dernière est prononcée sans aucune réserve, donc que le candidat est considéré comme ayant de réelles chances de réussite, pour peu bien sur qu'il mettre véritablement en œuvre les connaissances et compétences précédemment acquis au lycée. Toutefois, si les membres du jury considèrent que le décalage entre les "attendus" et le bilan scolaire et personnel du candidat est trop grand, et fait donc courir un trop important risque d'échec, ils peuvent répondre "oui mais" (par contre une réponse "non" leur est interdite). Dans ce cas, non seulement le candidat est informé à l'avance qu'il court un grand risque d'échec, mais il se verra le plus souvent proposer un dispositif personnalisé obligatoire d'accompagnement. Ces dispositifs sont à géométrie très variables : ce peut être un étalement de la première année sur deux ans, du tutorat en certaines disciplines, etc. A cet égard, on peut regretter que, faute de moyens ou de volonté pour le faire, certaines licences universitaires ne proposent rien ou pas grand chose de tel.
En 2018/2019, plus de 70% des places à prendre en première année d'un premier cycle licence étaient strictement non sélectives.
- Les licences de l' "entre deux", officiellement non sélectives, mais n'offrant que des capacités d'accueil insuffisantes pour accueillir tous les candidats :
Les deux catégories de premiers cycles universitaires qui précèdent ont la vertu de présenter des règles de recrutement claires : strictement non sélectives ou clairement sélectives. Les choses seraient simples si le panorama des premiers cycles universitaires se limitait à ces deux cas de figure. Il n'en est hélas rien : une partie de ces formations sont officiellement qualifiées de "non sélectives", mais n'offrent que des capacités d'accueil trop limitées pour pouvoir accueillir l'ensemble des candidats.
Dans son numéro daté du 7 mars 2019, la revue "Le Nouvel Observateur" a publié un article signé Gurvan Le Guellec : "Quand la fac devient sélective". Pour faire sa démonstration, le journaliste s'appuie sur les taux d'admis en 2018 dans cinq filières "très convoitées" : droit, économie-gestion, sciences et techniques des activités physiques et sportives, psychologie et sciences de la vie.
Il y observe et compare les taux d'admission, université par université, et constate que si dans nombre de ces dernières les formations en question sont de facto non sélectives, dans une partie d'entre elles, il a été nécessaire de ne retenir qu'une partie des candidats, donc de procéder à une certaine forme de régulation des flux à l'entrée (le journaliste utilise le mot "sélection"). Prenons l'exemple tiré de cet article des licences de droit : 58 universités ont pu donner satisfaction à l'ensemble des demandeurs d'admission, et sont donc été non sélectives en 2018. Mais dans une vingtaine de cas, il n'a pas été possible d'accueillir tous les demandeurs d'admission. On note que, parmi les dix premiers cycles de droit les plus "sélectifs", figurent sept universités d'Ile-de-France , dont les trois les plus sélectives de France : Paris/Panthéon-Sorbonne, Paris/Panthéon-Assas et Paris/Sud-Sceaux.
Dès lors que ce constat est fait, se pose une délicate question : comment fait-on pour "réguler les flux d'entrée" dans de telles licences, tout en respectant le droit d'accès de tout bachelier, donc sans faire de sélection ?
Autre question qui découle de la précédente : est-ce que l'on peut encore dans ce cas parler de formations non sélectives, ainsi que continuent obstinément de le faire les autorités ministérielles ?
Rappelons que l'ensemble des candidats à cette catégorie de premiers cycles universitaire est classé, du meilleur au moins bon. De plus, grâce à la procédure télématique Parcoursup, intervient ce que le Président de la République lui-même avait qualifié de "processus qualitatif", qui autorise à ne répondre "oui" qu'aux mieux classés, sous réserve de l'application de taux préférentiels tel celui des boursiers de l'Etat, prévu dans l' algorithme qui préside aux opérations de classement des candidats.
Qu'advient-il pour les autres, ceux qui ne sont pas classés en "rang utile" pour être admis dans la licence demandée d'une université précise ? Nombre de ces candidats ont pris la précaution d'anticiper ce risque en demandant en plus leur admission dans une ou plusieurs autres licences du même type, mais dans d'autres universités. Dès lors, nombreux sont ceux qui ont satisfaction dans le cadre de leur liste de vœux, mais pas nécessairement pour l'université qui a leur préférence. Et dans le cas où cela ne suffirait pas, il peut être proposé d'entrer dans une licence demandée, mais dans une université non demandée qui disposerait de places vacantes, voire dans une toute autre formation, considérée comme "proche". Au bout de ce long processus de décantation progressive, la quasi totalité des candidats reçoivent une proposition plus ou moins cohérente, et c'est ce qui permet aux autorités de dire que le droit à l'admission en première année d'un premier cycle d'études supérieures demeure, mais pas strictement celui de son choix. Voila pourquoi, aux yeux de la Ministre en charge de l'enseignement supérieur, l'usage du mot "sélection" serait abusif.
Conclusion :
Le principe du libre accès de tout bachelier à la formation universitaire de premier cycle de son choix n'a longtemps guère posé de problème, le petit nombre des bacheliers et la valeur individuelle de ce diplôme faisant office de garantie de bon niveau, donc de filtre à l'entrée des études supérieures. Il n'en va évidemment plus de même avec les près de 680.000 baccalauréats délivrés en 2018, à l'issue de près de 140 filières en prenant en compte la variété des spécialités du baccalauréat professionnel.
Il a été possible jusque là d'évacuer en grande partie le problème posé par ce droit automatique d'accès aux études supérieures, mais notre point de vue est que, sans nier qu'il est toujours en application, il l'est de moins en moins ainsi qu'en attestent les évolutions décrites dans cet article. Du fait de l'augmentation progressive du nombre des formations universitaires de premier cycle sélectives, compte tenu de la nécessité croissante de contingenter les accès aux licences à capacités d'accueil limitées, il nous semble clair que l'on se dirige à petit pas vers une situation telle que le principe de sélection à l'entrée des universités va progressivement devenir la règle dominante. Le temps sera alors venu de reconsidérer le statut actuel du baccalauréat, qui pourrait alors cesser d'être le premier des grades universitaires et, tel le brevet en fin de collège, ne plus être qu'un certificat de fin de scolarité secondaire.
Bruno MAGLIULO
Dernière modification le jeudi, 11 avril 2019