Les motifs de mécontentement sont constants, liés en priorité aux réformes qui se succèdent sans qu’elles aient eu le temps d’être stabilisées, assimilées, et liés au fonctionnement même de chaque établissement, avec un mode de management parfois mal ressenti. Il y a aussi la question de l’évaluation de chacun, entre ce qu’il estime valoir, en regard de son investissement, et l’évaluation qui lui est effectivement donnée.
Le malaise provient du fait que l’Education nationale compte 850 000 enseignants et qu’il n’y a pas d’argent dans les caisses pour augmenter tout le monde. Augmenter chacun de 100 euros pour un an, une somme mineure, coûte déjà 85 000 000 d’euros. Alors 100 euros par mois, c’est un effort monumental. Cela explique que le gouvernement actuel ait préféré n’augmenter que les jeunes, jusqu’au 6e échelon, quitte à réduire sérieusement le différentiel entre le début et la fin de carrière. Le nombre de passages en hors-classe tient plus du nombre d’années d’ancienneté que du réel mérite de l’enseignant. On s’aperçoit dans les faits que les évaluations des IA-IPR font souvent ensuite l’objet d’abaissements par l’administration, sans états d’âme, pour "entrer dans la fourchette de référence à l’échelon de l’individu". Et tout le problème est là...un système où il n’est pas possible de traduire le mérite des individus en terme de progression de carrière, de rémunération, n’est pas un système valorisant.
Les motifs pour lesquels les enseignants nous contactent tiennent certes à ce sentiment profond de n’être pas bien rémunérés pour leur investissement important, bien au-delà des 35h des agents administratifs qui croient que eux n’effectuent que 15h ou 18h, mais se rapportent surtout auxmultiples pressions psychologiques qui s’exercent tout au long de l’année :
- de la part des élèves : l’autorité, pour un prof, est considérée comme innée, alors qu’elle s’apprend, mais sans formation, une partie de sentent bien démunis ;
- de la part des parents d’élèves : ils aimeraient pouvoir être un peu mieux intégrés à la vie de l’Ecole, mais chaque enseignant ressent ce besoin comme une menace, une atteinte à sa pratique. Il serait bon de réfléchir concrètement à tous les domaines où, dans les écoles, collèges, lycées, il est possible d’associer les parents, autrement que dans les conseils de classe ou les conseils d’administration, pour que ce créent des groupes de parole, afin de nouer des relations plus étroites et constructives avec les équipes éducatives, quand c’est nécessaire : cela ôterait une part de stress aux enseignants. Travailler ensemble, mais pas les uns contre les autres ;
- de la part des personnels d’encadrement : il est curieux d’entendre un enseignant devenu chef d’établissement dire "dans notre formation de personnel de direction, à l’ESEN, on nous demande d’oublier que nous avons été profs. Ce n’est plus le même monde, nous sommes devenus des chefs, nous sommes là pour faire obéir les profs, pas pour faire copains-copains". Un peu comme un prof avec ses élèves en somme...Cela explique le sentiment d’infantilisation persistant chez les enseignants, alors qu’il suffirait d’un changement de mode de management, sur un mode coopératif, avec des équipes de direction étoffées, pour ne pas considérer que l’enseignant est l’ennemi du chef d’établissement, mais l’un de ses associés...
