Mais si l’on s’attache à réfléchir aux causes profondes qui conduisent à ces attitudes alors on peut entendre d’autres niveaux de compréhension.
J’ai, en ce qui concerne mes usages pédagogiques autour du numérique, considéré ces attitudes de coopération comme des gestes nécessaires voir vitaux dans une classe afin de lutter contre les inégalités et faire participer chaque élève au progrès de tous. Le tutorat est une règle qui me semble indispensable pour limiter et réduire les écarts cognitifs entre enfants.
Parallèlement, le projet d’utiliser tweeter pour mettre en place une correspondance avec des seniors participe du même élan. Des seniors qui nous aident à lire dans un premier temps et des élèves qui vont ensuite les former aux usages numériques c’est aussi un moyen de combattre certaines fractures sociales. Ainsi, j’offre la vision que nos savoirs ne peuvent se construire isolement sans tenir compte d’un ensemble. Il faut les partager pour les renforcer mais aussi veiller à ne pas accentuer ces possibles ruptures d’usages liées à l’intergénérationnel.
Oui, il s’agit bien là d’introduire en parallèle à ces technologies des valeurs humaines de partage, d’entraide nécessaire au bien vivre ensemble et surtout au mieux vivre ensemble
Mais ce soir, je suis allée plus loin dans mon analyse, ce soir et après avoir décortiqué la notion de travailler ensemble proposée par Philippe Meirieu et après avoir écouté Adrien Ferro autour du M- learning j’ai compris autrement les choses.
J’ai pris conscience que notre humanisation dépend profondément de l’interface nécessaire qu’il faut construire entre soi et la machine. Cette interface doit conserver ce qui a de propre à nous humain à savoir, tout simplement, l’Autre. Car elle nous ouvre à des valeurs et nous oblige à éprouver ce que notre nature nous a donné de plus précieux : notre capacité à interagir avec l’Autre. C’est une condition indispensable au fonctionnement équilibré de notre être et qui fait de nous un être social et socialisant.
En nous enfermant dans des interactions systématiques et instantanées avec la machine, en niant les notions de distance qui séparent tout être et qui diluent ses limites et ses contours, on renforce cette idée que nous devenons tout simplement machine et que cette aspiration technologique peut conduire à nous déshumaniser et pourquoi pas ? Nous aliéner.
En entendant ces éclairages, je prends conscience que c’est au fond ce qui a motivé mes choix. Plus qu’un combat contre des inégalités cognitives ou sociales, il y a avant tout une recherche de protéger ce que nous avons de plus profond en nous. Il nous faut conserver ce qui est notre essence même notre « moi social » qui réclame le regard de l’autre comme équilibre de notre être. Une manière de s’opposer à cette individualité que la machine nous offre en nous connectant directement au monde sans passer par l’autre. Oui, ce qui m’a implicitement conduit à adopter ces choix c’est cette recherche d’une Altérité comme interface au monde afin de combattre les travers inévitables d’une machine qui nous offre instantanément le monde dans un rapport nouveau au temps et à l’espace.
Prendre ainsi conscience de cela en tant que professeur c’est éclairer mes choix, mieux les orienter et mieux remplir mes missions de formateur.
Ce temps de décélération, cette pause réflexive sont importants afin que chacun se donne les moyens de la vivre pour ne pas se laisser envahir par un agir permanent qui loin d’accompagner notre réflexion ne fait que nous rendre esclave de ces technologies.
Mes convictions sur le numérique ne changent pas. Je reste technophile car on a aussi beaucoup à gagner de ces outils mais je me sens plus avisée et mieux armée pour mobiliser à travers mes actions des choix efficients et porter aux autres les justes raisons de ceux là.
Je crois que dans cette époque de grands changements, la référence à nos penseurs et philosophes est indispensable. Les lois du marché, du marketing et de la consommation aveugle peuvent trouver des résistances à travers une mise en lumière réflexive de nos choix.
Rendons-les accessibles à nos décideurs, rendons-les accessibles à tous. Démocratisons le vrai savoir, celui qui se co-construit, qui se nourrit de la réflexion de l’autre pour nous permettre de mieux le comprendre et de mieux nous comprendre.
Dernière modification le lundi, 20 octobre 2014