- de la part des personnels d’inspection : ce qui ressort de ces témoignages, c’est souvent, de la part de ces adultes, la peur d’un personnage qui a le pouvoir de faire stagner le pouvoir d’achat d’une famille, ou de générer du stress, en dévalorisant la personne sur ses capacités à être "un bon prof". Il nous semblerait plus logique de considérer qu’après réussite au concours, l’enseignant ne puisse être inspecté que dans les 10 années qui suivent, en considérant qu’au-delà, il a acquis la compétence d’enseigner, et que celle-ci ne peut être remise en cause par une énième inspection déstabilisante. Au-delà de 10 années, l’enseignant devrait simplement s’astreindre à suivre des formations d’actualisation ou de perfectionnement de ses pratiques, chaque année, mais il faut lui ôter le stress d’une évaluation-sanction. Et c’est pour cela que le projet actuel de recrutement et d’évaluation par le chef d’établissement n’est pas bon, car il repose entre les mains d’une seule personne, au lieu de deux auparavant. Le système antérieur était mal perçu, celui là sera pire encore, et des enseignants, déjà, anticipent leur reconversion rien qu’en y songeant ;
- de la part des personnels administratifs : on sent au fil des témoignages une tension, une crainte de représailles imaginées ou subies ponctuellement, quand il s’agit de s’adresser aux personnels de l’inspection académique ou du rectorat, pour quoi que ce soit. Pour les professeurs des écoles, l’IEN et l’IA sont dans des tours d’ivoire, un peu comme des seigneurs dans leurs donjons aux solides remparts, qu’aucun argument ne peut contrer. Pour les professeurs de collège ou de lycée, on ressent fortement ce sentiment d’être livrés à eux mêmes, et d’être nécessairement critiqués quand quelquechose ne va pas bien, alors que lorsque tout va bien, personne n’est là pour les en féliciter, ou les encourager. Il y a un réel problème, dans notre société, via à vis de la valorisation, de la reconnaissance du travail. Savoir encourager ses équipes et reconnaître dès qu ec’est possible leur investissement est une qualité, un comportement à développer chez les chefs d’établissements, alors que la réforme actuelle de l’évaluation nous conduit plutôt vers la culture de l’exigence, de l’évaluation au résultat, sans droit à l’erreur.
Des témoignages, nous en avions 4000, mais nous avons décidé d’en sélectionner les plus représentatifs, pour livrer un portrait, de 24 à 59 ans, des difficultés que ressentent les enseignants en 2012, après 5 années de réformes en tous genres, qui ont profondément modifié leur perception de l’avenir dans leur métier.
Plus de 25% de nos contacts n’ont eu lieu que ces 6 derniers mois, une évolution qui nous semble alarmante, car elle reflète un malaise profond : l’Education nationale ne gère pas bien ses richesses humaines. Elle gère des données, des chiffres, pas des personnes. Elle ne le peut pas, car ils sont trop nombreux, et même avec une volonté d’établir un gestion des ressources humaines de proximité, elle ne le peut pas non plus, car les responsabilités d’un chef d’établissement sont si lourdes et diversifiées qu’il ne peut accorder plus de 5 mn par semaine à chacun de ses enseignants, ce qui n’est pas suffisant. Le remède à cette situation nous semble être dans des équipes de direction renforcées, coopératives, avec des missions annuelles ou bisanuelles confiées aux enseignants volontaires qui réaliseraient là un début de seconde carrière, comme de multiples passerelles vers des fonctions administratives, sur un mode constructif. Cela nous semblerait de nature à en remotiver plus d’un.
Pour l"heure, près de 5% des 4000 témoignages qui nous parvenus sont exposés dans cet article (http://www.aideauxprofs.org/index.asp?affiche=News_display.asp&rub=Ressources_Utiles&ArticleID=2185), dont vous conseillons la lecture, ne serait-ce que pour vous rendre compte, si vous êtes enseignant, que vous n’êtes pas isolé dans votre souffrance, que vous n’êtes pas seul à endurer les difficultés.
Vauvenargues a dit : qui peut tout souffrir peut tout oser.
C’est peut-être pour cette raison qu’à force de souffrir, ils soient de plus en plus nombreux à envisager autre chose, sans savoir, bien souvent, le nommer.
C’est pour cette raison que nous sommes en train de prospecter des entreprises, des associations, des organismes publics et des collectivités, pour les sensibiliser au fait que les enseignants ont de multiples compétences, et qu’il serait temps d’accepter de leur donner une seconde chance, au lieu de ne pas la donner à leurs enfants qui parfois ont à subir des enseignants démotivés, car ils sont tombés dans une routine qui les désespèrent.
Crédit photo : JR Brousse An@é